25 avril 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/11233

5ème chambre 2ème section

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions exécutoires
Me Alexandre AVRILLON
Me Nicolas BARETY
+ 1 copie dossier
délivrées le:




5ème chambre 2ème section


N° RG 21/11233
N° Portalis 352J-W-B7F-CU6WS

N° MINUTE :


Assignation du :
09 Août 2021









JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDERESSE

CAMILLE, société par actions simplifiée, enregistrée au registre du commerce et des sociétés sous le n°530032655, dont le siège social est situé [Adresse 1], représentée par son
Président, la société BOSQUET 18, elle-même représentée par son Président, Monsieur [L] [E].

représentée par Maître Alexandre AVRILLON de la SELARL AVRILLON HUET, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #A0394


DÉFENDERESSE

Compagnie d’assurance MUTUELLE CONFEDERALE D’ASSURANCE DES BURALISTES DE FRANCE Prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Nicolas BARETY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0041

Décision du 25 Avril 2024
5ème chambre 2ème section
N° RG 21/11233 - N° Portalis 352J-W-B7F-CU6WS


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Antoie de MAUPEOU, Premier Vice-Président adjoint
Antoinette LE GALL, Vice-Présidente
Christine BOILLOT, Vice-Présidente

assistés de Catherine BOURGEOIS, Greffier,



DÉBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant Christine BOILLOT, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.


JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

*****************

La SAS CAMILLE exploite un fonds de commerce de restauration traditionnelle, situé [Adresse 1], sous l'enseigne " [4] ".

Cette société a conclu le 31 janvier 2018 un contrat d'assurance Multirisque Professionnelle auprès de la compagnie MUDETAF pour cet établissement, où elle a déclaré les activités de  " bar-brasserie-restaurant avec 2 services/ jour : midi, soir capacité de l'établissement 110 couverts ", tacitement reconduit jusqu'au 31 décembre 2021, couvrant les pertes d'exploitation par référence aux pertes de marge brute. Ce contrat d'assurance est constitué de conditions particulières et de conditions générales.

Par arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, l'ensemble des restaurants et débits de boissons situés sur le territoire français ont été fermés au public par les autorités compétentes.

La SAS CAMILLE a donc été contrainte de fermer son établissement de la période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020. Les salles intérieures du restaurant " LE CAMPANELLA " sont par ailleurs restées fermées jusqu'au 11 juin 2020. Elle dit, de ce fait, avoir subi sur cette première période des pertes financières d'exploitation.

Puis, le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 a à nouveau ordonné la fermeture administrative des restaurants et débits de boissons, situés sur le territoire français. Et entre le 29 octobre 2020 et le 19 mai 2021, le " LE CAMPANELLA " n'a pas été ouvert au public. Il a de ce fait subi un nouveau préjudice et des pertes financières d'exploitation pour cette seconde période de fermeture.

Elle a donc déclaré à son assureur successivement ces deux sinistres par mail du 16 avril 2020 et courrier du 28 avril 2020 puis par courrier du 14 décembre 2020. Elle s'est toutefois heurtée à un refus de prise en charge de la part de son assureur, celui-ci considérant que l'impossibilité d'accès à l'établissement n'était pas établie alors qu'elle conditionne la prise en charge de ce sinistre, quand bien même l'établissement aurait été fermé sur décision des autorités administratives.

De sorte que la société CAMILLE a assigné la société MUDETAF devant le tribunal judiciaire de Paris, par exploit du 9 août 2021, aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses pertes d'exploitation pour ces deux périodes successives de fermeture de l'établissement.

