25 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/01959

Pôle 1 - Chambre 10

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10



ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01959 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHAPV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Janvier 2023 -Juge de l'exécution de BOBIGNY RG n° 22/10844



APPELANTE



Madame [P] [J] épouse [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Paul NGELEKA de la SELASU AVOCAT TAYLOR, avocat au barreau de PARIS, toque : A0532



INTIMES



DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE [Localité 4]

Agissant pour le compte du comptable du service des impôts des entreprises de Livry Gargan

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Elise BARANIACK de la SCP BOSQUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB 173



S.A. SOCIETE GENERALE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Anne SEVIN de la SCP MARTINS SEVIN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB05



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 14 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre

Madame Catherine LEFORT, Conseillère

Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller



qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER



ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.


Par lettre recommandée avec accusé de réception signée le 14 décembre 2021, M. [M] [H] a reçu une notification de saisie administrative à tiers détenteur d'un montant de 33 632 euros portant sur la taxe sur la valeur ajoutée et pénalités au titre de l'année de 2008, opérée entre les mains de la Société Générale à la demande du service des impôts des entreprises de [Localité 6].



Par acte du 13 juin 2022, M. [M] [H] et Mme [P] [J] épouse [H] ont assigné la direction départementale des finances publiques de [Localité 5], agissant pour le compte du service des impôts des entreprises de [Localité 6], et la Société Générale devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de mainlevée de la saisie administrative à tiers détenteur.



Par jugement du 3 janvier 2023, le juge de l'exécution a :

- déclaré recevables les demandes de Mme [H],

- débouté Mme [J] épouse [H] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [J] épouse [H] aux dépens,

- condamné Mme [J] épouse [H] à payer au service des impôts des entreprises de [Localité 6] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [J] épouse [H] à payer à la Société Générale la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Pour statuer ainsi, le juge a estimé qu'il ne pouvait être reproché à Mme [H] de ne pas avoir formé de recours préalable auprès de l'administration fiscale dès lors que la saisie n'a été notifiée qu'à son mari et qu'elle n'a reçu aucun document l'informant des délais et voies de recours. Il a ensuite relevé que la saisie avait été pratiquée sur le compte joint de M. et Mme [H] et que les sommes déposées étaient réputées acquêt de la communauté sauf à prouver qu'il s'agissait de biens propres ou de salaires, ce que Mme [H] n'avait pas démontré. Il a donc considéré qu'elle ne rapportait pas la preuve de l'insaisissabilité des fonds. Il a ensuite rejeté sa demande indemnitaire, aucune faute de l'intimée n'étant caractérisée.



Par déclaration du 18 janvier 2023, Mme [H] a interjeté appel du jugement.



Par conclusions du 14 mars 2023, Mme [H] demande à la cour de :


infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

ordonner la mainlevée à hauteur de la somme de 5'941,07 euros de l'avis à tiers détenteur du 9 décembre 2021 au frais du requérant,

condamner la Société Générale à lui verser à la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil et d'information,

condamner le comptable des impôts du SIP du Raincy à lui verser la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie administrative abusive,

condamner solidairement la Société Générale et M. le comptable des impôts du SIE du Raincy à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.




Elle fait valoir que la saisie a été effectuée sur le compte joint Société Générale dont elle est cotitulaire et régulièrement alimenté par ses seuls salaires ; que ses relevés de compte à la Banque Postale mentionnent les virements de ses salaires versés par son employeur public (la trésorerie de [Localité 4]), insaisissables au sens de l'article 1414 du Code civil. Elle ajoute qu'il s'agit d'une dette fiscale de l'entreprise artisanale de son époux qui n'a donc pas pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, rappelant qu'il n'y a pas de solidarité des dettes lorsque l'obligation n'a pas été contractée pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, conformément à l'article 220 du code civil. Elle produit une reconnaissance de dette qui atteste de sa qualité de débitrice de la somme de 5.500 euros empruntée à son fils [G] et soutient que la somme prêtée par celui-ci est un bien propre.



