29 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 21/03682

Chambre sociale 4-3

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 AVRIL 2024



N° RG 21/03682 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U4R2



AFFAIRE :



S.A.S. INOVSHOP GROUP venant aux droits de la SARL RETAIL SERVICES



C/



[F] [E]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F 19/00996



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Christophe MEYNIEL de la SELARL Tréville Société d'Avocats







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :





S.A.S. INOVSHOP GROUP venant aux drtois de la SARL RETAIL SERVICES

N° SIRET : 478 425 176

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentant : Me Annie-Claude PRIOU GADALA de l'ASSOCIATION BOUHENIC & PRIOU GADALA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R080

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626





APPELANTE



****************



Monsieur [F] [E]

né le 05 Avril 1978 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représentant : Me Christophe MEYNIEL de la SELARL Tréville Société d'Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B440





INTIME



****************





Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Laurence SINQUIN, Président,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,



Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,










FAITS ET PROCÉDURE



La société à responsabilité limitée Retail Services, immatriculée au RCS de Nanterre, exerçait comme principale activité la fourniture et l'installation de matériels de publicité sur les lieux de vente. Elle employait plus de onze salariés au moment de la rupture du contrat de travail.



M. [E] a été engagé par la société Retail Services en qualité de chef de projet par contrat à durée indéterminée en date du 19 juin 2017. Son temps de travail était de 156 heures par mois moyennant une rémunération mensuelle brute de 2'500 euros, outre le versement d'une commission.



Par avenant n°1 du 27 février 2018, la rémunération de M. [E] a été augmentée et, par avenant n°2 du 10 janvier 2019, il a été promu responsable de la Business Unit «'Huawei, Oppo et Welcome'» et sa rémunération a été augmentée à 3 500 euros bruts sur la base de 151,67 heures par mois, outre un intéressement variable calculé annuellement.



Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de la publicité.



Par lettre remise en main propre contre signature le 23 mai 2019, la société Retail Services a convoqué M. [E] à un entretien préalable à un licenciement, qui s'est tenu le 23 mai 2019 et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.



Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 juin 2019, la société Retail Services a notifié à M. [E] son licenciement pour faute lourde en ces termes':



«'Suite à la constatation d'éléments de nature à nuire gravement à l'entreprise, nous vous avons 9h30 dans nos locaux, cette lettre a été remise en main propre contre signature le 23 mai 2019.



Lors de cet entretien vous avez renoncé au fait d'être accompagné ; nous en avons fait de même en nous présentant seul à cet entretien.



Nous vous avons fait part des faits qui vous sont reprochés dans l'intention de nuire gravement à la société à savoir :

- Des agissements constitutifs de concurrence déloyale

- Non-respect des procédures internes (achats de matériels en outrepassant nos validations)

- Détournement de marchandises (Pod de sécurisation, destiné à nos concurrents)

- Détournement de clientèle (OPPO - HUWAEI)

- Non-respect de votre contrat de travail :

Article 8 : Les obligations professionnelles

Article 9 : Le secret professionnel et confidentialité

Article 10 : Propriété intellectuelle / clientèle



Lors de votre entretien, vous n'avez donné aucune explication face à ces agissements, vous vous êtes simplement excusé.



Au vu de ces agissements d'une gravité exceptionnelle et par lesquels vous avez volontairement tenté de nuire à l'entreprise, nous vous notifions votre licenciement pour faute lourde qui prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.



Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 23 mai 2019, dès lors la période non travaillée du 23 mai 2019 au 04 Juin 2019 ne sera pas rémunérée.





Nous vous notifions également que vous nous êtes redevables envers l'entreprise de la somme de 3103,74 euros correspond aux montant de matériel que vous avez acheté sans notre accord avec le compte de la société.



Le matériel vous sera remis dès lors que vous aurez régularisé cette somme.'(...) ».



Par requête introductive du 24 juillet 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une demande tendant à réclamer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour licenciement brutal et vexatoire.