La société CAMILLE, dans ses dernières écritures du 10 janvier 2023, demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa de l'article 1231-1 du code civil :
A titre principal de condamner la MUDETAF à lui verser 910.676 €, au titre de l'indemnité prévue au contrat d'assurance conclu ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le Tribunal considérerait que le préjudice de CAMILLE doit être établi à dire d'expert, elle demande de
-désigner tel expert qu'il plaira au tribunal afin d'évaluer le quantum du préjudice sur les deux périodes considérées ;
-la condamner à lui verser une indemnité provisionnelle égale à la moitié des demandes formées, soit 455.338 €,
-surseoir à statuer sur le quantum des dépens, dans l'attente de la remise du rapport d'expertise :
En tout état de cause, elle sollicite sa condamnation à lui payer 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens de l'instance comprenant, en cas d'exécution forcée, les frais d'huissier mis à la charge du créancier, et les frais de mesures conservatoires.

La société MUDETAF, dans ses dernières conclusions récapitulatives, transmises par RPVA le 23 mai 2022, demande au tribunal, au visa des articles 1103, 1231-1 et 1353 du code civil, L 112-4, L 113-1, L 113-2, L 113-8, L 113-9 et L 121-5 du code des assurances,
A titre principal, de juger que
-la demanderesse ne rapporte pas la preuve que les conditions de la garantie " Autres pertes pécuniaires - impossibilité d'accès " prévue à l'article 1 du chapitre III - Titre III - Livret 2 de la police d'assurance sont réunies.
-la garantie perte d'exploitation " suite à fermeture administrative " prévue à l'article 3 du chapitre III - Titre IV - Livret 2 de la police d'assurance est assortie d'une clause d'exclusion, formelle et limitée, qui ne vide nullement la garantie de sa substance, et trouve dès lors à s'appliquer en l'espèce ; et en conséquence, la débouter de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire, elle sollicite le débouté des demandes, puisque la police d'assurance prévoit que l'indemnité contractuelle doit être déterminée à dire d'expert et, puisque la demanderesse ne prend pas en compte la tendance de l'activité ni les aides reçues de l'Etat et qu'elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le montant de sa demande respecte les dispositions contractuelles ;
A titre plus subsidiaire, elle demande de faire application de la réduction proportionnelle de capitaux à concurrence de 34,69 %, et en conséquence, juger que le montant de l'indemnité éventuellement due à la société CAMILLE sera réduit de 34,69 % c'est-à-dire affecté d'un pourcentage de 65,31%.
En tout état de cause, elle sollicite :
-d'écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir et à défaut, ordonner sa consignation ;
-de condamner la demanderesse à lui payer 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus complet de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2023. L'affaire a été renvoyée à l'audience à juge-rapporteur du 7 mars 2024.


MOTIFS DE LA DECISION

La demanderesse argue de ce que les conditions de la garantie perte d'exploitation prévues à la police sont réunies et établies par elle, puisque la défenderesse concède qu'il y a bien eu une décision administrative de fermeture de l'établissement, de sorte que la première condition de la garantie est établie. Elle ajoute que l'impossibilité d'accès au restaurant est acquise, sans qu'il y ait à distinguer l'impossibilité d'accès et la fermeture de l'établissement, les deux renvoyant à une situation identique. Elle soutient qu'il y a effectivement eu impossibilité d'accès pour la clientèle, sans que la société d'assurance puisse opposer que les dirigeants et les salariés pouvaient accéder au restaurant, cette circonstance étant indifférente au regard des pertes d'exploitation invoquées, et renvoyant à une lecture excessivement restrictive des droits de l'assuré et de la clause, non compatible avec les exigences de l'article 1190 du code civil.
Elle ajoute que la possibilité de se livrer à des activités de vente à emporter, invoquée par la défenderesse, est indifférente. Le seul fait que certains restaurants, qui en avaient fait le choix, se livrent à des ventes à emporter, ne suffisant pas à établir qu'ils étaient ouverts au public, de sorte qu'il convient de faire droit à ses demandes relatives aux pertes financières consécutives à la fermeture administrative.
Elle précise en outre que la clause d'exclusion invoquée par l'assureur n'est en aucun cas formelle et limitée et prive la garantie d'assurance de sa substance, en cas de pandémie et d'épidémie, lorsque celle-ci a une portée nationale, la référence à la région, prévue au contrat, ne renvoyant pas au maillage administratif français, mais à l'acception commune de ce mot, soit à une étendue, une zone ou une contrée, ce qui constitue son sens premier, dans le dictionnaire de l'académie française, la circonscription administrative n'étant visée qu'en une seconde acception de ce terme. Elle précise, au demeurant, que c'est la première acception de ce terme qui est d'ailleurs utilisée, à plusieurs titres, dans la police, en page 21 des conditions générales pour définir les événements climatiques visés, ou pour viser, page 31, des produits régionaux. Elle relève même que la référence au mot région est visée sans majuscule.
Elle considère enfin que l'exclusion n'est pas formelle et limitée et qu'une épidémie ne saurait être limitée à une circonscription administrative, alors qu'elle se réfère à une maladie contagieuse.
Enfin, elle avance que l'évaluation des préjudices à laquelle elle se livre, est conforme aux termes de la police souscrite, et s'élève à 910.676 €. Quand bien même une expertise serait ordonnée, pour évaluer les pertes d'exploitation, conformément aux termes de la police, elle revendique le versement de la moitié de ces sommes, à titre provisionnel. Elle souligne que la compagnie d'assurance n'a, à aucun moment, proposé de mettre en œuvre une telle expertise jusque-là, alors que la police le prévoit, ce qui traduit qu'elle y a renoncé, et que la preuve qu'elle ait perçu des aides d'Etat n'est pas rapportée par l'assureur.

