30 avril 2024
Cour d'appel de Lyon
RG n° 22/02477

1ère chambre civile B

Texte de la décision

N° RG 22/02477 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OG6F









Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Au fond

du 25 janvier 2022



RG : 19/06723

ch n°4





[M]



C/



S.A. LYONNAISE DE BANQUE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 30 Avril 2024







APPELANTE :



Mme [E] [M]

née le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 7] (69)

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentée par Me Jean-baptiste BADO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES - LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 421









INTIMEE :



La société LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse 6]

[Localité 5]



Représentée par Me Mathieu ROQUEL de la SCP AXIOJURIS LEXIENS, avocat au barreau de LYON, toque : 786





* * * * * *





Date de clôture de l'instruction : 16 Février 2023



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Janvier 2024



Date de mise à disposition : 30 Avril 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller



assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier



A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,





Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




* * * *



EXPOSE DU LITIGE



La soeur de Mme [M], Mme [X], employée de la société Lyonnaise de banque (la banque), a exercé les fonctions de curatrice au bénéfice de leurs parents, tous deux décédés.



Suivant acte d'huissier de justice du 14 juin 2019, Mme [M] a fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Lyon afin de voir reconnaître sa responsabilité du fait de son préposé, au motif que sa soeur aurait confectionné de fausses procurations dans le cadre de son activité professionnelle et détourné l'argent de leurs parents, et la voir condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts.



Par jugement du 25 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a:

- débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la banque de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné Mme [M] à payer à la banque la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par déclaration du 1er avril 2022, Mme [M] a relevé appel du jugement.



Par conclusions du 28 novembre 2022, Mme [M] demande à la cour de :



1. A titre principal :

- réformer le jugement dont appel rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a :

- débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [M] à prendre à sa charge les entiers dépens de l'instance, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Roquel,

- condamné Mme [M] à payer à la banque la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant de nouveau :

- condamner la banque à lui payer la somme de 60.036,50 € au titre de son préjudice financier, et la somme de 40.000 € au titre de son préjudice moral ;

- débouter la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la banque au paiement d'une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens

Et ajoutant au jugement dont appel :

- condamner la banque au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.



2. A titre subsidiaire :

- réformer le jugement dont appel rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a énoncé :

- déboute Mme [M] de l'ensemble de ses demandes et la condamne à prendre à sa charge les entiers dépens de l'instance, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Roquel ;

- condamne Mme [M] à payer à la banque la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant de nouveau :

- condamner la banque à lui payer la somme de 60.036,50 € au titre de son préjudice financier, et la somme de 40.000 € au titre de son préjudice moral ;

- débouter la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la banque au paiement d'une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Et ajoutant au jugement dont appel :





- condamner la banque au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens ;



3. A titre inifiniment subsidiaire :

- ordonner une expertise judiciaire avant-dire droit et nommer tel expert graphologue qu'il plaira à la cour, avec pour mission d'authentifier ou au contraire révéler leur nature frauduleuse, des procurations litigieuses, comparer notamment les signatures de chacun des protagonistes à savoir Mme [M], M. [M], et Mme [X];

- réserver les dépens.



Par conclusions notifiées le 14 février 2023, la banque demande à la cour de:

- débouter Mme [M] de son appel comme infondé,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon en date du 25 janvier 2022,

- débouter Mme [M] de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner Mme [M] au paiement d'une somme de 3.000 € à la banque sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers frais et dépens de la procédure, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Roquel, avocat, sur son affirmation de droit.



La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 16 février 2023.



Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées en application de l'article 455 du code de procédure civile.




MOTIFS DE LA DECISION



1. Sur la responsabilité de la banque du fait de sa préposée



Mme [M] soutient que la banque a engagé sa responsabilité du fait des agissements de Mme [X], sa préposée. Elle fait notamment valoir que:

- Mme [X] a agi dans le cadre de son travail, en qualité d'employée de la banque,

- elle a enregistré une fausse procuration bancaire pour chacun de ses parents à son profit,

- un graphologue a établi que la procuration n'a pas été écrite de la main de ses parents,

- les virements sont également établis par les relevés de compte bancaire,

- les procurations portent le tampon de la banque et l'en-tête de la banque,

- c'est donc en qualité d'employée de la banque que Mme [X] a agi,

- la banque est responsable des agissements fautifs de ses préposés,

- Mme [X] a reconnu avoir détourné l'argent de ses parents, de sorte que l'acte de liquidation partage prévoit une retenue de 120 073,01 euros sur la part qu'elle a recueillie au titre de sa créance en raison du recel successoral, mais la succession n'a plus de fonds,

- la moitié de la somme aurait dû lui revenir, soit 60 036,50 euros,

- son préjudice moral est important doit être évalué à la somme de 40 000 euros.



