25 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-20.348

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:C300211

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 avril 2024




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 211 F-D

Pourvoi n° X 22-20.348




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024

1°/ Mme [B] [R], épouse [P], domiciliée lieu-dit [Adresse 2],

2°/ M. [G] [P], domicilié [Adresse 3],

3°/ M. [S] [P], domicilié lieu-dit [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° X 22-20.348 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2022 par la cour d'appel de Lyon (baux ruraux), dans le litige les opposant au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) reconnu de Carré, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [P], MM. [P], de Me Haas, avocat du groupement agricole d'exploitation en commun reconnu de Carré, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 17 juin 2022), le 1er novembre 1985, le groupement agricole d'exploitation en commun de Carré (le GAEC) a pris à bail à ferme des parcelles de terre, appartenant, pour partie, à Mme [B] [P], pour une autre partie, à Mme [B] [P] et M. [H] [P] et, pour le surplus, à M. [G] [P] (les consorts [P]).

2. Le 29 avril 2019, les consorts [P] ont délivré au GAEC des congés, à effet au 31 octobre 2021, aux fins de reprise de l'ensemble des parcelles pour exploitation par M. [G] [P].

3. Le 6 juin 2019, le GAEC a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation des congés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les consorts [P] font grief à l'arrêt d'annuler les congés délivrés le 29 avril 2019 au GAEC, alors :

« 1°/ que les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur l'ensemble des pièces versées aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour justifier des moyens nécessaires à l'exploitation du bien repris, [G] [P] avait produit et visé dans ses conclusions d'appel un relevé de compte bancaire au 31 octobre 2019 sur lequel apparaissait un solde créditeur de 22 792,67 euros ; que pour dire que [G] [P] ne justifie pas posséder les moyens d'acquérir le cheptel et le matériel nécessaires à l'exploitation du bien repris, la cour d'appel a chiffré à 18 600 euros le coût de démarrage de l'exploitation et a retenu que la seule source de financement dont disposerait l'intéressé est une aide d'un montant de 12 200 euros ; qu'en statuant ainsi, sans examiner le relevé de compte bancaire au 31 octobre 2019 produit par M. [P] sur lequel apparaissait un solde créditeur de 22 792,67 euros, ce qui, couplé à l'aide financière susmentionnée, justifiait amplement la possession des moyens d'acquérir le cheptel et le matériel nécessaires à la reprise, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur l'ensemble des pièces versées aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour justifier des moyens nécessaires à l'exploitation du bien repris, [G] [P] avait également produit et visé dans ses conclusions d'appel une attestation de présentation des comptes de son activité de charpentier du 11 mars 2019 sur laquelle figurait un résultat net comptable de 16 087 euros ; que pour dire que [G] [P] ne justifie pas posséder les moyens d'acquérir le cheptel et le matériel nécessaires à l'exploitation du bien repris, la cour d'appel a chiffré à 18 600 euros le coût de démarrage de l'exploitation et a retenu que la seule source de financement dont disposerait l'intéressé est une aide d'un montant de 12 200 euros ; qu'en statuant ainsi, sans examiner l'attestation de présentation des comptes de son activité de charpentier du 11 mars 2019 sur laquelle figurait un résultat net comptable de 16 087 euros, ce qui, couplé à l'aide financière susmentionnée, justifiait amplement la possession des moyens d'acquérir le cheptel et le matériel nécessaires à la reprise, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que M. [G] [P] avait besoin de mobiliser 18 600 euros avant de démarrer son exploitation, sans compter le coût de la machine de mise sous vide, la cour d'appel a relevé, d'abord, qu'il n'indiquait aucune autre source de financement que la demi-dotation jeune agriculteur qu'il justifiait avoir sollicitée et dont le montant serait de 12 200 euros. Elle a ajouté, ensuite, que, si les consorts [P] affirmaient que la clôture avait d'ores et déjà été financée, ils ne produisaient qu'un devis et un bon de commande. Puis, elle a retenu que, quant à l'outillage, le bénéficiaire de la reprise produisait la facture de réparation d'un tracteur dont l'identité du propriétaire n'était pas précisée, et une liste qui contenait, de toute évidence, essentiellement des outils destinés à son entreprise de charpente, exception faite de la débroussailleuse et du broyeur à végétaux. Enfin, elle a estimé que M. [G] [P] n'indiquait pas avec quel matériel il mènerait à bien son exploitation fourragère.

6. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, en a souverainement déduit que M. [G] [P] ne possédait ni le matériel nécessaire au démarrage de l'exploitation, ni les moyens de les acquérir.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. Les consorts [P] font grief à l'arrêt de les condamner à payer au GAEC la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel, le GAEC de Carré sollicitait le versement d'une somme de seulement 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en condamnant les consorts [P] à payer au GAEC de Carré la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'instance devant le tribunal paritaire des baux ruraux et l'instance d'appel, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. Le GAEC conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du code de procédure civile.

10. L'article 616 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2014-1338 du 6 mars 2014, n'exclut l'ouverture d'un pourvoi en cassation que lorsque la décision attaquée a omis de statuer sur un chef de demande, et non quand elle s'est prononcée sur des choses non demandées.

11. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :

12. Aux termes du premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

13. Aux termes du second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

14. L'arrêt condamne les consorts [P] à verser au GAEC la somme de 2 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

15. En statuant ainsi, alors que le GAEC avait demandé l'allocation d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Tel que suggéré par les parties, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

18. En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner les consorts [P] à verser au GAEC la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés lors de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il statue sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne Mme [B] [P], M. [H] [P] et M. [G] [P] à verser au groupement agricole d'exploitation en commun de Carré, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés lors de l'instance d'appel ;

Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun de Carré aux dépens de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées de ce chef par les parties devant la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

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