Par ordonnance sur requête du 27 novembre 2019 à la demande notamment de la société Retail services, le tribunal de commerce de Paris a autorisé cette dernière, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, à procéder au constat par huissier au domicile de M. [E], dans les locaux de la société Excel Vector et de la société Elba ainsi que de sa gérante [G] [W]. Le 13 décembre 2019, des constats ont été réalisés à l'encontre des sociétés Elba et Excel Victor. Par ordonnance de référé du 18 novembre 2020, le tribunal de commerce, saisi en rétractation de l'ordonnance, a rejeté les demandes de M. [E] au visa d'une part de l'allégation par la société Retail services d'un «'futur procès pour détournement de clientèle et concurrence déloyale'» et, d'autre part, de l'existence d'une procédure prud'homale.



Par jugement du 28 octobre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :



- dit que les éléments constitutifs d'une faute lourde ne sont pas réunis.

- dit fondé le licenciement de M. [E], celui-ci étant jugé comme basé sur des motifs graves.

- condamné la société Rétail services à payer à M. [E] au titre des :

* rappelé de salaire sur variable du 1er juillet 2018 au 31 décembre 2018 et sur variable du 1er janvier 2019 au 30 mai 2019 : 15 000 euros.

* L'article 700 du Code de procédure civile : 1000 euros

- débouté M. [E] du reste de ses demandes.

- débouté la société Rétail services en ses demandes.

- ordonné à la société Rétail services de faire parvenir à M. [E] les documents sociaux conformes au jugement.

- dit qu'il n'y a pas lieu à intérêt autre que de droit.

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire.

- mis les éventuels dépens à la charge de la partie qui succombe.



La société Inovshop Group, venant aux droits de la sarl Retail Services suite à une fusion-absorption des sociétés Inovshop SAS et Retail Service SAS, a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 16 décembre 2021.



Par acte d'huissier du 10 mai 2022, la société Inovshop a fait assigner M. [E] devant le premier président de la cour d'appel de Versailles en demandant, à titre principal, de déclarer M. [E] tant irrecevable que mal fondé à poursuivre l'exécution forcée du jugement du conseil de prud'hommes, l'exécution provisoire de droit ayant été expressément écartée, au besoin arrêter l'exécution provisoire et, à titre subsidiaire, aménager l'exécution provisoire de droit et autoriser la société Inovshop à exécuter le montant des condamnations assorties de l'exécution provisoire de droit en consignant la somme de 15 000 euros auprès de la Carpa prise en qualité de séquestre.



Par ordonnance de référé du 23 juin 2022, l'ensemble des demandes de la société Inovshop ont été rejetées et cette dernière a été condamnée aux dépens outre au titre des frais irrépétibles.



La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2024.





MOYENS ET PRÉTENTIONS



Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Inovshop Group, venant aux droits de la Sarl Retail Services, demande à la cour de':



- Déclarer recevable et bien fondée la société Inovshop Group aux droits de la société Retail Services, en son appel,

Vu l'article 1435-1 du Code du travail,

Vu les causes sus énoncées,

Vu le jugement du conseil des prud'hommes en date du 28 Octobre 2021,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Dit que les éléments constitutifs d'une faute lourde ne sont pas réunis,

* Condamné la société Rétail services à payer à M. [E] au titre des :

° Rappel de salaire sur variable du 1 juillet 2018 au 31 décembre 2018 et sur variable du 1er janvier 2019 au 30 mai 2019 : 15.000 euros.

° L'article 700 du code de procédure civile : 1.000 euros

* Débouté la société Rétail services en ses demandes,

* Ordonné à la société Rétail services de faire parvenir à M. [E] les documents sociaux conformes au jugement,

* Mis les éventuels dépens à la charge de la partie qui succombe.

Statuant à nouveau,

- Dire fondé le licenciement pour faute lourde de M. [E].

- Accueillir la société Inovshop Group venant aux droits de la société Retail Services en ses demandes à l'encontre de M. [E].

