8 février 2024
Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n° 22/00588

Chambre sociale

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/00588 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FV2R

 Code Aff. :C.J



ARRÊT N°





ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint-Denis (Réunion) en date du 25 Avril 2022, rg n° F 20/00199









COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION



CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 26 FEVRIER 2024







APPELANTE :



S.A. ANTENNE REUNION TELEVISION (ART)

PARC TECHNOLOGIQUE DU CERF

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION et Me Maud-Elodie EGLOFF, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉ :



Monsieur [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Anne Laure HIBERT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION





Clôture : 5 juin 2023



DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 novembre 2023 devant la cour composée de :



Président : Madame Corinne JACQUEMIN,

Conseiller : Madame Agathe ALIAMUS,

Conseiller : Madame Aurélie POLICE,

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.



A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 25 janvier 2024. A cette date, la décision a été prorogée au 26 février 2024.





ARRÊT : mis à disposition des parties le 26 FEVRIER 2024



Greffière lors des débats : Mme Delphine GRONDIN,

greffière lors de la mise à disposition de l'arrêt : Mme Monique LEBRUN





* *



*


LA COUR :



EXPOSÉ DU LITIGE



M. [K] [T] a été embauché à compter du 1er janvier 1994 par la S.A. Antenne Réunion Télévision pour une durée indéterminée, en qualité de journaliste reporter d'images puis, à compter du 27 mars 2008, en tant que chef d'édition, moyennant une rémunération brute annuelle de 34.320 euros sur 13 mois.



La société Antenne Réunion Télévision a été cédée le 31 mars 2017 au groupe OCEINDE.



Au motif qu'il souhaitait bénéficier de la clause de cession et des dispositions prévues par l'article L. 7 112-5 1° du code du travail, M. [T] a informé son employeur le 12 juin 2019 qu'il désirait quitter l'entreprise aprés avoir effectué son préavis légal.



Après entretien avec la directrice générale du 14 juin 2019, la société Antenne Réunion Télévision a contesté au salarié, par mail du 20 juin 2019, confirmé par lettre recommandée avec accusé de reception du 9 juillet 2019, la possibilité de se prévaloir des stipulations précitées.



M. [T] a été placé en arrét de travail le jour même de son entretien avec la directrice générale.



Il a saisi le conseil de prudhommes de Saint-Denis de la Réunion le 15 Juillet 2020 pour faire valoir ses droits sur le fondement de l'article L 7.112-5 précité et notamment, obtenir le paiement d'une indemnité de licenciement correspondant à 15 années d'ancienneté et l'indemnisation d'un préjudice économique et moral.



Par jugement du 25 avril 2022, le conseil de prudhommes de Saint-Denis de la Réunion a :

- partiellement fait droit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, aux demandes de M. [T] et a condamné la société Antenne Réunion Télévision à lui verser la somme de 54.054 euros au titre de l'indemnité de licenciement outre 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle en remboursement d'un indu sur salaire à compter du 12 juin 2019, correspondant à la somme de 52.358,45 euros.



Le conseil de prud'hommes a retenu :

- que la loi n'impose aucun délai aux journalistes pour la mise en oeuvre de la clause de cession et ce, à partir du moment où la décision du journaliste est claire et non équivoque et qu'il existe un lien de causalité entre la rupture et la cession de l'entreprise ;

- que M. [T] avait bien pris l'initiative claire et non équivoque de la rupture de son contrat le 12 juin 2019, ce qui lui ouvre droit, compte tenu de son anciennete de plus de 26 ans, en application de l'article L7112-3 du code du travail, à une indemnite légale correspondant à 15 ans d'ancienneté ;

- que durant les arrêts de travail de M. [T] son contrat de travail était suspendu et qu'en application de la convention nationale des journalistes, les salaires et indemnités doivent lui être versés durant cette période sous déduction des indemnités journalières versées par la sécurite sociale ainsi que des régimes de prévoyance pour lesquels les entreprises cotisent.



La société Antenne Réunion a interjeté appel de cette décision le 09 mai 2022.



Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 janvier 2023, la société Antenne Réunion Télévision demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, déclarer prescrite la demande M. [T] au titre de l'indemnité de licenciement ;

- à titre subsidiaire, juger que M. [T] ne peut pas se prévaloir de la clause de cession de l'article L 7112-5 puisque la société Antenne Réunion Télévision n'est pas une entreprise de journal ou de périodique ;

- à titre infiniment subsidiaire, juger que la demande de M. [T] concernant le bénéfice de la clause de cession est prescrite ;

- à titre "infiniment, infiniment" subsidiaire, juger de l'absence de lien de causalité entre la

démission de M. [T] en date du 12 juin 2019 et la cession de la société Antenne Réunion Télévision intervenue le 31 mars 2017 ;

Ainsi :

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;

- le condamner à verser les sommes 35.576,76 euros à titre de répétition des sommes perçues indument postérieurement à la rupture de son contrat, soit à compter du 13 juillet 2019 ;

- le condamner à verser 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



En réponse, dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique 25 mai 2023, M. [T] requiert de la cour de :



- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

* a retenu l'application de l'article L.7112-5 du code du travail et condamné l'employeur à lui payer une indemnité de 54.054,00 € correspondant à ses quinze premières années d'ancienneté,

* a débouté la société Antenne Réunion Télévision de sa demande reconventionnelle en répétition d'indu ou, procédant par substitution de motifs, réduire la somme à restituer au montant d'un euro symbolique compte tenu du comportement fautif particulièrement grave la société Antenne Réunion Télévision exclusivement à l'origine du paiement dont elle réclame la restitution ;



- lui donner acte qu'il saisit la Commission Arbitrale des Journalistes pour le surplus de l'indemnité qui lui est due au titre de son ancienneté au-delà de quinze ans ;



- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes d'injonction de remise des documents de fin de contrat, mentionnant une date de fin de préavis et de sortie de l'entreprise au 12 août 2019, sous astreinte et d'indemnisation du préjudice économique, financier et moral distinct que lui a causé le refus qu'il qualifie d'abusif de la société Antenne Réunion de tirer les conséquences de la rupture notifiée le 12 juin 2019 ;



Statuant à nouveau,

- condamner la société Antenne Réunion Télévision à lui payer des dommages et intérêts spécifiques pour un montant de 12.000,00 €, en réparation des préjudices distincts causés par la rétention abusive par l'employeur de ses documents de fin de contrat ;



- ordonner à la société Antenne Réunion Télévision de lui remettre l'ensemble des documents de fin de contrat pour tenir compte de la décision à intervenir et notamment de la date de sortie de l'entreprise qui est le 12 août 2019 ;



- dire qu'une astreinte de 80,00 € par jour de retard assortira cette obligation de remise, passé

un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;



- condamner la société Antenne Réunion Télévision à lui payer une somme de 4.500,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.






SUR QUOI



Sur la prescription de l'action au titre de l'indemnité de licenciement



La société Antenne Réunion Télévision fait valoir, au visa de l'article L.1471-1 alinéa 2 du code du travail, que M. [T] avait jusqu'au 11 juin 2020 pour saisir le conseil de prud'hommes d'une demande relative au paiement de l'indemnité de licenciement, soit 12 mois après "sa démission" du 12 juin 2019.



M. [T] répond que son action au titre de la rupture du contrat de travail pour cession capitalistique de l'entreprise n'est pas prescrite en application de plusieurs ordonnances du 25 mars 2020, organisant la prolongation des délais de recours à la suite de la pandémie de COVID 19.



L'article L.1471-1, alinéa 2, du code du travail dispose, en sa version applicable au litige, que "Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture".



Il résulte toutefois des ordonnances du 25 mars 2020 et 3 juin 2020, prises en raison de l'Etat d'urgence sanitaire, qu'une prolongation des délais de recours a été organisée, applicable aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, ce qui était le cas en l'espèce, M. [T] ayant initialement jusqu'au 12 juin 2020 pour saisir le conseil de prud'hommes.



Ainsi, la saisine du conseil de prud'hommes effectuée par requête de M. [T] le 15 juillet 2020 a été régularisée dans le délai requis par les ordonnances précitées, soit le 24 août 2020, date butoir prévue par le texte.



Par ajout au jugement, la fin de non-recevoir soulevée par la société Antenne Réunion Télévision quant à la prescription de l'action est en conséquence rejetée.





Sur l'application de la clause de cession à la société Antenne Réunion



La société Antenne Réunion Télévision soutient que les termes de l'article L 7112-5 1e du code du travail réservent l'application de cette clause exorbitant du droit commun aux personnes employées dans une entreprise de journal ou de périodique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.



M. [T] répond que les dispositions du code du travail consacrées à la rupture du contrat de travail s'applique aux journalistes des entreprise de communication audiovisuelle.



Il se prévaut de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et les articles L.1113-3 à L.1113-5 du code du travail régissant le statut des journalistes professionnels.



Il ajoute que plusieurs journalistes ont bénéficié de l'application de la clause de cession après la nouvelle cession d' A.R.T. au groupe CIRANO, intervenue en novembre 2021 et précise que la société Antenne Réunion Télévision n'a refusé qu'à lui seul le bénéfice de cette clause en litige.



