25 avril 2024
Cour d'appel d'Orléans
RG n° 24/00923

Chambre des Rétentions

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers



ORDONNANCE du 25 AVRIL 2024

Minute N°

N° RG 24/00923 - N° Portalis DBVN-V-B7I-G7FM

(4 pages)













Décision déférée : Juge des libertés et de la détention d'Orléans en date du 23 avril 2024 à 12h00



Nous, Ferréole Delons, conseiller à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Hermine Bildstein, greffier stagiaire en pré-affectation sur poste, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,






APPELANT :

LA PRÉFECTURE DE LA SEINE-SAINT-DENIS

représentée par Me Wiyao Kao du cabinet Actis Avocats, avocat au barreau de Val-de-Marne ;





INTIMÉ :

M. [G] [O]

né le 22 décembre 2002 à [Localité 4] (Maroc), de nationalité marocaine

sans adresse connue

régulièrement convoqué au centre de rétention d'[Localité 2], dernière adresse connue en France

non comparant, représenté par Me Emmanuelle Larmanjat, avocat au barreau d'Orléans ;





MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l'heure de l'audience ;









À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans, conformément à l'article L. 743-8 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), le 25 avril 2024 à 14 heures ;



Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;



Vu l'ordonnance rendue le 23 avril 2024 à 12h00 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Orléans constatant l'illégalité du placement en rétention et mettant fin à la rétention administrative de M. [G] [O] ;



Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 24 avril 2024 à 10h44 par la préfecture de la Seine-Saint-Denis;





Après avoir entendu :

- Me Wiyao Kao, en sa plaidoirie ;

- Me Emmanuelle Larmanjat, en sa plaidoirie ;

- M. [G] [O], en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;







AVONS RENDU ce jour, publiquement et contradictoirement, l'ordonnance suivante :





Il résulte de l'article 66 de la Constitution et de l'article L. 743-9 du CESEDA que le juge des libertés doit s'assurer que l'étranger est pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir lorsqu'il se trouve placé en rétention administrative.



Aux termes de l'article L. 743-12 du CESEDA, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la main levée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.

Selon l'article L. 741-3 du CESEDA , « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps nécessaire à son départ, l'administration étant tenue d'exercer toutes diligences à cet effet, dès le placement en rétention »,



Pour fonder sa décision et motiver le rejet de la première demande de prolongation pour une durée de 28 jours de la rétention administrative de M. [G] [O], le juge des libertés et de la détention a, dans son ordonnance du 23 avril 2024, retenu d'une part que le moyen tiré du défaut de notification de l'arrêté est recevable même en l'absence de requête de contestation, car cette dernière est nécessairement postérieure à son édition, et d'autre part que l'identité de l'interprète n'était en l'espèce pas indiquée sur l'acte de notification, seule sa signature y figurant ; cette dernière n'étant pas identique aux autres signatures inscrites sur l'ensemble des actes de la procédure policière, une irrégularité devait être constatée et entraîner la main levée de la rétention administrative de M. [G] [O], en raison de l'atteinte substantielle portée à ses droits.



Sur l'irrecevabilité du moyen tiré de la notification irrégulière de l'arrêté de placement, en l'absence de requête de contestation, le conseil de la préfecture estime que la régularité d'une notification d'une décision administrative relève du contrôle de sa légalité et ne pouvait donc être étudié, en l'absence d'une requête déposée par le retenu, en application des dispositions de l'article L. 741-10 du CESEDA. Toutefois, la cour considère que la régularité d'une notification d'un arrêté de placement et des droits y afférents, via le truchement d'un interprète, s'analyse non pas comme un contrôle de légalité, mais comme une exception de procédure au sens de l'article 74 du code de procédure civile, qu'ainsi ce moyen était tout à fait recevable en l'espèce.



Sur l'absence de mention de l'identité de l'interprète sur la notification de l'arrêté de placement en centre de rétention administrative, le conseil de la préfecture rappelle que le recours à un interprète est obligatoire si l'intéressé déclare ne pas comprendre le français, mais que si ce dernier est présent physiquement, il n'est nullement exigé qu'il soit spécialement assermenté et il importe donc peu de connaitre son identité.