En conséquence,

- Faire injonction à M. [F] [E] de reprendre le matériel informatique commandé par ses soins.

- Condamner M. [F] [E] à rembourser à la société Inovshop Group venant aux droits de la société Retail Services, la somme de 3 103,74 euros.

Vu les agissements déloyaux de M. [F] [E],

Vu le préjudice moral subi par l'appelante

- Condamner M. [F] [E] à payer à la société Inovshop Group venant aux droits de la société Retail Services, la somme de 80 000 euros.

- Débouter M. [F] [E] de son appel incident

- Débouter M. [F] [E] de toutes ses prétentions contraires.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [F] [E] à payer la somme de 4500 euros à la société Inovshop Group venant aux droits de Retail Services.

- Condamner M. [F] [E] aux entiers dépens, dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [E] demande à la cour de':



- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* condamné la société Inovshop Group (anciennement Retail services) à payer à M. [E] 15.000 euros à titre de rémunération variable et 1.000 euros à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure (sic) ;

* débouté M. [E] de ses demandes à titre de salaire pour la mise à pied, de congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, et d'application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.



- Il est demandé à la Cour d'appel de Versailles de statuer à nouveau sur tous les chefs de jugement infirmés et :

* de condamner la société Inovshop Group (venant aux droits de Retail services) à payer à M. [E]':

° 27.500 euros à titre de rémunération variable à titre principal, ou la même somme à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail à titre subsidiaire ;

° 1.826,07 euros bruts à titre de salaire pour la mise à pied ;

° 182,61 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

° 15.500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

° 1.550 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

° 3.555,37 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

° 22.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

° 5.000 euros à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,

Ces sommes portant intérêts au taux légal conformément aux dispositions applicables,

* d'ordonner à la société Inovshop Group de remettre à M. [E] des bulletins de paie et des documents sociaux conformes à la décision à intervenir ;

* de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ;

* de condamner la société Inovshop Group aux entiers dépens de première instance et d'appel.

- Il est demandé à la Cour d'appel de Versailles de débouter la société Inovshop Group de toutes ses demandes.




MOTIFS



Sur la faute lourde



Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.



Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.



L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.



La preuve des faits constitutifs de faute lourde incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, d'une gravité suffisante empêchant le maintien du salarié dans l'entreprise et s'il procèdent d'une intention de nuire.

L'intention de nuire à l'employeur implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.



La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis. La charge de la preuve pèse sur l'employeur.

Au vu des éléments versés aux débats, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d'appel, après avoir rappelé les obligations contractuelles de M. [E] et suivant des motifs pertinents qu'il convient d'adopter en cause d'appel, ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l'espèce la qualification de faute lourde mais retenu l'existence d'une faute grave justifiant le licenciement.



Sur ce point, il suffit d'ajouter que contrairement à ce que soutient M. [E], si l'échange de mails produit (pièce 8 de la société) établit que le supérieur hiérarchique du salarié était informé de la livraison de matériel d'alarmage effectuée le 23 mai 2019, M. [E] ne l'a pas informé qu'il s'agissait d'un prêt dérogeant aux process applicables d'achat de matériel dans l'entreprise.



La société Inovshop ne démontre pas en revanche l'existence d'une intention de nuire ni un détournement de clientèle de la part de M. [E].



En effet, les informations livrées en octobre 2019 par M. [E] à la société Elba (en la personne de Mme [T]) sur les produits et les prix pratiqués par la société Inovshop ne sont pas en mesure de l'établir car ces faits sont postérieurs à la mesure de licenciement.



De même, si la société Inovshop établit à l'appui du grief tenant au détournement de clientèle, que par mail du 25 février 2019, M. [E] a adressé le client Huawei vers une société concurrente, la société Elba, au motif que le bureau d'étude était saturé, ce qui n'est pas contesté par le salarié, pour autant l'employeur ne démontre pas comme il lui incombe que tel n'était pas le cas.



