28 mars 2024
Cour d'appel de Nancy
RG n° 23/01481

JEX

Texte de la décision

République Française

Au nom du peuple français

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Cour d'appel de Nancy

Chambre de l'Exécution - JEX



Arrêt n° /24 du 28 MARS 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/01481 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGQA



Décision déférée à la Cour :

Jugement du juge de l'exécution du Juge de l'exécution de VAL DE BRIEY, R.G.n° 22/01346, en date du 07 juin 2023,



APPELANT :

Monsieur [T] [U] [M]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 5] (54), notaire, domicilié chez Monsieur [S] [R] [M] - [Adresse 1]

Représenté par Me Stéphanie GERARD, avocat au barreau de NANCY





INTIMEE :

CAISSE REGIONALE DE GARANTIE DES NOTAIRES du ressort de la cour d'appel de NANCY

dont le siège est sis [Adresse 3], représentée par son président en exercice Maître [X] [P], notaire, domicilié audit siège en cette qualité [Adresse 3]

Représenté par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 29 Février 2024, en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, chargé du rapport

Madame Nathalie ABEL, conseillère,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère,

qui en ont délibéré ;



Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET ;



ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 28 mars 2024 date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile ;



signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par, Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


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EXPOSE DU LITIGE



M. [T] [M] a été notaire à [Localité 6] à compter du 28 septembre 1998, jusqu'à sa suspension en novembre 2011.



En 2011, il n'a pas pu assurer la représentation des fonds clients par suite de détournements opérés par une salariée de l'étude. La responsabilité de cette salariée a été reconnue et sanctionnée pénalement. M. [T] [M] a quant à lui été relaxé au pénal, mais il a fait l'objet d'une procédure disciplinaire au terme de laquelle a été prononcée contre lui une interdiction temporaire d'exercer de dix années (sanction qui a commencé à courir rétroactivement à compter de sa suspension provisoire le 2 novembre 2011).



Compte-tenu de l'impossibilité pour M. [T] [M] de faire face à la couverture de ses encours clients, il a saisi, le 24 octobre 2011, la Caisse régionale de garantie des notaires du ressort de la cour d'appel de Nancy (ci-après 'la caisse régionale de garantie des notaires') qui a accepté de verser, en ses lieu et place, au bénéfice de cinq clients, une somme de 409 920,48 euros.



Par acte reçu le 8 novembre 2011 par Me [I] [B], notaire à [Localité 7], M. [M] a signé une reconnaissance de dette envers la Caisse régionale de garantie des notaires.



En garantie des sommes dues, M. [M] a régularisé un acte d'affectation hypothécaire sur un immeuble lui appartenant, sis [Adresse 4] à [Localité 6], et la SCI De la reine, dont M. [M] est associé gérant, s'est portée caution hypothécaire au profit de la Caisse régionale de garantie des notaires.



Par arrêt du 29 janvier 2019, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 6 janvier 2021, le cautionnement hypothécaire consenti par la SCI De la reine a été annulé.



M. [T] [M] a repris son activité de notaire le 3 novembre 2021.



Par acte d'huissier en date du 26 novembre 2021, la Caisse régionale de garantie des notaires a fait procéder à une saisie-attribution de créances à exécution successive entre les mains de M. [M], exerçant en qualité de notaire, pour avoir paiement de la somme de 410 630,73 euros en principal et frais, la saisie étant exercée sur le bénéfice comptable de l'étude notariale, en vertu de l'acte notarié de reconnaissance de dette du 8 novembre 2011.



Par acte authentique en date du 16 juin 2022, M. [T] [M] a cédé son fonds libéral de notaire à la SAS Wozniak et Reboul Behr, notaires associés.



La Caisse régionale de garantie des notaires a fait procéder, le 26 août 2022, en vertu de la même reconnaissance de dette, à une saisie-attribution du produit de la vente du fonds libéral entre les mains du notaire, Me [H] [O], en charge de la vente de l'étude notariale de M. [M], saisie portant sur la somme de 600 000 euros reçue au titre du produit de cette cession, pour avoir paiement d'une somme de 1 717 452,12 euros en principal, outre 24 517,05 euros de frais.