Il ressort des dispositions de l'article L. 141-2 et L. 141-3 du CESEDA que lorsqu'un étranger fait l'objet d'une décision de placement en rétention, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend, en précisant s'il sait la lire ; ces informations doivent être retranscrites dans la procédure et la langue que l'intéressé a déclaré comprendre doit être utilisée jusqu'à la fin de la procédure.



Les dispositions combinées des articles L. 744-4 et R. 744-16 du CESEDA impliquent que l'intéressé doit se voir notifier, dans les meilleurs délais et dans une langue qu'il comprend, ses droits en rétention. Un procès-verbal de notification des droits en rétention est établi et signé par l'intéressé, qui en reçoit un exemplaire, le fonctionnaire qui en est l'auteur et, le cas échéant, l'interprète. Toutefois, aucun texte n'exige la mention du nom de l'interprète, que ce soit sur la notification de l'arrêté de placement ou sur le procès-verbal de notification des droits en rétention.



Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 141-3 que l'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas le lire. Les dispositions du même article, alinéa 2, précisent qu'en cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication et que dans cette hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste. Au regard de ces dispositions, il peut donc être affirmé qu'a contrario, il n'est pas nécessaire de faire appel à un interprète inscrit sur une liste, pourvu que ce dernier assure la traduction en la présence physique de l'étranger.



En l'espèce, il ressort des actes de la présente procédure que M. [G] [O] a déclaré ne pas comprendre le français, nécessitant la présence d'un interprète en langue arabe, en la personne de M. [Z] [S], dûment requis par les services de police le 20 avril 2024. Par la suite, cet interprète était présent pour l'ensemble des actes de la procédure, y compris lors de la notification de la fin de garde à vue, le 20 avril à 17h00, le procès-verbal établi en ce sens portant la mention suivante : « lecture et traduction effectuées par le truchement de Monsieur [S] [Z], langue arabe et kabyle, le nommé [O] [W] persiste et signe le présent avec nous' ». L'arrêté de placement a quant à lui été notifié à 17h05, et il semble qu'une signature différente de celles figurant en procédure soit inscrite sur le document. Toutefois, à en observer également le procès-verbal de prestation de serment de M. [Z] [S], aucune incohérence ne peut être relevée.

Il n'existe donc aucun doute, au vu de la ressemblance des signatures, sur le fait que la notification de l'arrêté de placement ait bien eu lieu en présence de M. [Z] [S], étant en outre précisé que celui-ci pouvait être remplacé par un autre interprète, peu important que ce remplaçant soit inscrit sur une liste ou non, pourvu que l'intervention ait lieu en présentiel. C'est donc à tort que le premier juge a déclaré la procédure irrégulière de ce chef.



Sur le défaut de mention du nom l'agent notificateur, le retenu reproche l'absence de mention du nom de l'agent ayant notifié l'arrêté de placement en rétention. Or, s'il est exact que le fait, pour la notification de l'arrêté de placement du 20 avril 2024 de ne comporter que la signature de l'agent notificateur sans y adjoindre son nom, prénom et/ou matricule entache cette dernière d'une irrégularité, cela ne rend pas pour autant l'acte administratif nul, mais en suspend simplement les voies de recours. En outre, aucun grief n'est prouvé par l'intéressé, qui ne démontre pas l'atteinte substantielle à ses droits, condition indispensable au sens de l'article L. 742-12 du CESEDA pour entraîner la main levée de la rétention administrative. Le moyen est rejeté.



Sur la compétence du signataire de l'arrêté de placement, le moyen soulevé vise à contester la légalité externe de l'acte et n'est donc pas recevable en l'absence d'une requête en contestation de l'arrêté de placement déposée dans les 48 heures suivant la notification de ce dernier. Au surplus, il sera précisé que l'arrêté a été signé par Mme [J] [B], cheffe du bureau de l'éloignement, dont l'identité est bien mentionnée sur la délégation de signature du 22 mars 2024.



