4 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-84.520

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00424

Titres et sommaires

FICHIERS ET LIBERTES PUBLIQUES - Fichiers de police judiciaire

Texte de la décision

N° V 23-84.520 F-B

N° 00424


ODVS
4 AVRIL 2024


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 AVRIL 2024


M. [U] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bourges, chambre correctionnelle, en date du 6 juillet 2023, qui, pour menace aggravée, refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétique et refus de se soumettre à un prélèvement biologique, l'a condamné, pour les deux premières infractions, à huit mois d'emprisonnement avec sursis, pour la troisième à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société [1], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [U] [E] a été poursuivi par le procureur de la République des chefs de menace de destruction avec ordre de remplir une condition, avec la circonstance que ladite destruction était dangereuse pour les personnes, fait commis au préjudice du journal [1], menace avec ordre de remplir une condition de commettre un crime ou un délit contre les personnes, fait commis au préjudice de Mme [W] [P] et du journal précité, refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétique et refus de se soumettre à un prélèvement biologique.

3. Par jugement du 23 novembre 2022, le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu du chef de menace de mort avec ordre de remplir une condition, l'a déclaré coupable pour le surplus et l'a condamné, pour les faits de menace de destruction et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique, à une amende de 200 euros. Le tribunal a statué sur l'action civile.

4. M. [E] a relevé appel et le ministère public a formé appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné le prévenu pour refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétique et refus de se soumettre à un prélèvement génétique, alors que la collecte des données biométriques et génétiques d'une personne mise en cause dans une affaire pénale ne peut être systématique et doit répondre à une exigence d'absolue nécessité compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction présumée commise, des circonstances de sa commission, du lien éventuel avec d'autres procédures en cours, des antécédents ou du profil individuel de la personne mise en cause ; qu'en se bornant à relever que cette collecte apparaissait comme le moyen le plus efficace d'identifier le ou les auteurs d'un incendie criminel, voire d'innocenter le prévenu si d'autres personnes avaient agi en son nom ou en ses lieux et place alors que ce dernier n'est mis en cause pour aucun fait d'incendie criminel, en relevant que la menace de destruction par un moyen dangereux est un délit suffisamment grave alors qu'elle n'est pas parmi les infractions les plus graves, que le casier de l'intéressé est vierge et qu'il présente un trouble grave de la personnalité, sans qu'une expertise ait été ordonnée pour en justifier, la cour d'appel a méconnu la directive UE 2016/680 du 27 avril 2016, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2023, C-205/21, et l'article 593 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 10 de la directive UE 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, le traitement des données génétiques, comme celui des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, est autorisé uniquement en cas de nécessité absolue, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée.

7. Aux termes de l'article 4, 1, a) à c) de la directive précitée, les États membres prévoient que les données à caractère personnel sont traitées de manière licite et loyale, sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées d'une manière incompatible avec ces finalités, et sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

8. Selon l'article 8, § 1 et 2, du même texte, les États membres prévoient que le traitement n'est licite que si et dans la mesure où il est nécessaire à l'exécution d'une mission effectuée par une autorité compétente, à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et où il est fondé sur le droit de l'Union ou le droit d'un État membre. Une disposition du droit d'un État membre qui réglemente le traitement relevant du champ d'application de la présente directive précise au moins les objectifs du traitement, les données à caractère personnel devant faire l'objet d'un traitement et les finalités du traitement.

9. La directive UE 2016/680 a été transposée en droit interne, par la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, qui a modifié la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; les principes précités sont énoncés, dans la version du texte actuellement en vigueur, par les articles 6, I, et 88 de ce dernier texte.

10. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 10 de la directive 2016/680 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale qui prévoit la collecte systématique des données biométriques et génétiques de toute personne mise en examen pour une infraction intentionnelle poursuivie d'office aux fins de leur enregistrement, sans prévoir l'obligation, pour l'autorité compétente, de vérifier et de démontrer, d'une part, si cette collecte est absolument nécessaire à la réalisation des objectifs concrets poursuivis et, d'autre part, si ces objectifs ne peuvent pas être atteints par des mesures constituant une ingérence de moindre gravité pour les droits et les libertés de la personne concernée (CJUE, arrêt du 26 janvier 2023, Ministerstvo na vatreshnite raboti, Glavna direktsia za borba s organiziranata prestapnost, C-205/21).

11. Dans cette décision, la Cour de justice de l'Union européenne considère que la nécessité absolue de collecter des données biométriques et génétiques n'est établie que lorsque sont d'abord réunis suffisamment d'éléments de preuve de l'implication de la personne concernée dans l'infraction. Cependant, même dans ce cas la collecte pourra n'obéir à aucune nécessité concrète aux fins de la procédure pénale en cours. Toutefois, il se peut que les données biométriques et génétiques soient absolument nécessaires pour les besoins d'autres procédures.