Enfin, sur autorisation du tribunal de commerce, il a été procédé par la société Inovshop à un constat d'huissier le 13 décembre 2019 au siège de la société Elba, qui avait notamment pour objet, s'agissant de M. [E], d'identifier les courriels échangés entre M. [E] et Mme [T] du 19 juin 2017 au 13 décembre 2019, mais l'huissier n'a pu récupérer ces emails, car des centaines de courriels ont été placés dans le dossier «'éléments supprimés'» à partir de 10h01, alors que l'huissier patientait à l'accueil en attendant le retour de Mme [O]. En l'absence d'éléments de preuve résultant de ce constat, et d'investigations supplémentaires menées par la société Inovshop, l'intention de nuire alléguée n'est pas démontrée.



C'est donc à bon droit que les premiers juges, écartant la faute lourde, ont retenu une faute grave comme cause du licenciement.



Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions relatives au bien-fondé de la rupture et au rejet de l'ensemble des prétentions de M. [E] tenant au paiement de différentes indemnités et rappels de salaires afférents à la rupture.



Sur les dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire



Il résulte de l'article 1240 du code civil que, même lorsqu'il est prononcé en raison d'une faute grave, le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation (Soc 4 octobre 2023, ).



En application de cette jurisprudence, le salarié qui argue des circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture et justifie d'un préjudice distinct de la perte de son emploi peut en demander réparation, y compris lorsque le licenciement repose sur une cause réelle sérieuse ou une faute grave.





Néanmoins, d'une part, l'engagement de la procédure disciplinaire par l'employeur, qui est fondée, ne saurait démontrer l'existence de circonstances vexatoires.

D'autre part, la requête engagée au visa de l'article 145 du code de procédure civile devant le tribunal de commerce par la société Inovshop, à laquelle il a été fait droit, et les investigations menées par l'employeur aux fins de démontrer l'existence d'un détournement de clientèle, effectuées sur autorisation du tribunal, ne sont pas en mesure d'établir l'existence de circonstances vexatoires mais ressortent du droit d'ester en justice.

Il en est de même de la requête formée par l'employeur devant le premier président aux fins d'arrêter l'exécution provisoire.



En conséquence, M. [E], à qui incombe la charge de la preuve, ne justifie pas de circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture de son contrat de travail, de sorte qu'il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts, par voie de confirmation du jugement entrepris.



Sur le matériel informatique



La société Inovshop demande à la cour de condamner M. [E] à lui rembourser la somme de 3 103,74 euros au titre du matériel informatique commandé et de lui enjoindre de reprendre les deux ordinateurs commandés par ses soins.



M. [E] s'oppose à cette demande en soulignant qu'il a uniquement fait établir un devis, mais qu'il n'a pas commandé lui-même ces ordinateurs, puisqu'il ne disposait pas de carte bancaire au nom de la société, et que ce matériel était destiné à M. [M].



En l'espèce, le bon de commande Amazon du 17 mai 2019 et les échanges de mails produit aux débats par la société établissent que les deux ordinateurs ont été commandés au nom de M. [M], qu'il ont été traités en comptabilité par les salariés de la société Inovshop sans qu'aucun d'entre eux ne relève de difficulté.



La société, qui prétend que le matériel a été commandé par M. [E] à des fins personnelles, ne le démontre pas. Par ailleurs, si les ordinateurs n'étaient d'aucune utilité à l'entreprise, il lui était loisible de renvoyer le matériel au fournisseur, comme l'a relevé pertinemment le conseil de prud'hommes dans sa décision.



En conséquence, la cour rejette les demandes de la société de ce chef, par voie de confirmation de la décision entreprise.



Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral



La société Inovshop sollicite la condamnation de M. [E] à lui verser la somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral. Elle se fonde à ce titre sur la divulgation d'informations confidentielles livrées par le salarié et la suppression des courriels qui a été faite lors du constat d'huissier au soutien de sa demande et justifie son préjudice moral par l'atteinte à sa réputation et à la relation avec ses clients.