Par acte de commissaire de justice en date du 1er septembre 2022, la caisse régionale de garantie des notaires a fait dénoncer cette saisie-attribution à M. [T] [M].



Suivant assignation du 28 septembre 2022, Me [M] a contesté la saisie-attribution du 26 août 2022 devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Val de Briey.



M. [M] a demandé au tribunal d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution du 26 août 2022, subsidiairement de cantonner la saisie-attribution à la somme de 405 162,75 euros, de condamner la Caisse régionale de garantie des notaires au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, de la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au bénéfice de Me Lefebvre, son avocat, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.



La Caisse régionale de garantie des notaires a donné son accord pour le cantonnement de la saisie attribution à la somme de 409 920,48 euros et a demandé au tribunal de débouter M. [M] de sa demande de dommages-intérêts.



Par jugement en date du 7 juin 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Val de Briey a :



- débouté M. [M] de sa demande de mainlevée de la saisie attribution du 26 août 2022,

- ordonné le cantonnement de la saisie attribution à la somme de 405 162,75 euros et a donné effet à la saisie pour le montant précité conformément aux dispositions de l'article R. 211-12 du code des procédures civiles d'exécution,

- débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts,

- débouté la Caisse régionale de garantie des notaires de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la caisse régionale de garantie des notaires à payer à Me Laurent Lefebvre la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- condamné la Caisse régionale de garantie des notaires aux entiers dépens de l'instance.



Le juge de l'exécution a contonné la saisie à la somme de 405 162,75 euros au motif que la caisse régionale de garantie des notaires avait déjà bénéficié de deux versements de 3 000 euros et 1 757,13 euros à déduire du montant de la dette de 409 920,48 euros, en rappelant que le titre fondant la saisie ne portait que sur cette dernière somme et non pas sur une somme de 1 717 452,12 euros en principal. Le juge de l'exécution a considéré que la caisse régionale de garantie des notaires avait commis une faute en se prévalant d'une créance d'un tel montant sans titre correspondant, mais il a débouté M. [T] [M] de sa demande de dommages et intérêts au motif que ce dernier ne produisait aucune pièce justifiant le préjudice dont il demandait la réparation.



Par déclaration au greffe en date du 10 juillet 2023, M. [M] a interjeté appel en sollicitant l'infirmation du jugement rendu le 7 juin 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Val de Briey en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts.



Par conclusions déposées le 4 décembre 2023, M. [M] demande à la cour d'infirmer la décision querellée en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de dommage et intérêts et, statuant à nouveau, de :



- condamner la Caisse régionale de garantie des notaires au paiement d'une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la Caisse régionale de garantie des notaires à lui payer une somme 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Caisse régionale de garantie des notaires aux entiers dépens de l'instance.



A l'appui de son appel, M. [T] [M] expose notamment:



- qu'il a été relaxé de toute poursuite et qu'il n'a pas profité personnellement des détournements effectués par la comptable de l'étude qui était son ex-compagne, qu'il a au contraire tout perdu dans cette affaire,

- que la caisse régionale de garantie des notaires a commis un abus en faisant diligenter une saisie de la somme de 600 000 euros en invoquant une créance de 1 741 969,17 euros, alors que sa créance n'était réellement que de 405 162,75 euros et qu'elle ne disposait d'aucun titre pour le surplus, lui occasionnant ainsi une immobilisation indue de la somme de 194 837,25 euros.



Par conclusions déposées le 4 octobre 2023, la Caisse régionale de garantie des notaires du ressort de la cour d'appel de Nancy demande à la cour de :



- débouter M. [M] de son appel à l'encontre du jugement rendu le 7 juin 2023, par le juge de l'exécution de Val de Briey,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de dommages-intérêts de M. [M],

- débouter, en conséquence, M. [M] de ses demandes tendant à l'octroi d'une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu'au versement de la somme de 3 600 euros au profit de son avocat au titre de l'aide juridictionnelle,

- condamner M. [M] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [M] en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, au profit de Me Frédéric Barbaut.