12. En tout état de cause, selon la Cour de justice de l'Union européenne, il appartient à la juridiction saisie de se prononcer au regard de l'ensemble des éléments pertinents, tels que, notamment, la nature et la gravité de l'infraction présumée pour laquelle la personne est poursuivie, les circonstances particulières de cette infraction, le lien éventuel de ladite infraction avec d'autres procédures en cours, les antécédents judiciaires ou le profil individuel de la personne en cause.

13. En l'espèce, pour déclarer le prévenu coupable de refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétique et refus de se soumettre à un prélèvement biologique, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'infraction en cause, soit la menace de destruction par un moyen dangereux pour les personnes sous condition, est un délit suffisamment grave, s'agissant de l'incrimination de propos, pour faire encourir de l'emprisonnement ferme.

14. Les juges ajoutent que les faits font suite à un article de presse consécutif à l'homicide dont le frère de M. [E] a été victime, l'intéressé n'hésitant pas à faire pression sur un quotidien de presse régional pour censurer la relation d'un fait divers.

15. Ils soulignent que la directrice du journal a précisé que M. [E] avait déjà proféré des menaces par le passé.


16. Ils relèvent que le prévenu a récemment été condamné par la cour d'appel de Bourges, le 20 octobre 2022, pour des faits de harcèlement commis au préjudice d'élus communaux et que, si son casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation, il présente un grave trouble de la personnalité et une absence totale de remise en cause, qui ne permet pas de négliger l'éventualité de nouveaux passages à l'acte.

17. Ils ajoutent qu'au regard des menaces claires et précises proférées par le prévenu de faire incendier un journal par des tiers, la collecte des données biométriques et génétiques du prévenu est le moyen le plus efficace d'identifier l'auteur ou les auteurs d'un incendie criminel, voire d'en innocenter M. [E], si d'autres avaient agi en son nom.

18. Ils concluent à l'absence de disproportion du relevé des informations biométriques et génétiques, de sorte que le refus de se soumettre aux opérations de prélèvement est injustifié.

19. En l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui a caractérisé que l'atteinte portée à la vie privée du prévenu par les relevés signalétiques et prélèvements biologiques auxquels il s'est soustrait était absolument nécessaire à la prévention d'une infraction pénale grave dont il avait menacé qu'elle soit commise, et à la conduite de l'enquête pouvant en résulter si elle était commise, a justifié la proportionnalité de la sanction du refus par le demandeur de se soumettre à ces prélèvements.

20. Elle a, par ailleurs, pris en compte les éléments de contexte, relatifs à la personnalité du prévenu, sans qu'il ait été nécessaire d'ordonner une expertise à cet égard.

21. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné le prévenu à huit mois d'emprisonnement avec sursis, d'une part, deux mois d'emprisonnement avec sursis, d'autre part, aux motifs que ce dernier a nié les faits, n'a pas exprimé de regrets, laissant craindre de nouveaux passages à l'acte, et qu'il a refusé de répondre à la cour d'appel sur sa situation personnelle ; qu'en statuant ainsi, alors que la peine doit être fixée compte tenu des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale, que le prévenu bénéficie du droit de se taire et que le casier judiciaire de l'intéressé ne mentionne aucune condamnation, la cour d'appel a violé les articles 132-1 du code pénal, préliminaire, 406 et 593 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

23. Pour condamner le prévenu à huit mois d'emprisonnement avec sursis pour menace aggravée et refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétique et à deux mois d'emprisonnement avec sursis pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique, l'arrêt attaqué, après avoir exposé la gravité des faits, énonce que le casier judiciaire de l'intéressé ne mentionne aucune condamnation et que, par arrêt du 20 octobre 2022, il a notamment été condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour harcèlement.

24. Les juges retiennent que le prévenu a nié les faits et n'a exprimé aucun regret quant à ses agissements, laissant craindre de nouveaux passages à l'acte.

25. Ils relèvent qu'il a refusé de répondre sur sa situation personnelle, son travail et ses revenus, s'abritant derrière un activisme politique supposé.

26. Ils en concluent que malgré l'absence de mention au casier judiciaire, le prononcé de peines d'emprisonnement avec sursis apparaît plus adapté que de simples amendes.

27. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

28. En effet, d'une part, les juges n'ont pas méconnu le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser lui-même en constatant le refus de l'intéressé de fournir les éléments relatifs à sa situation personnelle. Ils pouvaient, dès lors, se fonder sur les seuls éléments figurant au dossier de la procédure, contradictoirement débattus.

29. D'autre part, le principe précité ne s'oppose pas à ce qu'après avoir reconnu la culpabilité du prévenu, les juges tiennent compte, dans le choix de la peine, de la manière dont celui-ci se situe par rapport aux faits.

30. En conséquence le moyen doit être écarté.

31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [U] [E] devra payer à la société [1] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.

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