22 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/03380

Pôle 4 - Chambre 13

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 22 Avril 2024



(n° , 4 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/03380 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHES2



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :




Statuant sur la requête déposée le 03 Février 2023 par M. [P] [N]

né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 4], élisant domicile au cabinet de Me Augustin d'Ollone - [Adresse 2] ;



Non comparant et représenté par Me Augustin D'OLLONE, avocat au barreau de Paris ;



Vu les pièces jointes à cette requête ;



Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;



Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;



Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 04 Mars 2024 ;



Entendu Me Adrien ROBIN représentant M. [P] [N],



Entendu Me Anne-Laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,



Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,



Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;



Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;



* * *

M. [P] [N], né le [Date naissance 1] 1993, de nationalité française, a été mis en examen des chefs de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme en vue de commettre des crimes contre les personnes et de port d'arme de catégorie A par des personnes en relation avec une entreprise terroriste, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [3] le 19 mai 2017 et ce, jusqu'au 28 septembre 2017, date à laquelle il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris.





Le 17 juin 2021, la cour d'assises spécialement composée de Paris a prononcé l'acquittement de M. [N].



En appel, par arrêt du 5 octobre 2022, la cour d'assises spécialement et autrement composée de Paris a confirmé la décision de première instance.



M. [N] a produit un certificat de non pourvoi du 18 octobre 2022 de la décision de la cour d'assises d'appel qui a un caractère définitif.



Le 03 février 2023, M. [N] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.



Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 100 000 euros au titre de son préjudice moral,

* 1 500 euros au titre de son préjudice matériel,

* 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Dans ses écritures, déposées le 28 juin 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de juger la requête recevable, de réduire à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 13 000 euros, la demande formulée par M. [N] au titre de son préjudice moral, de rejeter sa demandes au titre du préjudice matériel et de réduire à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder 1 000 euros la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 30 janvier 2024, conclut à la recevabilité de la requête pour une durée de détention de cent-trente-deux jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et au rejet de la demande d'indemnisation des frais exposés pour la défense.



Le requérant a eu la parole en dernier.




SUR CE,



Sur la recevabilité



Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.



Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.



Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.



M. [N] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 03 février 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision d'acquittement est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non pourvoi en date du 18 octobre 2022 de la décisions d'acquittement de la cour d'assises d'appel du 03 octobre 2022.



Sur l'indemnisation



- Sur le préjudice moral



M. [N] considère qu'il a subi un choc carcéral violent car il n'avait jamais été incarcéré auparavant et qu'il a été brutalement et injustement privé de sa liberté. Il fustige ses condition de détentions à la MA de [3] en raison de son statut de terroriste où il avait l'interdiction d'avoir un co-détenu, de participer aux activités scolaires ou extra-scolaires et il faisait l'objet de fouilles intégrales humiliantes avant et après chaque parloir avocat. Il évoque également le préjudice d'angoisse lié à l'importance de la peine encourue de 30 ans de réclusion criminelle. Il fait état enfin de la durée longue et traumatisante de sa détention pendant 132 jours qui a eu des conséquences sur son psychisme, et ce d'autant plus qu'il était éloigné de sa famille et de ses proches. C'est pourquoi il sollicite une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral.



L'agent judiciaire de l'Etat considère que l'absence de passé carcéral du requérant n'est pas un facteur aggravant du choc carcéral mais un élément de base de ce choc carcéral. Il y a lieu de prendre en compte également la situation personnelle et familiale du requérant en tenant compte du fait que sa soeur a obtenu un permis de visite. Il convient également de retenir qu'en sa qualité de détenu terroriste M. [N] n'a pas pu participer aux différentes activités au sein de la maison d'arrêt. S'agissant des conditions de détention, il n'est produit aucun élément qui justifie de l'existence de conditions de détentions indignes propres au requérant. C'est pourquoi il est proposé l'allocation d'une somme de 13 000 euros en réparation du préjudice moral.



Le procureur général indique que M. [N] n'avait jamais été incarcéré et se trouvait être célibataire et sans enfant, mais entretenait une relation forte avec sa soeur qui a pu aller le voir en détention. Il y a lieu de retenir un choc carcéral important en raison de l'absence de passé carcéral, de la séparation d'avec sa famille et du fait qu'il s'est retrouvé isolé en détention et ne pouvant pas participer aux activités collectives, hormis la promenade.



Il ressort des pièces produites aux débats que M. [N] était âgé de 23 ans au moment de son incarcération et était célibataire, sans enfant. Il entretenait cependant des relations importantes avec ses parents et sa soeur qui a néanmoins obtenu un permis de visite pour pouvoir aller le voir en détention. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire porte trace d'une condamnation en décembre 2015 pour des faits d'infractions à la législation sur les stupéfiants et de sortie irrégulière de correspondance a une peine d'emprisonnement avec sursis. C'est ainsi qu'en l'absence d'incarcération antérieure, le choc carcéral initial a été important.



La durée de la détention provisoire, 132 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.



S'agissant de ses conditions de détention, le fait que le requérant avait un statut de détenu terroriste faisait qu'il bénéficiait d'un régime dérogatoire le plaçant à l'isolement en cellule et le privant des activités collectives au sein de l'établissement pénitentiaire, ce qui constitue un facteur aggravant du choc carcéral.



Selon la jurisprudence de la Commission National de la Réparation des Détentions (CNRD), le sentiment d'injustice ne peut être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral. Néanmoins, l'importance de la peine encourue, 30 ans de réclusion criminelle, constitue un facteur aggravant.



Le fait d'avoir été isolé de sa famille lorsqu'il a été placé sous contrôle judiciaire loin cde la région parisienne ne peut être pris en compte car cet élément ne résulte pas du placement en détention provisoire.



Il n'est pas démontré non plus que le psychisme de M. [N] ait été altéré à la suite de sa détention, aucun élément médical n'étant produit à cet égard.



C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [N] une somme de 16 000 euros en réparation de son préjudice moral.



- Sur le préjudice matériel



M. [N] sollicite l'allocation d'une somme de 1 500 euros au titre des frais qu'il a engagés pour sa défense dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, et notamment une visite au parloir de la maison d'arrêt, une demande d'enquête de faisabilité d'une surveillance électronique et une demande de mise en liberté.



Selon l'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère public, aucune facture n'étant produite aux débats, il y a lieu de rejeter la demande qui n'est pas justifiée.



Selon la jurisprudence de la CNRD, les frais d'avocat ne sont pris en compte au titre du préjudice causé par la détention qu si ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.



Or, force est de constater que M. [N] ne produit aucune facture d'honoraires de son conseil relatif au contentieux de la détention provisoire et la demande en ce sens sera rejetée.



C'est ainsi qu'aucune somme ne sera allouée à M. [N] en réparation d'un préjudice matériel.



Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [N] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



Déclarons la requête de M. [P] [N] recevable,



Lui allouons les sommes suivantes :

- 16 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Déboutons M. [P] [N] de sa demande au titre de la réparation de son préjudice matériel.



Laissons les dépens à la charge de l'Etat.



Décision rendue le 22 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ

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