La société d'assurance défenderesse sollicite le rejet des demandes de la société CAMILLE opposant que les conditions de la garantie ne sont pas réunies. Elle avance en outre que l'exclusion de garantie visée est bien formelle et limitée.
A titre subsidiaire, la société défenderesse argue de ce que le quantum de l'indemnisation doit être revu, la demanderesse ne rapportant pas la preuve qui lui incombe que le montant de sa demande respecte les dispositions contractuelles pour prendre en compte notamment la tendance de l'activité les aides reçues de l'Etat ; à titre plus subsidiaire, elle demande de faire application de la réduction proportionnelle de capitaux à concurrence de 34,69 %.
En tout état de cause, elle sollicite d'écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir et à défaut, ordonner sa consignation.

Sur ce

L'article 1110 du code civil, dispose que le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties.

L'article 1170 dudit code, ajoute que toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

L'article 1190 du même code précise que dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé.

En matière d'assurance en application de l'article 1353 du code civil, il est de principe que face à une condition de la garantie, il revient à l'assuré de démontrer que les conditions du contrat sont réunies en vue d'obtenir le bénéfice de la garantie, alors que dans l'hypothèse d'une clause d'exclusion de garantie, il revient à l'assureur de prouver que les éléments de faits d'exclusion prévus au contrat sont remplis et qu'il ne doit dès lors pas sa garantie.

La répartition de cette charge de la preuve ne peut être modifiée par voie contractuelle.

La condition de garantie fixe les circonstances dans lesquelles le sinistre doit être survenu pour que la garantie puisse être accordée. Elle n'est pas soumise aux exigences de l'article L. 113:1 qui concerne uniquement les exclusions de garantie.

L'exclusion de garantie pose quant à elle en substance le principe d'une garantie mais en exclut du bénéfice certains sinistres en fonction des circonstances dans lesquelles il est survenu. Elle doit répondre au formalisme de l'article L 113.1 du code des assurances.

En vertu de l'article L 113-1, du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

Sur le fondement de ce dernier texte, il est de principe qu'une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire, ou si elle prête à interprétation.

