26 avril 2024
Cour d'appel de Lyon
RG n° 21/02937

CHAMBRE SOCIALE B

Texte de la décision

AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/02937 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NRHD





[Y]



C/

S.A.S.U. PLANETE DESAMIANTAGE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Lyon

du 25 Mars 2021

RG : F15/00590











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 26 AVRIL 2024







APPELANT :



[G] [Y]

né le 25 Avril 1974 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Samir BELLASRI, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société PLANETE DESAMIANTAGE venant aux droits de la société PLANÈTE ENVIRONNEMENT DÉSAMIANTAGE

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Bruno BRIATTA de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON







DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Février 2024



Présidée par Catherine CHANEZ, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



- Béatrice REGNIER, Présidente

- Catherine CHANEZ, Conseillère

- Régis DEVAUX, Conseiller





ARRÊT : CONTRADICTOIRE



Prononcé publiquement le 26 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;



Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




********************

EXPOSE DU LITIGE



La société Planète Environnement Désamiantage (ci-après la société) exerçait une activité de dépollution et autres services de gestion des déchets.



La convention collective applicable est celle des ouvriers du bâtiment.



M. [G] [Y] a été engagé par la société Planète Environnement Désamiantage aux droits de laquelle intervient la société Planète Désamiantage, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 20 août 2012 en qualité de technicien opérateur.



Par courrier du 26 novembre 2014, M. [Y] a démissionné.



Par courrier recommandé du 12 décembre 2014 l'employeur l'a autorisé à écourter son préavis et a fixé au 12 décembre le terme de la relation contractuelle.



Par courrier recommandé daté du 11 décembre 2014 et expédié le 8 janvier 2015, le salarié a contesté sa démission en faisant état de divers griefs.



Par requête du 13 février 2015k, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon afin de demander la requalification de sa démission en prise d'acte emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de présenter plusieurs demandes à caractère indemnitaire et salarial.



Par jugement du 25 mars 2021, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a :


Débouté M. [Y] de ses demandes ;

Débouté la société de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [Y] aux dépens.




Par déclaration du 22 avril 2021, M. [Y] a interjeté appel des dispositions de ce jugement le déboutant et le condamnant aux dépens.



Dans ses dernières conclusions déposées le 22 novembre 2021, il demande à la cour de :


Infirmer le jugement querellé ;

Condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

3 509 euros au titre du solde d'indemnité compensatrice de préavis ;

351 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;

41 341 euros au titre des heures supplémentaires ;

4 134 euros au titre des congés payés afférents aux heures supplémentaires ;

571 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

10 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail ;

29 730 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Débouter la société de ses demandes ;

Condamner la société aux dépens tant en cause d'appel que devant le conseil de prud'hommes.




Dans ses uniques conclusions déposées le 30 septembre 2021, la société demande pour sa part à la cour de :


Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes ;

Réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;





Condamner M. [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [Y] aux dépens de première instance et d'appel.




La clôture de la procédure a été prononcée le 9 janvier 2024.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.






MOTIFS DE LA DÉCISION



A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.





1-Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires



Constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 3121-10 du code du travail dans sa version applicable jusqu'au 10 août 2016, ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s'entend des heures de travail effectif et des temps assimilés.



Il résulte des dispositions de l'article L3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



En application de l'article L3121-22 applicable du 1er mai 2008 au 10 août 2016, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L3121-10, soit 35 heures, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des 8 premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.



En l'espèce, M. [Y] verse aux débats ses bulletins de salaire et les feuilles d'émargement hebdomadaires sur lesquelles il reportait le total de ses heures de travail jour par jour, entre octobre 2012 et décembre 2014. Plusieurs de ces tableaux ont été rectifiés par la hiérarchie, avec parfois la mention « temps effectivement travaillé », sans que le salarié n'ait acquiescé à cette modification.



Ces documents sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.



Ce dernier se contente d'affirmer que les heures supplémentaires relevées par le salarié ont bien été rémunérées, ce qui n'est pas exact.





La comparaison entre les tableaux et les fiches de paie confirme en effet que bon nombre d'heures supplémentaires n'ont pas été payées et l'employeur ne s'explique pas sur les dires de M. [Y] au sujet des primes qui pouvaient lui être versées pour payer en réalité des heures supplémentaires.



Au vu de l'ensemble des éléments présents dans les débats, la cour a la conviction que M. [Y] a accompli 164 heures supplémentaires à 50%. La société devra donc lui verser la somme de 3 700 euros à ce titre, outre 370 euros de congés payés afférents. Le jugement sera infirmé en ce sens.