En application de l'article L. 7112-5 du code du travail, si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes:

1° Cession du journal ou du périodique ;

2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;

3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2.



La convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 refondée le 27 octobre 1987 étendue par arrêté du 2 février 1988 prévoit en son article 1er que : "La présente convention collective nationale règle les rapports entre les employeurs et les journalistes professionnels, salariés des entreprises tels qu'ils sont définis à l'article L. 761-2 du code du travail et à l'article 93 de la loi du 29 juillet 1982.".



Il est constant que le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse ou dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle et qui en tire le principal de ses ressources.



De plus, les dispositions du code du travail consacrées à la rupture du contrat de travail s'appliquent aux journalistes des entreprises de communication audiovisuelle.





En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [T] est journaliste professionnel pour avoir exercé notamment les fonctions de chef d'édition depuis 2005.



À la date de la rupture de son contrat, la société Antenne Réunion Télévision produisait trois journaux quotidiens d'actualité et appliquait la convention collective nationalité des journalistes, laquelle est d'ailleurs visée par son contrat de travail comme par l'ensemble des bulletins de paie de M. [T].



La cour considère en conséquence qu'il n'y a pas lieu de faire de distinction quant aux droits des journalistes professionnels quant au bénéfice du texte de l'article L. 7112-5 du code du travail et qu' il est donc applicable aux entreprises de communication audiovisuelle, telle que la société Antenne Réunion Télévision.



Le moyen tiré de la non application de la clause de cession est rejeté.





Sur la prescription de la demande de bénéfice de la clause de cession



La société Antenne Réunion Télévision fait valoir que la clause de cession s'appuie sur une condition de l'exécution du contrat dès lors que la cession est intervenue l'exécution du contrat avec M. [T] et que par conséquent le délai de prescription de deux ans prévu à l'article L. 1471-1 du code du travail doit s'appliquer.



Elle retient que la cession en cause est intervenue le 31 mars 2017 et ce n'est que le 12 juin 2019 que M. [T] a fait état pour la première fois sa volonté de se prévaloir de la clause de cession et que dès lors son action engagée le 15 juillet 2020 est prescrite.



M. [T] répond que la demande indemnitaire formée par le journaliste professionnel sur le fondement de l'article L.7112-5 ne s'analyse pas en « une action portant sur l'exécution du contrat de travail », mais en « une action portant la rupture du contrat de travail », relevant donc de l'alinéa 2 de l'article L.1471-1, qui fixe le point de départ du délai de l'action à la date de notification de la rupture.



Il est constant que l'article L 7112-5 du code du travail n'impose aucun délai aux journalistes pour mettre en 'uvre la clause de cession.



Comme le soutient, à juste titre, la société Antenne Réunion Télévision, l'application de la clause de cession ne déroge pas aux règles de droit commun relatives à la prescription extinctive.



Or, d'une part, selon l'article 2224 du code civil le délai de droit commun de la prescription extinctive est de 5 ans.



D'autre part, la loi dite de "sécurisation de l'emploi" du 14 juin 2013 a créé l'article L1471-1 du code du travail qui dispose que "toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit".



Ce texte vise toutefois le délai pour agir en justice et non pas celui pour bénéficier d'un droit.



Or, le journaliste qui invoque la clause de cession n'engage pas une action, il invoque simplement le droit qui lui est reconnu par l'article L. 7112-5, 1° du code du travail.



Il en résulte que le journaliste peut faire jouer la clause de cession dans le délai de droit commun de l'article 2220 du code civil, soit 5 ans à partir de la cession ou, plus précisément, de la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d'invoquer la clause de cession. S'il n'a pas connaissance de la cession ce déai ne commence pas à courir.



Pour saisir le conseil de prud'hommes, il n'aura en revanche, par application de l'article L.1471-1 du code du travail, que deux ans à partir de la date à laquelle il a notifié sa décision d'invoquer la clause de cession si son employeur lui en a refusé le bénéfice.





En l'espèce, M. [T] a présenté sa demande de retrait à la société Antenne Réunion Télévision le 12 juin 2019, soit dans le délai de cinq ans imparti et que le délai de prescription de l'action devant le conseil de prud'hommes commençait à courir à compter du 12 juin 2019 pour se terminer le 12 juin 2021, de sorte que la requête introductive d'instance du 15 juillet 2020 a donc été introduite dans le délai de prescription.



