28 mars 2024
Cour d'appel de Chambéry
RG n° 22/01926

Chbre Sociale Prud'Hommes

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE











ARRÊT DU 28 MARS 2024



N° RG 22/01926 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HD5N



S.A.S. ATMOS ([3])

C/ [F] [V]





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 11 Octobre 2022, RG F 21/00106



Appelante



S.A.S. ATMOS ([3]), demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Christophe GRIPON de la SAS ARCANE JURIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



Intimé



M. [F] [V]

né le 03 Février 1973 à [Localité 5] (63), demeurant [Adresse 4]

Représenté par Me Jean marc SERRATRICE de la SELARL SERRATRICE/BOGGIO, avocat au barreau de BONNEVILLE



COMPOSITION DE LA COUR :



Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 25 janvier 2024 par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente de la Chambre Sociale, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Cyril GUYAT, conseiller, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.

Et lors du délibéré par :

Madame Valéry CHARBONNIER, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,




********

Exposé du litige :



M. [F] [V] a été engagé par la SARL ATMOS en qualité de second de cuisine du restaurant «[3] » à [Localité 2] en contrat à durée indéterminée en date du 20 novembre 2012. M. [V] a ensuite été promu chef de cuisine statut cadre.



L'établissement a été racheté le 15 décembre 2020 par la SASU Atmos, représentée par son président, M. [O] [N]. En raison du contexte sanitaire, M. [F] [V] a été placé en activité partielle jusqu'à la réouverture du restaurant le 9 juin 2021.



L'employeur a adressé un SMS à M.[V] le 10 juillet 2021 lui faisant des reproches. Un entretien a eu lieu le lendemain 11 juillet 2021 à 9 heures et lui a été notifié oralement une mise à pied conservatoire, les clés de l'établissement lui étant retirées.



Par courrier et courriel du 11 juillet 2021, M. [F] [V] a dénoncé la rupture orale de son contrat de travail et conteste la mise à pied conservatoire.



Par courrier du 13 juillet 2021, la SASU ATMOS a contesté l'existence d'un licenciement verbal, a convoqué M. [F] [V] à un entretien préalable en vue de son licenciement envisagé pour faute grave prévu le 26 juillet 2021.



M. [F] [V] a été licencié par courrier du 29 juillet 2021.



M. [F] [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Bonneville, en date du 16 septembre 2021 aux fins de contester la régularité et le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.



Par jugement du 11 octobre 2022, le conseil des prud'hommes de Bonneville, a :


Dit et Jugé que le licenciement de M.[V] est irrégulier en la forme et dépourvu de cause réelle et sérieuse au fond,

Condamné la société ATMOS à verser à M.[V] une indemnité pour licenciement cause réelle et sérieuse de 46 409.36 €

Condamné la société ATMOS à verser à M.[V] une indemnité au titre de l'article 700 du CPC de 1 500 €

Dit et Jugé que les sommes allouées à M. [V] porteront intérêt au taux légal à compter du 16/09/21

Débouté la société ATMOS de toutes ses demandes,

Prononcé l'exécution provisoire de droit de l'article R. 1454-28 du Code du Travail

Condamné la société ATMOS aux entiers dépens




La décision a été notifiée aux parties et la SASU ATMOS en a interjeté appel par le Réseau privé virtuel des avocats en date du 10 novembre 2022.



Par conclusions du 18 janvier 2023, la SASU ATMOS demande à la cour d'appel de :


Réformer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de BONNEVILLE en date du 11 Octobre 2022, RG 21/00106

Débouter Monsieur [F] [V] de l'ensemble de ses demandes,




A titre subsidiaire


Limiter à 17 403,51 euros soit trois mois de salaire brut les dommages et intérêts alloués à M.[V] toutes causes de préjudices confondues.

Condamner M.[V] à payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner M.[V] aux entiers dépens.