M. [E] conclut au débouté, en se fondant sur l'absence de faute lourde commise ni de dommage démontré pour la société, et souligne que cette demande est disproportionnée.



En l'espèce, l'intention de nuire de M. [E] à l'égard de son employeur, tout comme le détournement de clientèle, n'ont pas été retenus par la cour. De même, la suppression par la société Elba des courriels échangés entre M. [E] et Mme [T] lors du constat d'huissier du 13 décembre 2019 ne sont pas imputables au salarié, tandis que la société Inovshop n'a pas donné suite à l'autorisation qui lui avait été donnée par le tribunal de commerce de procéder à un constat d'huissier au domicile de M. [E].



Par suite, la société Inovshop, qui échoue à établir la faute commise par M. [E], et en tout état de cause ne justifie pas du préjudice moral allégué, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.



Sur le rappel de commissions



Pour solliciter l'infirmation du jugement, l'employeur soutient que M. [E] a été rempli de ses droits conformément aux dispositions prévues dans les annexes figurant dans les avenants au contrat de travail, qu'il n'a jamais demandé d'explication sur la prime qu'il percevait, et que selon les termes du contrat il procédait lui-même à la répartition de la prime au sein de son équipe.



Le salarié objecte qu'il n'a reçu que la somme de 2 500 euros de rémunération variable, alors qu'il pouvait prétendre à un montant de 30 000 euros, au regard des dispositions de l'annexe régularisée en juillet 2018 devant recevoir application en l'espèce. Il sollicite une somme de 27 500 euros au titre de la rémunération variable et, à titre subsidiaire, des dommages-intérêts du même montant sur le fondement du manquement de l'employeur à l'exécution déloyale du contrat.



****



Lorsque le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable reposant sur l'atteinte d'objectifs, il appartient à l'employeur de fixer les objectifs servant au calcul de la rémunération variable. Par ailleurs, lorsque les modalités de calcul sont déterminées par l'employeur, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération variable a été effectué conformément aux modalités prévues, et il appartient à l'employeur de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié pour les années de référence ont été atteints. A défaut, il incombe au juge de fixer le montant de la rémunération en fonction des critères convenus entre les parties et des éléments de la cause.



En l'espèce, selon l'avenant n°2 au contrat du 1er juillet 2018, applicable à compter du 1er juillet 2018, la rémunération de M. [E], responsable de la Business Unit Huawei «'BUH'» comportait une rémunération brute mensuelle de 2 750 euros sur la base de 151,67 heures par mois, «'augmentée d'un intéressement variable calculé annuellement sur le volume de marge dégagé par les ventes réalisées dans les sociétés du groupe suivant les règles figurant en annexe 1'».



L'annexe 1 du 21 septembre 2018 dispose que «'dans le cadre de vos attributions en tant que Key Manager, vous serez garant du budget de fonctionnement regroupant les salaires chargés annuels de vos collaborateurs à date':

- chef de projet -[V] [X] 44 100 euros

- assistante ADV -[L] [Y] 31 752 euros

- Kay Account Manager (vous) 48 520 euros

- CCBU 261 160,2 euros



auxquelles s'ajouteront l'ensemble des frais de déplacement lié au fonctionnement de votre service et celle de la direction générale.

L'ensemble de ces charges sera dénommé «'compte de charge business unit'» CCBU, ce CCBU pourra être amené à évoluer en fonction des ressources que vous souhaiteriez recruter et seront soumises à l'appréciation de la direction générale.



La MARGE est calculée par la somme de la marge dégagée et facturée par toutes les entités du groupe. Sous réserve que l'entreprise ait un résultat positif.

L'assiette de rémunération variable de l'intéressement de votre service est calculée de la manière suivante': MARGE - 2.1CCBU = MARGE résiduelle



Si la marge résiduelle dégagée se situe dans les paliers décrits ci-dessous, elle déclenchera un intéressement variable selon le forfait indiqué.