2-Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail



En application de l'article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail s'exécute de bonne foi. Cette obligation est réciproque



M. [Y] se prévaut de divers manquements de l'employeur à son obligation de loyauté pour solliciter des dommages et intérêts, à savoir : le non-paiement de certaines heures supplémentaires, le dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, la privation de congés payés, un non-respect des règles de sécurité et un comportement discriminatoire.



La cour a déjà retenu que 164 heures supplémentaires n'avaient pas été rémunérées à M. [Y]. Il ressort en outre de la simple lecture des bulletins de salaire que celui-ci n'a pas pris tous les congés auxquels il avait droit sans qu'aucune indemnité ne lui soit payée en compensation, et que les heures supplémentaires rémunérées à elles seules ont excédé en 2013 et 2014 le contingent annuel, fixé par la convention collective à 145.



Sur la sécurité, il est constant que la durée maximale d'exposition est fixée à 6 heures au total par jour et à 2h30 par vacation. Or il ressort des registres des heures de travail sous EPI que ces durées n'étaient pas toujours respectées (2h40 d'exposition le 25 novembre 2013 par exemple à deux reprises et même 3h03 le 5 décembre 2014).



Il n'est pas contesté également que la réglementation impose la présence simultanée d'au moins deux salariés sur le chantier. Or cette obligation n'a pas été respectée le 5 décembre 2014 par exemple.



Enfin, sur la discrimination, l'article L.1132-1 du code du travail dispose, dans sa version applicable à l'espèce : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »



En application de l'article L 1134-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



En l'espèce, M. [Y] ne fait état d'aucune mesure, sanction ou décision qui aurait été motivée par une discrimination, se contentant de produire l'attestation d'un ancien salarié, M. [F], qui indique que les dirigeants s'amusaient à répéter que l'intéressé était dans son élément lorsqu'il était en mission dans des ZUP à [Localité 5] ou [Localité 7].



En conclusion, M. [Y] rapporte la preuve que son employeur a observé un comportement déloyal à son égard en le faisant travailler au-delà du contingent annuel sans compensation et même sans rémunération intégrale de ses heures, en ne rémunérant pas les congés auxquels il avait droit et en s'abstenant de respecter la réglementation en matière de sécurité au travail alors qu'il évoluait dans un milieu potentiellement dangereux pour sa santé.



Ce comportement lui a causé un préjudice dans la mesure où il aurait pu porter atteinte à sa santé, lequel sera réparé par le versement par la société de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros, en infirmation du jugement.





3-Sur la rupture du contrat de travail



La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.



Lorsque le salarié manifeste sa volonté claire et sans ambiguïté de rompre le contrat, cette rupture peut néanmoins être analysée en une prise d'acte et non comme une démission, lorsqu'elle résulte de faits qu'il impute à l'employeur, soit explicitement dans une lettre de démission (démission notifiée avec réserves), soit lorsque, la démission ayant été notifiée sans réserves, le salarié démontre qu'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines à la démission, qu'à la date où elle a été donnée, elle était équivoque.



En l'espèce, la lettre de démission datée du 26 novembre 2014 était claire et sans réserve, mais M. [Y] soutient que face aux manquements de l'employeur déjà exposés, ses conditions de travail rendaient impossible la poursuite de la relation de travail.



Même si la cour a considéré comme établis de nombreux manquements de la part de l'employeur en matière de sécurité et santé au travail et de durée du travail, le salarié ne démontre pas que la démission est survenue dans un contexte de conflit avec lui. Ainsi que le fait valoir la société, il ne lui avait pas fait part de griefs et n'avait porté aucune réclamation ni même aucune demande de paiement d'heures supplémentaires. Il n'apparaît pas non plus que dans un temps proche de sa démission il aurait dû subir des temps d'exposition hors normes ou effectuer un nombre d'heures supplémentaires excessif.



M. [Y] échouant à établir le caractère équivoque de sa démission, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail.





4-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile



Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société.



L'équité commande de condamner la société à payer à M. [Y] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la procédure d'appel.







PAR CES MOTIFS





LA COUR,



Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [G] [Y] de ses demandes d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne la société Planète Désamiantage, venant aux droits de la société Planète Environnement Désamiantage, à verser à M. [G] [Y] la somme de 3 700 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 370 euros de congés payés afférents ;



Condamne la société Planète Désamiantage, venant aux droits de la société Planète Environnement Désamiantage, à verser à M. [G] [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;



Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Planète Désamiantage ;



Condamne la société Planète Désamiantage, venant aux droits de la société Planète Environnement Désamiantage, à verser à M. [G] [Y] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la procédure d'appel .



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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