Par conclusions du 14 avril 2023, M. [F] [V] demande à la cour d'appel de :


Recevoir l'appel interjeté le 10 novembre 2022 par la SASU ATMOS «[3] » contre le jugement rendu le 11 octobre 2022 par le Conseil de Prud'hommes de BONNEVILLE, Section Encadrement,




Le disant mal fondé,


Débouter la SASU ATMOS « [3] » de l'intégralité de ses prétentions,

Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

En conséquence, Condamner la SASU ATMOS « [3] » à payer à M.[V] les sommes suivantes :


Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 46.409,36 €

Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le conseil de prud'hommes : 1.500,00 €

Indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile devant la Cour : 2.000,00 €


Dire que les sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter du dépôt de la requête, le 18 septembre 2021,

Condamner la SASU ATMOS aux dépens.




L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2023.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.




SUR QUOI :



Sur la réguarité du licenciement :



Moyens des parties :



M. [F] [V] soutient que le licenciement est irrégulier et donc sans cause réelle et sérieuse et expose que l'employeur a procédé à son licenciement verbal et immédiat pour faute grave le 11 juillet 2021 et tente de faire croire qu'il s'agissait d'une mise à pied conservatoire et qu'il ressort du compte rendu de l'entretien préalable, qu'à ce moment-là, l'employeur avait déjà pris et annoncé la décision de le licencier.



La SASU ATMOS fait valoir que le licenciement n'est affecté d'aucune irrégularité formelle, que le salarié ne peut invoquer son courrier aussitôt contredit par la société pour prétendre à l'existence d'un licenciement verbal. Elle allègue qu'une mise à pied conservatoire peut être prononcée oralement dès lors qu'elle est confirmée ensuite par courrier et que le compte-rendu de l'entretien préalable est inexact puisque lors de l'entretien l'employeur n'a pas prononcé le licenciement mais a uniquement évoqué la mesure envisagée.



Sur ce,



Il résulte des dispositions des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-2 du code du travail, qu'à défaut de lettre de licenciement, la rupture à l'initiative de l'employeur constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le licenciement verbal est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le licenciement verbal suppose une décision irrévocable de l'employeur de rompre le contrat de travail. Il appartient à celui qui se prétend licencié verbalement d'en établir l'existence. L'employeur ne peut régulariser ce licenciement verbal par l'envoi postérieur d'une lettre de licenciement.

La décision de licencier le salarié ne doit intervenir qu'au terme du délai légal de deux jours.



En application des dispositions de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.





En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que l'employeur a adressé un SMS de reproches à M.[V] le 10 juillet 2021 au soir et qu'un entretien a eu lieu lendemain 11 juillet 2021 à 9 heures. Il n'est pas contesté que les clés de l'établissement ont été retirés à M.[V].



Le courrier et mail adressé par M.[V] le même jour 11 juillet à son employeur qui argue de son licenciement verbal ne suffit pas à le démontrer.



Par courrier du 13 juillet 2021, la SASU ATMOS a contesté l'existence d'un licenciement verbal et a convoqué M. [F] [V] à un entretien préalable en vue de son licenciement pour faute grave prévu le 26 juillet 2021 et lui a notifié une mise à pied conservatoire.



Le seul fait d'avoir demandé au salarié de restituer les clés de l'établissement ne constitue pas une décision irrévocable de licenciement et M.[V] ne justifie pas avoir été licencié verbalement le 11 juillet 2021.



Il ressort du compte-rendu du conseiller du salarié, M. [D], que M. [N] a indiqué à la fin de l'entretien du 26 juillet 2021 que M.[V] recevrait sa lettre de notification de son licenciement le 28 juillet et que le préavis de trois mois débutera à réception de cette lettre, indique ne plus pourvoir travailler avec M.[V]. Toutefois, ce document n'est pas contresigné par l'employeur et ne constitue pas un élément de preuve suffisant que la décision de licencier M.[V] l'ait été avant le délai légal susvisé. En outre la retranscription de l'enregistrement oral de l'entretien versée aux débats et non réalisée par un commissaire de justice permettant d'attester de son authenticité n'a aucune valeur probante.



S'il il est reproché au salarié des faits d'une gravité telle qu'ils justifie sa mise à l'écart immédiat de l'entreprise, l'employeur peut prononcer une mise à pied dans l'attente de la sanction à intervenir. Le salarié est alors dispensé d'exécuter son travail en attendant qu'il soit statué sur la suite à donner aux faits reprochés. Le prononcé d'une mise à pied conservatoire n'interdit pas à l'employeur ensuite dans le cadre d'une procédure disciplinaire immédiatement ouverte de ne pas licencier le salarié pour faute grave à la condition de rémunérer a posteriori la période de mise à pied conservatoire.



