24 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 24-80.671

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00638

Texte de la décision

N° H 24-80.671 F-D

N° 00638


RB5
24 AVRIL 2024


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 AVRIL 2024



M. [L] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 23 janvier 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'association de malfaiteurs et tentative d'extorsion en bande organisée avec arme, en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Clément, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [V], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Clément, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [L] [V] a été mis en examen le 18 janvier 2023 des chefs d'association de malfaiteurs et tentative d'extorsion en bande organisée avec arme, en récidive, et placé en détention provisoire le même jour.

3. Il a désigné deux avocats : M. Karim Morand-Lahouazi, puis M. Tarek Koraitem.

4. M. Koraitem a demandé la délivrance d'un permis de communiquer le 20 décembre 2023.

5. Les deux avocats ont été convoqués le 27 décembre 2023 pour un débat contradictoire, fixé le 8 janvier 2024, en vue d'une éventuelle prolongation de la détention.

6. A l'issue de ce débat, qui s'est déroulé en l'absence d'avocat, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], qui a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche


7. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, alors :

« 1°/ qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat résultant de l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense ; le défaut de délivrance en temps utile de cette autorisation à un avocat régulièrement désigné, le privant notamment de la possibilité d'assister utilement son client lors du débat contradictoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen et porte irrémédiablement atteinte aux droits de la défense, même en l'absence de demande de renvoi du débat contradictoire, lequel renvoi n'a d'ailleurs aucun caractère automatique ; en retenant que la circonstance selon laquelle l'avocat désigné n'a pas obtenu le permis de communiquer avec son client réclamé bien antérieurement à l'audience devant le juge des libertés et de la détention, ne saurait caractériser une atteinte aux droits de la défense de nature à entrainer la nullité de l'ordonnance entreprise en l'absence de demande de renvoi, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé, ensemble les articles 114 et 145-2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, 115 et 145-2 du code de procédure pénale :

9. En vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant de l'article 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense. Il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés qui en a fait la demande, avant un débat contradictoire tenu en vue de l'éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen, sauf s'il résulte d'une circonstance insurmontable.

10. Pour rejeter le moyen de nullité du débat contradictoire, pris de l'absence de délivrance du permis de communiquer à l'avocat de M. [V], l'arrêt attaqué énonce que le 14 novembre 2023, deux avocats ont été désignés au soutien des intérêts de M. [V], ce dernier ayant toutefois indiqué que les convocations devaient être adressées au premier avocat désigné, M. Morand-Lahouazi.

11. Les juges ajoutent que les deux avocats de M. [V] ont été régulièrement convoqués le 27 décembre 2023 en vue du débat du 8 janvier 2024 et qu'aucun d'entre eux n'a demandé le report en raison de son indisponibilité.

12. Ils en déduisent que la circonstance que l'un des avocats, en l'occurrence le second, n'avait pas obtenu le permis de communiquer avec son client, réclamé antérieurement à l'audience, ne saurait caractériser une atteinte aux droits de la défense, en l'absence de demande de sa part de renvoi de l'audience dont il était avisé et à laquelle il ne s'est pas présenté pour assurer la défense de M. [V].

13. En se déterminant ainsi, en l'absence de circonstance insurmontable ayant empêché la délivrance à l'avocat, en temps utile, d'un permis de communiquer avec la personne détenue, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

16. Elle entraînera la mise en liberté de M. [V], s'il n'est détenu pour autre cause.

17. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

18. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [V] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

19. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :

- empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que les investigations qui se poursuivent doivent être protégées d'un risque d'interférences, d'autant plus élevé que M. [V] conteste sa participation aux faits, alors que certaines de ses réponses sont en contradiction avec les éléments objectifs de la procédure et les déclarations de son co-mis en examen, M. [M] [T] et que, ses liens avec les autres personnes mises en examen, particulièrement les quatre mineurs, devant encore être précisés, il est nécessaire d'éviter toute pression sur M. [T] et les mineurs impliqués ;

- mettre fin à l'infraction et prévenir son renouvellement, en ce que M. [V] a déjà été condamné à de multiples reprises, notamment pour vols aggravés et infraction à la législation sur les stupéfiants, qu'en dépit de deux ans de suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, il est mis en cause pour ces faits nouveaux de nature criminelle, qu'il ne semble disposer que de revenus modestes, dont il n'a pas justifié, alors que les infractions pour lesquelles il est mis en examen sont particulièrement rémunératrices, que deux sursis avec mise à l'épreuve ont déjà été révoqués, ce qui témoigne de ses difficultés à se réinsérer et que, dans un contexte d'infractions commises en bande organisée, l'ensemble de ces éléments fait craindre une réitération ;

- garantir la représentation en justice de l'intéressé, en ce que M. [V] est célibataire, sans enfant, hébergé par sa mère, qu'il n'a pas démontré sa capacité à respecter un cadre judiciaire contraint comme en témoignent les révocations de sursis avec mises à l'épreuve et le non-respect de son sursis probatoire, et que les enjeux de la procédure et l'importance de la peine qu'il encourt en raison de la gravité des faits et de son passé judiciaire sont de nature à faire craindre son absence de présentation aux actes de la procédure.

20. Afin d'assurer ces objectifs, M. [V] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

21. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 23 janvier 2024 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. [V] est détenu sans titre depuis le 17 janvier 2024 à 00 heure dans la présente procédure ;

ORDONNE la mise en liberté de M. [V] s'il n'est pas détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [V] ;

DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :

- ne pas sortir des limites territoriales du département des Hauts-de-Seine, sauf pour répondre aux convocations en justice ;

- ne s'absenter de son domicile, qu'il convient de fixer chez Mme [H] [V], [Adresse 1], qu'aux conditions suivantes : entre 6 heures 00 et 21 heures 00 ;

- se présenter au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant son élargissement, puis chaque lundi et jeudi au commissariat de [Localité 3], [Adresse 2] ;

- remettre au greffe du juge d'instruction, au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant son élargissement, tout justificatif de son identité et notamment son passeport, en échange d'un récépissé valant justificatif de l'identité ;

- s'abstenir de recevoir ou de rencontrer les personnes dont les noms suivent, ou d'entrer en contact avec elles, de quelque façon que ce soit : MM. [M] [T], [A] [Z], [B] [G] [U], [X] [R] et [S] [N] ;

- ne pas détenir ou porter une arme ;

DÉSIGNE le commissariat de [Localité 3], pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus ;

DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre.

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