La garantie perte d'exploitation est ainsi libellée aux conditions générales du contrat (p. 37) :
" 1. Nature de la garantie :
Est assurée la perte de marge brute subie par le sociétaire durant la période d'indemnisation mentionnée aux Conditions Particulières à la suite de la diminution de son Chiffre d'Affaires causée par :
A/ L'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise consécutive à une impossibilité d'accès édictée par les autorités compétentes, uniquement si elle est constitutive à un fait accidentel survenant :
- Soit dans des bâtiments voisins ;
- Soit dans d'autres parties du bâtiment occupé par le Sociétaire
- Soit sur la voie publique.
B/ La fermeture du commerce, consécutive à :
- Des travaux de réparations indispensables à l'intégrité du bâtiment ou à la poursuite
de l'activité professionnelle de l'assuré.
- Des dommages matériels directs suite à un vol par effraction. "
Les conditions générales de la police prévoient aussi une exclusion présentée en gras dans le texte produit (p. 50)
" 3.1 -Nature de la garantie :
La garantie " Pertes d'Exploitation " est octroyée en cas de réduction ou d'interruption de l'activité du commerce assuré consécutive aux mesures administratives suivantes :
o fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement, par décision administrative par suite de maladies contagieuses, meurtres, suicides, épidémies, intoxications ;
o fermeture des accès par une autorité administrative compétente ayant comme conséquence l'impossibilité pour les clients d'arriver ou de repartir de l'établissement.
(…)
3.3 - Exclusions :
1/ - Les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture collective d'établissements dans une même région ou sur le plan national (…).".
Les conditions particulières, de la présente police se réfèrent également à cette garantie perte d'exploitation et stipulent au §3 " Autres pertes pécuniaires " du §11" Garantie des pertes financières " :
" Vos garanties (…) Autres pertes pécuniaires consécutives à :
- l'impossibilité d'accès édictée par les autorités compétentes.
- l'impossibilité d'accès consécutive à un fait accidentel : (…) "

Et au titre des limites de garanties, il est stipulé aux garanties particulières qu'est indemnisé le " préjudice réel correspondant à la perte de marge brute ", la " période d'indemnisation étant limitée à 3 mois ". Il est encore précisé " Toute autre indemnisation dont bénéficierait le Sociétaire à ce titre serait déduite de l'indemnité de la MUDETAF ".


Sur les conditions de la garantie et sur l'application de la garantie impossibilité d'accès par l'autorité compétente
A titre liminaire, il convient de relever que la MUDETAF ne conteste pas que les conditions de la garantie " Pertes d'exploitation " prévue au contrat précité sont remplies par la fermeture des établissements sur le territoire national consécutive aux mesures gouvernementales ayant interdit aux établissements de catégorie N d'accueillir du public.

La société CAMILLE avance qu'elle établit, en l'occurrence, que les conditions de la garantie perte d'exploitation prévues à la police sont réunies, puisque la défenderesse concède qu'il y a bien eu une décision administrative de fermeture de l'établissement, c'est-à-dire que la première condition de la garantie est établie. Or, elle fait valoir que l'impossibilité d'accès au restaurant est acquise.
Elle ajoute que, le fait qu'elle se soit livrée, lors du deuxième confinement, à de la vente à emporter, alors qu'il ne s'agissait que d'une faculté ouverte à ce type d'établissement, n'est pas de nature à exclure le jeu de la garantie, puisque, même si la vente à emporter restait possible, elle a en réalité essuyé des pertes financières en la réalisant lors du second confinement.

Ainsi, seule l'impossibilité d'accès aux locaux est discutée en l'occurrence. Or, il résulte des termes des conditions générales et des conditions particulières précitées que la définition de l'impossibilité d'accès est claire et ne nécessite aucune interprétation, elle vise l'hypothèse d'une impossibilité matérielle, peu important qu'elle concerne le personnel, la clientèle ou le propriétaire, par les moyens de transport habituellement utilisés, qui peuvent être notamment les véhicules personnels ou les transports en commun, explicitement visés.

Les conditions générales précitées renvoient d'ailleurs à " l'impossibilité pour les clients d'arriver ou de repartir de l'établissement " elles définissent, ce faisant, l'accès. La clause ne prête pas à interprétation.