Il convient dès lors de juger que la procédure de licenciement est régulière par voie d'infirmation du jugement déféré.



Sur le bien-fondé du licenciement :



La lettre de licenciement de M.[V] pour faute du 29 juillet 2020 évoque les griefs suivants :




Ne pas avoir suivi les instructions fournies, et entrepris aucune action visant à sélectionner des fournisseurs remplissant les conditions précitées.

Avoir, malgré les observations à plusieurs reprises, continuer à siffler et chantonner systématiquement au milieu de son équipe de manière inopportune et source de déconcentration

L'emploi d'un vocabulaire régulièrement injurieux, insultant et outrageant, à l'égard des salariés officiant en cuisine et en salle, malgré les mises en garde




Moyens des parties :



La SASU ATMOS soutient que le licenciement du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse et expose que le comportement du salarié n'était pas adapté à un établissement de restauration accueillant du public et s'inscrivait en opposition à la nouvelle direction, le salarié faisant preuve d'insubordination malgré les demandes de l'employeur d'y remédier. Le salarié employait un vocabulaire injurieux, insultant et outrageant à l'égard des salariés qui s'en sont plaint à la direction. Enfin, malgré les demandes de son employeur, le salarié n'a initié aucune démarche visant à privilégier les producteurs locaux.



M. [F] [V] soutient en réponse que le licenciement est injustifié. L'employeur a renoncé à la qualification de faute grave, privant la mise à pied à titre conservatoire de tout fondement. Les griefs invoqués par l'employeur sont insusceptibles de constituer un motif de licenciement ou ne reposent sur aucun fondement. Il n'a jamais reçu le moindre avertissement. Le licenciement a, en réalité pour objet de réduire les coûts et le fonctionnement de l'établissement.



Sur ce,



Aux termes des dispositions des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux.si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, il est constant que la SASU Atmos ne justifie pas de l'existence d'autres sanctions disciplinaires ou avertissement préalables au licenciement de M.[V] qui dispose de 9 années d'ancienneté.



La SASU Atmos ne justifie d'aucune consignes données à M.[V] ni des plaintes allégées de ses collègues comme conclu et ne verse aucun autre élément aux débats justifiant des griefs reprochés.



Par conséquent il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement non fondé sur une cause réelle et sérieuse.



Sur les demandes indemnitaires :



Moyens des parties :



La Sasu Atmos soutient, à titre subsidiaire, que si le licenciement est jugé abusif, les prétentions du salarié sont injustifiées.



M. [F] [V] soutient que l'employeur doit lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalente à 9 mois de salaire.



Sur ce,



En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ce texte.



Or, M. [V] qui disposait d'une ancienneté au service de son employeur de plus de 8 années, peut par application des dispositions précitées, prétendre à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 8 mois de salaire.



M. [V] justifie occuper un poste de chef de cuisine auprès d'un nouvel employeur depuis le 6 décembre 2021.



Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré et de condamner la SASU Atmos à lui verser la somme de 46409,36€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit 8 mois de salaire).



Sur les demandes accessoires :



Il convient de confirmer la décision de première instance s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.



L'équité commande que chaque partie supporte la charge des frais irrépétibles et dépens qu'elle a engagés en cause appel.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,



CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :


Condamné la société ATMOS à verser à M.[V] une indemnité pour licenciement cause réelle et sérieuse de 46 409.36 €

Condamné la société ATMOS à verser à M.[V] une indemnité au titre de l'article 700 du CPC de 1 500 €

Dit et Jugé que les sommes allouées à M. [V] porteront intérêt au taux légal à compter du 16/09/21

Prononcé l'exécution provisoire de droit de l'article R. 1454-28 du Code du Travail

Condamné la société ATMOS aux entiers dépens




L'INFIRME pour le surplus,



STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,



JUGE le licenciement régulier en la forme,



Y ajoutant,



DIT que chaque partie supportera la charge des frais et dépens qu'elles ont engagé en cause d'appel.



Ainsi prononcé publiquement le 28 Mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier Le Président

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