La banque fait notamment valoir en réplique que:

- Mme [M] ne démontre pas que Mme [X] a agi dans le cadre de son travail, sur son lieu de travail,

- Mme [X] était curatrice de ses deux parents et percevait seule leurs revenus et assurait le règlement de leurs dépenses, de sorte qu'il est logique qu'elle ait accès aux comptes de ses parents,

- Mme [M] fonde ses demandes uniquement sur un rapport d'expertise qui ne lui est pas opposable à défaut d'avoir été appelée ou représentée aux opérations,

- le préjudice de Mme [M] n'est pas justifié.



Réponse de la cour



Il résulte de l'article 1242, alinéa 5, du code civil, que les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.



Afin que la responsabilité de l'employeur soit engagée du fait de son salarié, la victime doit établir que le fait dommageable a été causé par la faute du préposé et que ce dernier a agi dans le cadre de ses fonctions.



En l'espèce, suivant deux jugements du tribunal d'instance de Chambéry du 29 avril 2008, [A] [M] et [H] [M] ont bénéficié d'une mesure de curatelle renforcée, leur fille, Mme [X], ayant été nommée curatrice.



Par une décision du 10 décembre 2008, le tribunal de grande instance de Chambéry a prononcé une curatelle simple en remplacement de la curatelle renforcée pour [H] [M].



[H] [M] est décédée le [Date décès 2] 2013 et [A] [M] le [Date décès 4] 2017. L'acte de liquidation et de partage de la succession dressé le 7 juin 2018 par Me [F], notaire, fait état, au titre de l'actif de succession, et par référence à l'article 778 du code civil en matière de recel de succession, d'une créance due par Mme [X] d'un montant de 120 073,01 euros.



Il est constant entre les parties:

- qu'[H] et [A] [M] disposaient de comptes ouverts dans les livres de la banque d'un montant total de 201 127,52 euros à la date du 27 octobre 2011 et que lors de son entrée en maison de retraite, le 2 mars 2017, les comptes bancaires de [A] [M] étaient vides,

- que Mme [X] a reconnu avoir détourné les fonds, ce qui a conduit le juge des tutelles de Chambéry à désigner M. [N] [M] en qualité de curateur de [A] [M], en ses lieux et place, par ordonnance du 17 mai 2017,

- qu'au temps des opérations litigieuses ayant favorisé la réalisation du recel successoral, Mme [X] était salariée de la banque, dans l'agence où étaient ouverts les comptes de ses parents dont elle était la curatrice.



En premier lieu, il y a lieu d'observer que si la mesure de curatelle renforcée permet au curateur de percevoir seul les revenus du majeur protégé et de régler ses dépenses, les capitaux placés sur un compte d'épargne ne peuvent être utilisés que d'un commun accord entre la personne protégée et le curateur, qui ne dispose que d'une mission d'assistance.



Ainsi, pour prélever seule des fonds sur les comptes d'épargne de [A] [M], comme c'était le cas en l'espèce puisque des fonds ont été prélevés sur ses comptes LDD et ses comptes sur livret, il était nécessaire que Mme [X] dispose d'une procuration.



En deuxième lieu, lorsqu'une personne protégée bénéficie d'une mesure de curatelle simple, comme c'était le cas d'[H] [M], elle est en mesure de percevoir directement ses ressources sur son compte et de payer ses dépenses. Elle est simplement assistée de son curateur pour réaliser des actes de disposition et les dépenses importantes.



Ainsi, pour prélever les fonds sur les comptes d'[H] [M], Mme [X] devait disposer d'une procuration, sa seule qualité de curatrice étant insuffisante.



Il est dès lors établi que Mme [X] a utilisé les procurations établies au nom de [A] [M] et [H] [M] à son profit le 30 octobre 2009, sur « tous les comptes actuels et futurs, sans exception, ouverts au nom du mandant auprès de l'établissement CIC Lyonnaise de banque », pour prélever les fonds déposés sur les comptes de ses parents dans les livres de la banque.



En troisième lieu, selon le rapport d'expertise non judiciaire de M. [R], graphologue, réalisé à la requête des appelants, qui est contradictoirement produit aux débats et, par voie de conséquence, peut être discuté par la banque, les deux procurations datées du 30 octobre 2009 n'ont pas été écrites ni signées par [A] et [H] [M] et la mention « Bon pour pouvoir » apposée sur chacune des procurations a été tracée par Mme [X], la signature attribuée à [H] [M] étant en outre également de la main de Mme [X].