MARGE RÉSIDUELLE



INTÉRESSEMENT





100 000 à 150 000 euros



5 000 euros





150 000 à 250 000 euros



10 000 euros





250 000 à 450 000 euros



15 000 euros





450 000 à 1 000 000 euros



25 000 euros





Plus de 1 000 000 euros



30 000 euros







Exemple': Marge = 500 000 euros

500 000 ' 2.1 *124 362 = 238 839,8 euros

Avec une marge résiduelle de 305 519 euros, vous vous situez au 2ème palier, savoir un intéressement de 10 000 euros à répartir au sein de votre Business Unit.



Il conviendra que vous proposiez à la direction générale une répartition de cette attribution d'intéressement variable de l'ensemble de vos collaborateurs vous y compris, la direction générale se réserve le droit de modification.

Le règlement de cet intéressement variable se calculera sur la période du 1er juillet N au 30 juin N+1, postérieurement à nos situations comptables et bilans qui entérinent nos comptes. (...)'».



Comme le souligne à juste titre M. [E], les dispositions de l'annexe 2 de l'avenant n°3 du 10 janvier 2019 afférentes à la rémunération variable ne s'appliquent pas en l'espèce puisque cette annexe précise être effective dès le 1er juillet 2019, date à laquelle M. [E] était déjà licencié.



Tel que le précise pour sa part l'employeur, l'intéressement déterminé par le tableau figurant à l'annexe fait l'objet d'une répartition au sein de la Business Unit entre l'ensemble des collaborateurs. Cet élément ressort en particulier des échanges de mails de mars 2019 entre M. [E] et la direction s'agissant de la répartition de la prime d'intéressement au sein de son équipe, puisque le salarié a proposé que la somme de 5 000 euros soit répartie à hauteur de 500 euros pour [L] [Y], 2 000 euros pour M. [X] et 2 500 euros pour lui-même (pièce 4 de l'employeur).



Les pièces produites aux débats par l'employeur (attestation de l'expert-comptable et montant du CCBU de la Business Unit à laquelle M. [E] appartenait) confirment le montant exact versé à M. [E] au titre de la prime d'intéressement. En effet, le comptable atteste en pièce 37 que la marge dégagée par les ventes réalisées dans les sociétés du groupe pour le client Huawei s'est élevée à 254 230 euros au second semestre 2018, tandis que les salaires de la Business Unit de M. [E] étaient de 55 026,87 (montant du CCBU), de sorte que 2.1 CCBU s'élevait à 115 556,43 euros. En appliquant le calcul prévu à l'annexe': 254 230 ' 115 556,43 = 138 673,57, la marge résiduelle est donc de 138 673,57 euros, ce qui génère un intéressement de 5 000 euros à répartir entre l'ensemble des collaborateurs de la business Unit.



C'est donc dans ces conditions que M. [E] a procédé à la répartition de la prime de 5 000 euros au sein de son équipe et qu'il a perçu la somme de 2 500 euros fin mars 2019 conformément à sa demande.



En conséquence, il convient de le débouter de sa demande au titre de la prime d'intéressement, par voie d'infirmation du jugement entrepris, tout comme de sa demande subsidiaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, pour laquelle M. [E] ne formule aucun motif, étant précisé sur ce point que l'analyse des faits précédemment évoqués ne révèle aucun manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.



Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile



Au vu de la solution du litige, chaque partie supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel, par voie d'infirmation de la décision entreprise.



L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Inovshop à ce titre en première instance, et qu'il convient de débouter les parties de leurs demandes à ce titre en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :



Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 28 octobre 2021, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Inovshop à verser à M. [E] une somme de 15 000 euros à titre de rappel de rémunération variable et de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et au titre des dépens,



Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,



Déboute la société Inovshop de ses demandes d'injonction et de condamnation au titre du matériel informatique, et de dommages-intérêts pour préjudice moral,



Déboute M. [E] de sa demande principale au titre de la rémunération variable et de sa prétention subsidiaire de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,



Déboute les parties du surplus de leurs demandes,



Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,



Dit que chacune des parties supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier, Le Président,

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