Par conclusions signifiées le 30 mars 2023, M. le comptable des impôts du SIE du Raincy demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner l'appelante à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Il soutient que la saisie du 9 décembre 2021 n'a pas fait l'objet de contestation par M. [H] dans le délai légal de 2 mois prévu par l'article R 281-3-1 du livre des procédures fiscales à peine d'irrecevabilité, rendant la saisine du juge de l'exécution irrecevable. Il souligne que le défaut de dénonciation de la saisie au cotitulaire du compte joint n'est pas susceptible d'entraîner sa caducité. Il ajoute que la Société Générale, en sa qualité de tiers saisi, a informé Mme [H] de ce qu'elle pouvait bénéficier d'une mise à disposition immédiate d'une somme équivalant, à son choix, au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ou au montant mensuel moyen des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie et qu'elle n'a pas apporté de réponse dans le délai de 30 jours qui lui était imparti. Selon M. le comptable des impôts, elle ne démontre pas que les sommes constituent pour elle des revenus, les relevés bancaires qu'elle produit en cause d'appel n'établissant pas que ses salaires sont versés sur le compte saisi.



Par conclusions signifiées le 11 avril 2023, la Société Générale demande à la cour de :




confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 3 janvier 2023.

dire la demande de dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil et d'information de la Société Générale concernant le remboursement par anticipation du prêt immobilier irrecevable et en toute hypothèse non fondée,


En conséquence,


débouter Mme [J] épouse [H] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 5.941,07 euros,

condamner Mme [J] épouse [H] à la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [J] épouse [H] en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Martins - Sevin, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.




Elle rappelle qu'elle a adressé à Mme [J] épouse [H] le 14 décembre 2021, dès réception de l'avis à tiers détenteur, un courrier l'informant de la saisie pratiquée et des dispositions de l'article R.162-9 du code des procédures civiles d'exécution. Elle soutient que Mme [J] épouse [H] ne prouve pas que ses salaires sont versés sur ce compte joint et ne démontre pas le caractère insaisissable des fonds. Elle ajoute que la demande de dommages-intérêts pour manquement au devoir de conseil de la banque concernant le remboursement anticipé du prêt immobilier est irrecevable, pour être formée pour la première fois devant la cour et qu'elle est en outre sans aucun rapport avec la mesure d'exécution forcée contestée.




MOTIFS :



Sur la recevabilité de la contestation de la saisie :



Il est exact qu'en vertu des articles L.281, R 281-1 et R 281-3-1 du livre des procédures fiscales, les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, (') doivent faire l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire appuyé de toutes justifications et que si le requérant, n'obtient pas satisfaction ou en l'absence de décision dans le délai de deux mois de l'opposition, il a alors la faculté de porter le litige en justice, dans un délai de deux mois, qui suit soit la notification de la décision prise dans le délai de deux mois, soit l'expiration du délai de deux mois imparti au directeur pour statuer.



Au cas présent, la saisie administrative à tiers détenteur du 9 décembre 2021 n'a pas fait l'objet de contestation par M. [H] dans le délai légal de 2 mois prévu à peine d'irrecevabilité.



C'est cependant de manière pertinente que le juge de l'exécution a retenu que la saisie n'avait été notifiée par le service des impôts des entreprises qu'à M. [H], et non à son épouse de sorte qu'il ne saurait être reproché à Mme [H] de ne pas avoir respecté la procédure de recours préalable de l'article L281 du livre des procédures fiscales.



La contestation Mme [J] épouse [H] est donc recevable.



Sur la mainlevée de la saisie administrative à tiers détenteur :



Aux termes de l'article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu.



Par ailleurs, l'article 1414, alinéa 1er du code civil pose le principe de l'insaisissabilité des gains et salaires d'un époux pour le paiement des dettes nées du chef de son conjoint, sauf lorsque les obligations ont été contractées pour l'entretien du ménage et l'éducation des enfants, conformément à l'article 220 du même code.



Aux termes de l'article R. 162-9 du code des procédures civiles d'exécution, « lorsqu'un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d'un époux commun en biens, fait l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou d'une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d'une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l'époux commun en biens une somme équivalant, à son choix :

- au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ;

- au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie. »



Il est constant, au cas présent, que la saisie administrative à tiers détenteur a été pratiquée sur un compte joint des époux [H] mariés sous le régime légal de la communauté, ouvert à la Société Générale et ce, pour recouvrement d'une créance fiscale née de l'activité professionnelle de l'époux.