D'ailleurs, est spécialement visée à cette police l'impossibilité d'accès à la voie publique, de sorte que l'invocation de l'article 1190 du code civil par la demanderesse, est inopérante

En l'espèce, les locaux de la société CAMILLE sont demeurés matériellement accessibles, seul l'accueil des clients à l'intérieur des établissements étant interdits à compter du 14 mars 2020. La vente à emporter demeurait autorisée, faculté que la société demanderesse reconnaît avoir effectivement exercée lors du second confinement visé, même si elle n'a pas mis en œuvre cette faculté lors du premier confinement.

Il résulte en effet de l'article 1 de l'arrêté du Ministre de la Santé et des Solidarités du 15 mars 2020 instaurant les restrictions de circulation et de fréquentation des établissements recevant du public jusqu'au 15 avril 2020 que les restaurants peuvent vendre des plats à emporter à leurs clients. Cette autorisation n'a pas été retirée par le décret numéro 2020-423 du 14 avril 2020 qui a prolongé les mesures de confinement jusqu'au 11 mai 2020. Elle a été reformulée à l'article 10 du décret numéro 2020-458 du 11 mai 2020, prolongeant les mesures restrictives applicables aux restaurants. Par décret numéro 2020-663 du 31 mai 2020, ces mesures ont été levées, à compter du 2 juin 2020, sauf pour les restaurants se trouvant en zone orange qui étaient néanmoins autorisés à exercer une activité de vente à emporter. Ainsi, pendant la période allant du 15 mars au 15 juin 2020, la société CAMILLE pouvait vendre des plats à emporter à ses clients. Son restaurant ne faisait donc pas l'objet d'une mesure d'interdiction d'accès.

Et le fait que la requérante ait en réalité essuyé des pertes financières, et connu une réduction d'activité lors du second confinement, en réalisant des ventes à emporter, est dès lors sans incidence, puisque les conditions de mise en œuvre de la garantie ne sont, partant, pas réunies.

La société CAMILLE ne saurait opérer une distinction entre l'accès extérieur, au pas de porte, et l'accès intérieur, ce qui serait ajouter aux termes clairs de l'acte qui vise l'accès en général, le terme impossibilité étant particulièrement restrictif, et ne renvoyant pas aux difficultés d'accès alléguées par la requérante mais à une impossibilité plus absolue.

Les mesures prises par les pouvoirs publics et visées par la demanderesse, ne peuvent être assimilées à une impossibilité d'accès à l'établissement assuré, puisqu'un tel accès restait matériellement et légalement possible, notamment en raison des dérogations accordées pour la vente à emporter et/ou des dérogations de déplacement, les moyens de transport et les voies de transport restant accessibles. La vente à emporter suppose au moins que le personnel ait accès aux cuisines.

Au demeurant, à l'occasion de la crise sanitaire, les pouvoirs publics ont, effectivement adopté des mesures d'interdiction d'accès à certains sites. Ont ainsi été pris des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'accès au littoral, ou d'interdiction d'accès à des parcs et jardins. Tel n'est pas le cas pour cet établissement, compte tenu de l'activité exercée. Cela traduit que cette notion est distincte de celle liée à une interdiction de recevoir du public, mesure visée par la requérante.

Il en résulte que les conditions de la garantie ne sont pas réunies et que les demandes d'indemnisation de ce chef de la société CAMILLE seront rejetées.






Sur le caractère formel et limité de la clause d'exclusion et sur le fait qu'elle prive la garantie d'assurance pertes financières consécutives à une fermeture administrative de sa substance au regard des exigences du code des assurances
A titre liminaire, il convient de relever que bien que la société demanderesse évoque incidemment dans ses écritures le formalisme attaché aux clauses d'exclusion de garantie, elle ne conteste pas, pour sa part, que la clause opposée en l'espèce est rédigée en caractères apparents de façon à attirer spécialement l'attention de l'assuré puisqu'elle est rédigée en gras.