Par voie de conséquence et par ajout au jugement, les prétentions tendant à l'application de la clause de cession et au versement d'une indemnité de le licenciement sont donc déclarées recevables et la fin de non-recevoir rejetée .





Sur l'absence de lien de causalité entre la rupture du contrat de M. [T] et la cession de la société Antenne Réunion Télévision



La société Antenne Réunion Télévision soutient que "la démission" de M. [T] n'est en réalité pas liée à la cession de la société intervenue plus de deux ans auparavant, mais à des problèmes familiaux particulièrement importants, qu'il a évoqués lui-même aux termes de ses conclusions de 1ère instance, nécessitant notamment qu'il sollicite à plusieurs reprises des congés de proche aidant, avant d'être en arrêt de travail continue depuis le 14 juin 2019.



L'appelante affirme par ailleurs qu' aucun changement éditorial n'est intervenu à la suite du départ à la retraite de Monsieur [P]



M. [T] répond que par dérogation au droit commun, l'article L.7112-5 du code du travail prévoit que le journaliste qui prend l'initiative de rompre son contrat de travail conserve son droit à l'indemnité de licenciement pour certaines causes mais que les seules conditions posées par le texte sont :

- une rupture à l'initiative du salarié

- motivée par trois circonstances qui sont

* la cession du journal ou du périodique (clause de cession) ;

* la cessation de la publication quelle qu'en soit la cause (clause de cessation) ;

* le « changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le journaliste, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale à ses intérêts moraux ».



Il ajoute que sa lettre satisfait à ces conditions.



La lettre de rupture de son contrat par M. [T] du 12 juin 2019 vise expressément la seule cession capitalistique de la société Antenne Réunion Télévision au groupe OCEINDE, à l'exclusion de tout autre fait.



Il convient de retenir en effet que le départ de M. [P], ancien PDG, n'a été évoqué que comme un fait mais non comme l'affirmation d'un changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique qui aurait crée, pour le journaliste, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale à ses intérêts moraux.



Il est rappelé que, pour le journaliste professionnel, le droit de rompre son contrat de travail, en application du 1° de l'article L.7112-5 du code du travail pour cause de cession du journal ou du périodique doit :



- trouver son fondement dans un acte juridique objectif, en l'espèce non contesté, d'un acte de cession de la société Antenne Réunion Télévision ,



- ne pas être prescrit ;



- ne pas être soumis à une appréciation des circonstances de sa formulation, quand bien même à cette occasion le journaliste professionnel élèverait des observations, comme en en l'espèce celle du départ de Monsieur [P];



- être indépendant de celui que prévoit le 3° du même article en cas de changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou du périodique de nature à porter atteinte à l'honneur, la réputation ou, d'une manière générale, aux intérêts moraux du journaliste professionnel, qui n'a donc pas besoin de remettre en cause sa ligne éditoriale.



Ainsi, au vu de la lettre de rupture de son contrat, M. [T] ayant visé expressément la cession capitalistique de la société Antenne Réunion Télévision au groupe OCEINDE, à l'exclusion de tout autre motif, a bien établi un lien de causalité à ce titre entre la rupture de son contrat et la cession de la société Antenne Réunion Télévision.



Il est en conséquence en droit de se prévaloir de la clause de cession et de l'application de l'article L.7112-5 quant au versement d'une indemnité.



Le jugement est confirmé de ce chef.





Sur l'indemnisation de la rupture du contrat de travail



Sur la base d'une ancienneté de plus 26 années et d'un salaire mensuel brut de 3.603,60 euros, M. [T], en application de l'article L.7112-3 du code du travail, sollicite une indemnité de 54.054 euros.



La société Antenne Réunion Télévision contestant le principe de l'indemnisation selon l'argumentaire sus-exposé, mais non pas le calcul opéré par l'intimé, la cour fera droit à sa demande, étayée par les bulletins de paie versés aux débats.



Le jugement est en conséquence également confirmé de ce chef.





Sur la répétition de l'indu



En application des articles 1302 et 1302-1 du code civil, les sommes indûment versées peuvent être réclamées par la partie versante, sans que celle-ci ait à prouver qu'elle les a versées par erreur.



La société Antenne Réunion Télévision fait valoir, qu'en dépit de sa "démission"du 12 juin 2019 avec effet au 12 juillet 2019, M. [T] a continué de lui adresser ses arrêts de travail , ce qui l' a conduite, par erreur, à établir à son profit entre juillet 2019 et mai 2022, des bulletins de paie et à lui verser un maintien de salaire, des primes d'ancienneté d'entreprise, des primes d'ancienneté profession et des primes de 13ème mois pour la somme de 35.576,76 euros.



