28 mars 2024
Cour d'appel de Caen
RG n° 22/02003

2ème chambre sociale

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/02003

N° Portalis DBVC-V-B7G-HBHP

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pôle social du Ttibunal Judiciaire d'ALENCON en date du 30 Juin 2022 - RG n° 21/00128









COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRET DU 28 MARS 2024





APPELANTE :



S.A.S. [4] pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 3]



Représentée par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me RIALLAND, avocat au barreau de RENNES





INTIMEE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCEMALADIE DE L'ORNE

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par M. [I], mandaté







DEBATS : A l'audience publique du 08 février 2024, tenue par Mme CHAUX, Président de chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré



GREFFIER : Mme GOULARD



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,



ARRET prononcé publiquement le 28 mars 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier











La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 30 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Alençon dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne.






FAITS ET PROCEDURE





M. [B] [M] a été embauché par la société [5] (la société) en qualité de directeur des services administratifs commerciaux à compter du 7 septembre 2015 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.



Le 22 juin 2020, la société a complété une déclaration d'accident du travail concernant un sinistre dont aurait été victime M. [B] [M], en ces termes :

- date : 5 juin 2020 00 h 00

- lieu de l'accident : [5] [Adresse 6] [Localité 3]

- lieu de travail habituel

- activité de la victime : ne sait pas

- nature de l'accident : ne sait pas

- objet dont le contact a blessé la victime : ne sait pas

Eventuelles réserves motivées : L'employeur n'a aucune information de la part du salarié - reçu un arrêt de travail AT par courrier

- siège des lésions: ne sait pas

- nature des lésions : ne sait pas

- horaires de travail de la victime le jour de l'accident: 8h -12h30/13h30-18h

- accident constaté le 8 juin 2020 à 10 heures



Le certificat médical initial du 8 juin 2020 fait état de ' altercation à répétition au travail entraînant des troubles anxieux et un burn out.' Un arrêt de travail a été prescrit jusqu'au 22 juin 2020.



Par courrier du 14 septembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne (la caisse), a notifié à M. [M] un refus de prise en charge de son accident du 6 juin 2020 au motif de ' absence de fait accidentel le 06 06 2020.' (N° dossier 200606762)



Le 12 novembre 2020, M. [M] a adressé à la caisse un courrier en ces termes:

'Objet : déclaration d'accident du travail du 5 juin 2020 ( voir aussi dossier 200606762)

Pièces jointes : PJ n° 1/ Mail [B] [M] à CPAM du 9 juillet 2020

PJ N° 2/ Déclaration Employeur du 16 juin 2020 de l'accident du travail

PJ N°3 / Certificat médical / Accident de travail du médecin du 8 juin 2020 :



Par la présente, je déclare l'accident du travail intervenu le vendredi 5 juin 2020.



Ce vendredi 5 juin 2020 après -midi dans les locaux de la société [5] lors d'une réunion de travail dont les participants étaient Mme [V], Mr [L] et moi- même, Mr [L] m'a agressé verbalement et m'a envoyé deux heures plus tard un mail particulièrement dénigrant. Ces événements m'ont fait craqué psychologiquement.



Pour rappel, l'employeur a déclaré l'accident du travail (pièce jointe n° 2) comme étant intevenu le samedi 6 juin 2020 et non pas le vendredi 5 juin 2020. J'ai fait référence de cette erreur dans le mail que j'ai adressé à la CPAM en date du 9 juillet 2020 ( pièce jointe n° 1).

Vous remerciant de la prise en compte de ma déclaration d'accident le 5 juin 2020.

Je vous prie de croire( ...)'



A réception de ce courrier, le 25 novembre 2020, la caisse a informé la société qu'elle n'était toujours pas en possession de la déclaration d'accident du travail qu'elle aurait dû lui faire parvenir compte tenu de l'adresse de la victime.













Par courrier électronique du 8 décembre 2020, M. [L], dirigeant de la société, a adressé à la caisse :

- copie de la lettre de la CPAM reçue le 3 décembre 2020

- une déclaration rectificative faite en date du 22 juin 2020 avec une date d'accident supposé au 5 juin. Il précisait qu'il continuait d'émettre toutes réserves sur l'existence et la qualification d'un tel événement.



Par courrier du 17 décembre 2020, la caisse a informé la société que le dossier N° 200605764 de demande de reconnaissance d'accident du travail de M. [M] était complet en date du 8 décembre 2020, que des investigations étaient nécessaires pour pouvoir statuer sur le caractère professionnel de l'accident, que la société devait compléter sous 20 jours un questionnaire qui était à sa disposition sur le site http://questionnairesrisquepro.ameli.fr., qu'elle aurait la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler des observations du 17 février 2021 au 1er mars 2021 directement en ligne, que la caisse lui adresserait la décision portant sur le caractère professionnel de l'accident au plus tard le 9 mars 2021.