Par ailleurs, la clause d'exclusion s'appliquant à la garantie sur laquelle elle porte, la " fermeture collective d'établissements " qui y est visée doit faire suite à une décision administrative qui définit le territoire concerné par cette fermeture. C'est donc à la décision administrative imposant la fermeture qu'il faut se référer pour connaître le territoire concerné et, partant, savoir si la garantie s'applique. L'expression " sur le plan national " est dépourvue de toute ambiguïté en ce qu'elle renvoie nécessairement à l'ensemble du territoire national, point qui ne fait d'ailleurs pas l'objet de débats. Le terme " région " envisagé dans la même phrase, s'entend donc nécessairement de la circonscription administrative visée à la loi n°2015-29 du 16 janvier 2015, relative à la délimitation des régions, compte tenu de la juxtaposition de ces termes côte à côte, qui suppose pour donner une portée effective à cette clause, et ne pas vider la garantie de sa portée au regard des exigences de l'article 1170 du code civil précité, d'opposer l'échelon régional et national à l'échelon communal et départemental. L'exclusion se trouve ainsi utilement délimitée, sans priver la garantie d'assurance de sa substance au regard des exigences de l'article L113-1 précité du code des assurances.

Par ailleurs, il convient de souligner s'agissant du terme " établissement  " visé qui manquerait de clarté, aux dires de la demanderesse, que ce terme est dépourvu de toute ambigüité puisqu'il est énoncé en première page des conditions particulières de la police pour viser le fonds de commerce de restauration traditionnelle, situé [Adresse 1], sous l'enseigne " [4] ", ayant une activité " bar-brasserie-restaurant avec 2 services/ jour : midi, soir capacité de l'établissement 110 couverts " s'agissant de conditions générales applicables à l'hôtellerie restauration. La " fermeture collective d'établissements " qui est visée est consécutive à une décision administrative qui définit le territoire concerné par cette fermeture et la collectivité en cause. C'est donc à la décision administrative imposant la fermeture qu'il faut se référer pour connaître le territoire et la collectivité concernés, et partant savoir si la garantie s'applique ou non. Là encore, le terme est clair et précis et ne prête à aucune interprétation et la garantie n'est pas dépourvue de portée compte tenu du maillage administratif français.

Le terme " épidémie " doit, dans la mesure où il n'est pas défini par la police, comme le relève la demanderesse, être entendu dans son sens commun, soit l' " apparition accidentelle d'un grand nombre de cas (d'une maladie infectieuse transmissible), ou accroissement considérable du nombre des cas dans une région donnée ou au sein d'une collectivité ". Et si la demanderesse soutient qu'une épidémie ne peut être cantonnée à une circonscription administrative, force est d'admettre que la clause ne renvoie pas à une hypothèse impossible, et que la garantie n'est pas dépourvue de toute portée, dans la mesure où elle permet de couvrir des hypothèses, telles que des cas de légionellose ou de salmonellose, survenus dans l'établissement ou dans un établissement voisin. Par ailleurs, la propagation épidémique peut avoir lieu à moindre échelle que le plan national ou régional, par exemple à l'échelle d'un département, ou d'une commune, voire de l'arrondissement d'une grande ville, de sorte que, là encore, la garantie n'est pas dépourvue de toute portée et que la clause renvoie bien à une exclusion formelle et limitée.

Il résulte de ce qui précède, que la perte d'exploitation dont la demanderesse sollicite l'indemnisation ne résulte pas d'un des faits générateurs prévus au contrat qui permet de la mobiliser ; la compagnie d'assurance défenderesse est donc bien fondée à opposer un refus de garantie à la demanderesse.

o Sur les demandes accessoires

La SAS CAMILLE, partie perdante, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser à la compagnie défenderesse la somme de 1500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile. La demanderesse sera déboutée de sa propre demande de frais irrépétibles.
Compte tenu de l'issue du litige, il n'y a pas lieu d'assortir le prononcé de la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire.


PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE la SAS CAMILLE de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE la SAS CAMILLE à payer une somme de 1500 € à la compagnie MUDETAF, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS CAMILLE aux dépens ;

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.



Fait et jugé à Paris le 25 Avril 2024


Le GreffierLe Président



Catherine BOURGEOISAntoine de MAUPEOU

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.