La caisse régionale de garantie des notaires fait valoir notamment :



- que sa mission est d'indemniser les victimes des détournements des fonds clients des études notariales mais aussi de recouvrer sur les notaires défaillants les sommes correspondant aux paiements effectués en leur acquit,

- qu'il y a d'autant moins lieu à allouer des dommages et intérêts à M. [T] [M] qu'elle a spontanément admis le cantonnement opéré par le juge de l'exécution dans le jugement dont appel,

- qu'en cas de vente de l'office notarial, la nomination du successeur ne peut réglementairement avoir lieu que sur justification du remboursement préalable de la dette ou après consignation de la finance de l'étude,

- qu'elle a été autorisée par ordonnance rendue le 1er septembre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Val de Briey à procéder à la saisie conservatoire de la totalité du prix de cession de l'office notarial de M. [T] [M].




MOTIFS DE LA DECISION



Aucune des parties ne remet en cause la disposition du jugement qui valide la saisie attribution du 26 août 2022 et en cantonne l'effet à la somme de 405 162,75 euros. Cette disposition est donc devenue définitive.



Sur les dommages et intérêts réclamés par M. [T] [M]



L'article L121-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas de saisie abusive.



En l'espèce, la caisse régionale de garantie des notaires poursuit le recouvrement d'une créance fixée initialement à 409 920,48 euros, aujourd'hui ramenée à 405 162,75 euros après la prise en compte de deux versements. Compte-tenu de ce montant, pratiquer une saisie attribution sur le produit d'une vente de 600 000 euros ne constitue manifestement pas une saisie abusive.



Le reproche fait par M. [T] [M] à la caisse régionale de garantie des notaires ne porte d'ailleurs pas (en tout cas à hauteur d'appel) sur le principe même de la saisie, mais plutôt sur le fait que la partie saisissante se soit prévalue d'une créance excessive pour couvrir la totalité du produit de la cession faisant l'objet de la saisie. M. [T] [M] reproche ainsi à la caisse régionale de garantie des notaires d'avoir appréhendé par cette saisie un montant indu de 194 837,25 euros (600 000 euros - 405 162,75 euros).



Toutefois la critique de M. [T] [M] n'est pas fondée, car la caisse régionale de garantie des notaires a régulièrement obtenu une autorisation pour pratiquer une saisie conservatoire sur la totalité du produit de la cession de son office notarial. En effet, par ordonnance du 1er septembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Val de Briey a autorisé la caisse régionale de garantie des notaires à opérer la saisie conservatoire du produit de la vente de l'office notarial entre les mains de Me [O] en garantie d'une créance évaluée provisoirement à 1 312 000 euros (ce qui englobait bien la totalité du produit de la cession, soit 600 000 euros). Par ailleurs, la caisse régionale de garantie des notaires avait, par assignation du 18 septembre 2019, saisi le tribunal judiciaire de Val de Briey afin d'obtenir à l'encontre de M. [T] [M] un titre exécutoire portant sur une créance en principal de 1 307 531,64 euros. Cette procédure visant à obtenir un titre n'a échoué définitivement que le 23 janvier 2023, date de l'arrêt de la cour d'appel de céans confirmant le jugement du tribunal judiciaire de Val de Briey qui avait déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action en paiement de la caisse régionale de garantie des notaires.



La caisse régionale de garantie des notaires ayant été régulièrement autorisée à pratiquer la saisie conservatoire sur la totalité du prix de cession de l'office notarial, M. [T] [M] ne peut se prévaloir d'aucun préjudice qui résulterait de la retenue entre les mains du notaire tiers-saisi de la totalité de ce prix de cession.



Par conséquent, M. [T] [M] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.



Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile



M. [T] [M] a obtenu gain de cause en première instance en sa demande de cantonnement de la saisie attribution. Il était dès lors équitable que les dépens de première instance fussent mis à la charge de la caisse régionale de garantie des notaires et que cette dernière fût condamnée à payer une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le jugement déféré sera donc confirmé à cet égard.



En revanche, l'appel interjeté par M. [T] [M] échoue, de sorte qu'il sera condamné à payer les dépens d'appel ainsi qu'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,



Y ajoutant,



DEBOUTE M. [T] [M] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE M. [T] [M] à payer à la caisse régionale de garantie des notaires la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE M. [T] [M] aux dépens et autorise Me Frédéric Barbaut, avocat, à faire application de l'article 699 du code de procédure civile.



Le présent arrêt a été signé par Monsieur MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LE GREFFIER, LE PRESIDENT,





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