Par courrier du 5 mars 2021, la caisse a notifié à la société la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du 5 juin 2020. (N° dossier 200605764)



Le 31 mars 2021, la société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable.



En l'absence de décision dans le délai imparti, la société a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'Alençon aux fins de contester la décision implicite de rejet.



Par jugement du 30 juin 2022, ce tribunal a :

- débouté la société [5] de l'ensemble de ses demandes,

- déclaré opposable à la société [5] la prise en charge de l'accident du travail dont a été victime M. [B] [M] le 5 juin 2020 et l'ensemble de ses conséquences,

- condamné la société [5] aux dépens.



Par déclaration du 5 août 2022, la société a interjeté appel de cette décision.



Par conclusions reçues au greffe le 15 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour :

- d'infirmer en tous points la décision du pôle social du tribunal judiciaire d'Alençon,

- de constater l'absence de matérialité d'un accident survenu aux temps et lieu de travail le 5 juin 2020,

En conséquence,

- de dire que l'accident qui serait survenu le 5 juin 2020 ne revêt aucun caractère professionnel,

- de dire inopposable à la société [5] la décision de prise en charge de l'accident du travail dont a été victime M. [M],

- de condamner la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne au paiement d'une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne aux entiers dépens.



Par conclusions reçues au greffe le 8 novembre 2023, soutenues oralement à l'audience par son représentant, la caisse demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- déclarer opposables à la société [5] les conséquences financières de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident du travail dont a été victime M. [M] le 5 juin 2020,

- débouter l'employeur de l'ensemble de ses demandes, notamment celle tendant au paiement par la caisse de l'Orne de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Il est expressément référé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.


















SUR CE, LA COUR





- Sur le non- respect du principe du contradictoire



En cause d'appel, la société soulève l'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident au motif que la caisse n'aurait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure.



La société fait valoir que c'est à la date du 12 novembre 2020 que la caisse était en possession d'un dossier complet et que débutait le délai d'instruction, que ce n'est que par courrier du 17 décembre 2020, soit au- delà du délai de 30 jours francs prévu à l'article R 441-7 du code de la sécurité sociale, que la caisse l'a informée de la nécessité d'engager des investigations supplémentaires, que par ce même courrier, elle l'a informée de la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler des observations sur la période du 17 février au 1er mars 2021, sans respecter le délai maximum de 70 jours francs et qu'en notifiant sa décision de prise en charge le 5 mars 2021, la caisse a dépassé le délai de 90 jours francs dont elle disposait conformément aux dispositions de l'article R 441-8 du code de la sécurité sociale.

La société en déduit que la caisse n'a pas respecté le principe du contradictoire , de sorte que la décision de prise en charge doit lui être déclarée inopposable.



La caisse rétorque que ce n'est que le 8 décembre 2020 et non le 12 novembre 2020 qu'elle a été en possession d'un dossier complet de demande de reconnaissance d'accident du travail et qu'en toute hypothèse, l'inobservation du délai dans la limite duquel la caisse doit statuer n'est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, dont seule la victime peut se prévaloir.



Il ressort des pièces produites que M. [M] a déclaré son accident du travail par courrier recommandé du 12 novembre 2020 avec accusé de réception auquel il a joint le certificat médical initial du 8 juin 2020.



Il est constant que la déclaration d'accident du travail n'est soumise à aucun formalisme de sorte qu'elle peut être établie sur un autre document que l'imprimé réglementaire Cerfa.



Le courrier du 12 novembre 2020 intitulé en objet ' Déclaration d'accident du travail' auquel est joint le certificat médical initial détaille précisément les circonstances de l'accident qui serait survenu le 5 juin 2020.



Il a été reçu par la caisse le 13 novembre 2020 ainsi qu'en atteste le timbre humide mentionnant la date.



Dès lors , c'est à cette date du 13 novembre 2020 que la caisse était en possession d'un dossier complet et que débutait le délai d'instruction et non à la date du 8 décembre 2020 comme le soutient la caisse.



Or ce n'est que le 17 décembre 2020, soit au -delà du délai de 30 jours francs prévu à l'article R 441-7 du code de la sécurité sociale, que la caisse a informé la société de la nécessité d'engager des investigations supplémentaires.



C'est par ce même courrier que la caisse a informé la société de la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler des observations sur la période du 17 février au 1er mars 2021, soit au -delà du délai de 70 jours, à compter de la date à laquelle la caisse disposait de la déclaration d'accident du travail et du certificat médical initial, prévu à l'article R 441- 8 du code de la sécurité sociale.



Cependant, il est constant que l'employeur ne peut pas, à l'appui de sa demande d'inopposabilité, se prévaloir de l'inobservation du délai dans la limite duquel doit statuer la caisse, laquelle n'est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident à l'égard de la victime.



En conséquence, le caractère implicite de la décision de la caisse de reconnaître le caractère professionnel de l'accident, faute de décision dans les délais prévus aux articles R 441-7 et R 441-8 du code de la sécurité sociale, ne rend pas par lui - même, cette décision inopposable à l'employeur.