La banque contestant cette analyse, la cour procède à une vérification d'écriture en application de l'article 287 du code de procédure civile. De la comparaison des procurations litigieuses avec des écrits et signatures non contestés de [A] et [H] [M] (écrit de [A] [M] du 31 mars 2014, mandat de vente de 2014, deux contrats de sécurité incendie datés des 11 mars 2008 et 11 avril 2008), il y a lieu de retenir que la signature apposée sur la procuration attribuée à [A] [M] est tout à fait différente de la sienne. S'agissant de la signature apposée sur la procuration d'[H] [M], il y a lieu de relever des différences notables sur la forme du « D », du « G » et du « A ».



Au regard des conclusions de l'expert, dont les conclusions sont corroborées par l'analyse de la cour, il est établi que les deux procurations utilisées par Mme [X] sont des faux.



En quatrième lieu, ces procurations ont été établies sur des formulaires émanant de la banque, portant en en-tête le nom de la banque et les coordonnées de l'agence, ainsi que le tampon de la banque et une signature sous l'emplacement « visa de la banque ».



Dès lors, il est démontré que les deux procurations ont été établies avec le matériel et les moyens fournis par la banque et donc grâce aux fonctions exercées par Mme [X] en son sein.



La responsabilité de la banque, du fait de sa préposée est engagée. Le jugement est donc infirmé.



2. Sur les préjudices



Mme [M] sollicite la condamnation de la banque à lui payer la somme de 60 036,50 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 40 000 euros au titre de son préjudice moral. Elle fait notamment valoir que:

- la somme recélée s'élève à 120 073,01 euros, ainsi que l'a reconnu Mme [X],

- l'une des héritières, Mme [D] a refusé de recevoir sa part sur les sommes recélées, de sorte qu'elle aurait dû recevoir la moitié de cette somme avec son frère,

- elle a été mise à l'écart de sa famille du fait de la présente procédure dirigée contre sa soeur, ce qui a causé un retentissement psychologique important sur elle.



La banque fait notamment valoir en réplique que:

- les sommes réclamées ne sont pas justifiées,

- son préjudice moral, qui résulte de ses conflits familiaux, ne lui est pas imputable.



Réponse de la cour



Il résulte du document récapitulant les mouvements entre les comptes bancaires de [A] [M] et ceux de Mme [X], des relevés de compte de Mme [X], de [A] et [H] [M] entre 2009 et 2017 et de l'acte notarié de liquidation partage du 7 juin 2018, que la somme de 120 073, 01 euros a été détournée des comptes de [A] et [H] [M] au profit de Mme [X].



Il a été précédemment retenu que la banque est responsable de ce détournement.



Afin de déterminer le préjudice financier de Mme [M], il convient de rapporter fictivement cette somme à l'actif de la succession et de calculer la part qui lui serait revenue.



Selon l'acte de liquidation et partage précité, les quatre frères et soeurs, soit Mme [W] [D], Mme [T] [X], Mme [E] [M], ainsi que M. [N] [M] sont les seuls héritiers.



Il en résulte qu'en l'absence de détournement, chacun des héritiers aurait reçu la somme de (120 073, 01 / 4) 30'018,25 euros.



Contrairement à ce qui est soutenu par Mme [M], il ne peut être retiré la part revenant à Mme [X] puisqu'en l'absence de détournement il n'y aurait pas eu de recel, ni celle revenant à Mme [D], puisqu'en l'absence de détournement, elle n' y aurait pas renoncé.



En conséquence, il convient de condamner la banque à payer à Mme [M] la somme de 30 018,25 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier.



Par ailleurs, les conflits au sein de la famille [M] ayant été directement générés par le détournement des fonds de la succession d'[H] et [A] [M] par Mme [X], qui a été permis par la banque, il convient de condamner cette dernière à payer à Mme [M] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, celle-ci justifiant à l'aide de diverses attestations émanant de ses amis, ainsi que d'un certificat de son médecin traitant du 5 avril 2019, avoir été lourdement affectée par ce conflit familial.



3. Sur les autres demandes



Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.



La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [M] et condamne la banque à lui payer la somme de 4.000 euros à ce titre.



Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la banque.



PAR CES MOTIFS

LA COUR,



Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;



statuant de nouveau et y ajoutant,



Condamne la société La lyonnaise de banque à payer à Mme [E] [M] la somme de 30 018,25 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier,



Condamne la société La lyonnaise de banque à payer à Mme [E] [M] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,



Condamne la société La lyonnaise de banque à payer à Mme [E] [M], la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;



Condamne la société La lyonnaise de banque aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.





La greffière, Le Président,

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