Sur l'identité figurant dans l'arrêté de placement, le raisonnement est le même qu'énoncé ci-dessus, en l'absence de transmission d'une requête en contestation de l'arrêté de placement. De plus, il sera affirmé par la cour que l'intéressé est bien malvenu à se prévaloir d'un tel argument alors que la consultation du fichier automatisé des empreintes digitales en procédure a révélé l'usage d'un grand nombre d'alias par ce dernier. Ainsi, il s'avère que les identités figurant respectivement sur l'arrêté de placement et sur l'OQTF servant de base légale à ce dernier désignent la même personne, et il ne fait aucun doute sur l'individu visé dans chacune de ces décisions. Le préfet n'est d'ailleurs pas tenu dans ses décisions de faire mention de l'ensemble des alias employé par l'étranger.



Sur l'impossibilité d'effectuer un recours en contestation de l'arrêté de placement, M. [O] [G] affirme n'avoir pu s'entretenir avec France terre d'asile qu'une heure avant la fin du délai de contestation de l'arrêté de placement, fixé le 22 avril à 17 heures. Sur ce point, la cour constate que l'intéressé, en rétention depuis le 20 avril 2024 à 17h05, est arrivé au LRA de [Localité 1] le même jour à 19h15, avant d'en repartir le 22 avril 2024 à 12h54, pour une arrivée au CRA d'[Localité 3] le même jour à 14h40, un rappel de ses droits en rétention ayant été effectué à 14h45. L'intéressé bénéficiait donc de plusieurs plages horaires, malgré le déplacement du LRA de [Localité 1] au CRA d'[Localité 3], pour prendre contact avec une association ou un avocat, et adresser une requête en contestation du placement dont il fait l'objet : il ne démontre aucunement avoir été privé de tels droits. Il suit que le moyen est rejeté.

Sur le moyen tiré des diligences de la préfecture, le conseil de M. [O] [G] reproche à cette dernière de ne pas avoir demandé de routing. Toutefois, il ressort des pièces du dossier de l'intéressé que ce dernier est dépourvu de document de voyage en cours de validité et n'a pas encore été reconnu par les autorités consulaires. Ainsi, il n'est pas pertinent d'imposer à la préfecture de demander un routing, le plan de vol risquant d'être annulé si la délivrance de laissez-passer n'intervient pas à bref délai. En outre, il est constaté que l'autorité administrative a tenté de contacter par fax le consulat général du Maroc à [Localité 5] mais que cet envoi n'a pu aboutir en raison d'une défaillance technique. Par conséquent, la Direction Générale des Etrangers en France a été saisie le 21 avril 2024, et il sera constaté que la préfecture, qui n'est tenue qu'à une obligation de moyen et non de résultat, a effectué des diligences nécessaires et suffisantes à ce stade de la procédure administrative de rétention, s'agissant d'une première demande de prolongation. De plus, il n'est pas pertinent d'imposer à la préfecture de signaler aux autorités consulaires l'ensemble des alias utilisés par l'intéressé, s'agissant d'identités fictives tendant justement à faire obstacle à son identification. Le moyen est rejeté.



Aussi, en l'absence de toute illégalité susceptible d'affecter les conditions, découlant du droit de l'Union, de la légalité de la rétention, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance attaquée.







PAR CES MOTIFS,



DÉCLARONS recevable l'appel interjeté par la préfecture de la Seine-Saint-Denis;



RECEVONS les moyens soulevés par La préfecture de Seine-Saint-Denis ;



INFIRMONS l'ordonnance déférée ;



STATUANT A NOUVEAU :



ORDONNONS la prolongation du maintien de monsieur dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de VINGT HUIT JOURS à compter du à compter du 22 avril à 17h05.



LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;



ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à La préfecture de Seine-Saint-Denis à M. [G] [O] et son conseil, et au procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;



Et la présente ordonnance a été signée par Ferréole Delons, conseiller, et Hermine Bildstein, greffier présent lors du prononcé.





Fait à Orléans le VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE, à heures



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,



Hermine BILDSTEIN Ferreole DELONS









Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.



NOTIFICATIONS, le 25 avril 2024 :

La préfecture de Seine-Saint-Denis, par courriel

Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel

M. [G] [O] , au CRA d'[Localité 2], dernière adresse connue en France

Me Wiyao Kao, avocat au barreau du Val-de-Marne, copie remise en main propre contre récépissé

Me Emmanuelle Larmanjat, avocat au barreau d'ORLEANS, copie remise en main propre contre récépissé



L'avocat de la préfecture L'avocat de l'intéressé

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