Le moyen tiré du non - respect par la caisse du principe du contradictoire doit donc être rejeté.



- Sur la matérialité de l'accident



Il résulte de l'article L 411- 1 du code de la sécurité sociale que, pour bénéficier de la présomption d'imputabilité, il appartient à celui qui prétend avoir été victime d'un accident du travail de rapporter la preuve d'un fait accidentel survenu au temps et sur le lieu de travail. Cette preuve ne peut résulter des seules allégations de la victime non corroborées par des éléments objectifs matériellement vérifiables.



Dans ses rapports avec la société, la caisse doit établir la matérialité de l'accident du travail autrement que par la relation qui lui en a été faite par la victime.



En l'espèce, la déclaration d'accident du travail de M. [M] établie le 12 novembre 2020 mentionne la survenance d'un accident le 5 juin 2020 dans l'après- midi dans les locaux de la société au cours d'une réunion.



Le certificat médical initial daté du 8 juin 2020 établi par le docteur [E] mentionne : ' altercation à répétition au travail entraînant des troubles anxieux et un burn out.'



A la suite d'une plainte déposée par la société, un procès -verbal de conciliation est intervenu devant le conseil départemental de l'Ordre des médecins le 16 décembre 2020, par lequel le docteur [E] a reconnu qu'il ne s'était jamais rendu sur le lieu de travail de M. [M], de sorte qu'il n'avait pu constater ni les conditions de travail des salariés ni l'accident du travail évoqué dans le certificat.



En revanche, le certificat médical initial fait état de troubles anxieux et d'un burn out. Ainsi, comme relevé par les premiers juges, les lésions dont se prévaut le salarié ont été médicalement constatées.



L'employeur n'a fourni aucun élément sur les circonstances de l'accident dans le questionnaire que lui a envoyé la caisse.



Dans le questionnaire salarié et par courrier électronique du 18 juin 2020, M. [M] a expliqué qu'au cours d'une réunion à laquelle participaient M. [L], dirigeant de la société, et Mme [V], assistante de direction, M. [L] avait eu des propos violents à son encontre en ce qu'il avait indiqué que les résultats et le travail de M. [M] étaient insuffisants et inadaptés , que M. [L] avait quitté la salle en disant : 'la méthode je vais vous l'écrire.'

Dans un mail qu'il lui avait adressé le 5 juin 2020 à 17h27, M. [L] lui avait écrit: ' Echec, légèreté , désinvolture, manque d'engagement professionnel. Devant autant de défaillances je reprends en main le service commercial.'



M. [M] exposait avoir considéré que M. [L] lui retirait ses responsabilités alors qu'il estimait porter à bout de bras le service commercial de l'entreprise depuis des mois, que ces altercations et ce mail l'avaient profondément blessé tant sur le plan psychique que physique et l'avaient fait craquer.



Entendue par contact téléphonique dans le cadre de l'enquête administrative, Mme [V] exposait avoir assisté à la réunion du 5 juin 2020 qui s'est tenue à 15 heures dans les locaux de l'entreprise, avec la Direction et M. [M] . Elle confirmait que la réunion avait été houleuse, que la Direction lui avait reproché ainsi qu'à M. [M], sur un ton de colère et d'agressivité de ne pas utiliser les bonnes méthodes de travail pour aboutir au résultat demandé, que M. [M] et elle même avaient demandé à la Direction d'employer un autre ton. Elle qualifiait l'échange de difficile. La réunion avait été écourtée, du fait du départ de la Direction. Elle précisait que M. [M] était abattu et abasourdi après ce départ.



Bien que Mme [V] indique que la relecture de son témoignage lui a été faite téléphoniquement, celui -ci constitue un élément objectif, venant corroborer les faits allégués par M. [M] et les lésions évoquées dans le certificat médical.















Comme l'ont relevé les premiers juges, il ne peut être déduit du délai de trois jours entre l'accident et le certificat médical initial, une absence de lien entre les lésions constatées et les faits du 5 juin 2020. L'accident s'est produit le vendredi dans l'après midi, donc une veille d'une fin de semaine pendant laquelle M. [M] n'est pas allé consulter son médecin traitant et ce n'est que le lundi suivant qu'il s'est rendu chez le médecin.



En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que M. [M] avait été victime d'une altercation virulente et violente avec son supérieur hiérarchique au cours d'une réunion qui s'est tenue le 5 juin 2020 dans les locaux de la société, dont il est résulté une lésion consistant en des troubles anxieux et un burn out.



La matérialité de l'accident est donc établie.



Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la prise en charge de l'accident du travail dont M. [M] a été victime le 5 juin 2020 est opposable à la société [5].



La société qui succombe supportera les dépens d'appel et sera déboutée de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS,





La cour,





Confirme le jugement déféré,



Y ajoutant,



Condamne la société [5] aux dépens d'appel,



Déboute la société [5] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LE PRESIDENT











E. GOULARD C. CHAUX

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