A la date de la saisie, se trouvait sur le compte joint une somme de 6.506,41 euros dont 5.941,07 euros ont été saisis.



Cette somme déposée sur le compte joint, ainsi réputée acquêt de la communauté, est parfaitement saisissable, à moins que Mme [H] ne démontre qu'il s'agit de biens propres ou de ses salaires bénéficiant de la protection de l'article 1414 du code civil cité plus haut.



Une partie des fonds résulte de virements en date des 8 novembre et 7 décembre 2021 provenant d'un compte dont elle ne produit pas les références, ni a fortiori les relevés bancaires, de sorte qu'elle ne démontre pas l'origine de ces sommes. En cause d'appel, elle verse aux débats les relevés bancaires d'un compte ouvert à son nom à la Banque Postale sur lequel la Trésorerie de Montfermeil lui verse son salaire, mais aucun virement n'apparaît au profit du compte joint ouvert à la Société Générale. Elle ne rapporte donc pas la preuve que le compte saisi est alimenté par ses salaires.











L'autre partie des fonds (5500 euros) provient d'un virement émis le 13 décembre 2021 par son fils, M. [G] [H], au titre d'un prêt qu'il lui aurait consenti à titre gratuit le 8 décembre 2021. Il ne s'agit donc pas d'un gain ou salaire, cette somme déposée sur le compte commun des époux devant être présumée commune aux époux, en application de l'article 1402 du code civil qui dispose que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il soit propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi. »



C'est donc à juste titre que le juge de l'exécution a considéré que Mme [H] échouait à prouver l'insaisissabilité des fonds, et qu'il a rejeté la demande de mainlevée de la saisie administrative à tiers détenteur.



Le jugement doit être confirmé.



Sur la demande de dommages et intérêts pour saisie abusive :



Sur le fondement de l'article L 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, qui dispose que le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie, Mme [H] formule une demande de dommages et intérêts de 6.000 euros à l'encontre du service des impôts, estimant avoir été injustement privée de ses biens du fait de la saisie abusive.



Cependant, le comptable du service des impôts des entreprises de Livry Gargan ayant entrepris à l'encontre de Mme [H] une saisie administrative régulière dont la demande de mainlevée a été rejetée, aucune faute ne saurait lui être reprochée.



La demande de dommages-intérêts de la débitrice à l'encontre de l'intimé ne peut donc prospérer.



En conséquence, le jugement sera confirmé.



Sur les dommages-intérêts pour manquement au devoir de conseil et d'information de la Société Générale :



Indiquant avoir formulé auprès de la Société Générale une demande de remboursement de prêt par anticipation, Mme [H] fait grief à l'établissement bancaire de ne pas l'avoir suffisamment informée de ses obligations et du risque inhérent à l'opération envisagée, justifiant, selon elle, une indemnisation à hauteur de 5 941,07 euros.



Cependant, outre que cette demande est sans aucun lien avec la saisie administrative à tiers détenteur de sorte qu'elle n'entre pas dans les pouvoirs du juge de l'exécution, elle est irrecevable pour avoir été présentée pour la première fois à hauteur d'appel et ce, en application des articles 564 et 566 du code de procédure civile qui interdisent aux parties d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge des demandes nouvelles.



La demande de dommages et intérêts doit être déclarée irrecevable.



Sur les demandes accessoires



Au vu de l'issue du litige, il convient de confirmer les condamnations accessoires de Mme [H], qui succombe en ses prétentions, et de la condamner aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Martins - Sevin, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.







En outre, il n'est pas inéquitable de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du comptable du service des impôts des entreprises de [Localité 6] et de la société Générale ; et de condamner à ce titre Mme [H] à leur payer à chacun la somme de 500 euros.



PAR CES MOTIFS



CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 janvier 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny,



Y ajoutant,



DECLARE irrecevable la demande de dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil formée par Mme [P] [J] épouse [H] à l'encontre de la Société Générale,



CONDAMNE Mme [P] [J] épouse [H] à payer au comptable du service des impôts des entreprises de [Localité 6] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE Madame [P] [J] épouse [H] à payer à la Société Générale la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE Mme [P] [J] épouse [H] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Martins - Sevin, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Le greffier, Le président,

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