Il résulte du dossier que M. [T] a été placé en arrêt de travail le 14 juin 2019 mais que bénéficiant d'un préavis légal de 2 mois , son contrat de travail a été suspendu à cette date du 14 juin.



L'employeur a versé les compléments de salaire pendant les arrêt de travail de M. [T] pendant son préavis suspendu jusqu'en mai 2022.



Or, en application de la convention nationale des journalistes, les salaires et indemnités devaient lui être versés durant la période d'arrêt de travail, sous déduction des indemnités journalières versées par la Caisse de sécurité sociale ainsi que des régimes de prévoyance pour lesquels les entreprises cotisent.

Le salarié fait partie des effectifs de l'entreprise.



La société Antenne Réunion Télévision, en charge de la production d'un décompte détaillé des sommes réclamées au titre de l'indu, ne précise pas la date de fin de communication des arrêts de travail de M. [T], mais indique que le salarié était toujours en arrêt le 27 juillet 2022, date à laquelle à défaut de tout élément il convient donc de se placer pour considérer que le préavis à pris fin le 23 septembre 2022 à la suite de sa suspension du préavis qui a commencé à courir le 12 juin 2019 pour être suspendu le 14 juin 2019.



Ainsi, les sommes versées jusqu'en mai 2022 au titre des compléments aux indemnités journalières étaient dues au salarié et la société Antenne Réunion Télévision est déboutée, par la confirmation du jugement déféré, de sa demande de répétition de l'indu.





Sur les dommages et intérêts pour préjudice économique, financier et moral distinct



M. [T] fait valoir que l'employeur a fait preuve d'une résistance abusive à reconnaître et respecter les droits du salarié, ce qui a provoqué une dégradation de son état de santé à la suite d'une dépression nerveuse depuis 2019.



La société Antenne Réunion Télévision soutient que M. [T] ne justifie pas d'un préjudice alors qu'il a été en arrêt de travail de manière discontinue à compter du 14 juin 2019 et qu'il l'était encore le 27 juillet 2022 et ne peut faire état par conséquent d'aucun préjudice économique en l'espèce, alors même qu'il a ainsi bénéficier durant ce temps de la protection afférente.



Il résulte du dossier que l'état de dépression subi par M. [T] et son aggravation, attestés par le docteur [N], psychiatre (pièce n° 7) sont en lien direct avec le refus non fondé de l'employeur, sur plusieurs années, de lui voir reconnaître la possibilité de mettre fin au contrat de travail par application de la clause de cession et des dispositions prévues par l'article L. 7 112-5 1° du code du travail.



Son préjudice moral est ainsi établi et en lien avec la faute de l'employeur qui a maintenu une position particulièrement inconfortable pour le salarié.



En revanche, en charge de la preuve d'un préjudice économique et financier , l'appelant, qui n'en précise pas la nature ni le montant, ne verse aux débats aucune pièce justificative.



Par conséquent le jugement déféré est infirmé en ce que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande de dommages et intérêts.



La cour estime à 5000 euros le montant du préjudice moral subi par M. [T] et condamne la société Antenne Réunion Télévision au paiement de cette somme.





Sur la remise des documents de fin de contrat



Il convient, au vu du sens de l'arrêt, d'ordonner la remise par le représentant de la société Antenne Réunion Télévision :

- de l'attestation France travail, portant comme motif de la rupture l'application de la clause de cession,

- du certificat de travail rectifié en conformité avec le présent arrêt ;

- le solde de tout compte rectifié.



Il n'apparait pas nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte .



Le jugement est infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de remise de ces documents .





Sur la demande de donner acte de la saisine de la commission Arbitrales des journalistes pour le surplus d'indemnité qui lui est due au titre de son ancienneté au-delà de 15 ans



Il n'y a pas lieu de statuer sur ce point qui ne constitue pas prétention.





Sur les dépens et frait irrépétibles



Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions concernant la charge des dépens et la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Ajoutant, la société Antenne Réunion Télévision est condamné aux dépens d'appel et à payer à M. [T] la somme de 3000 € au titre de ses frais irrépétibles.













PAR CES MOTIFS





La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,



Rejette les fins de non recevoir soulevées par la société Antenne Réunion Télévision au titre d'une part, de la prescription de l'action et d'autre part, de la demande de bénéfice de la clause de cession ;



Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions concernant le rejet des demandes suivantes :

' remise des documents de fin de contrat ;

' dommages intérêts pour préjudice moral ;



Statuant des chefs infirmés et ajoutant :



- Condamne la société Antenne Réunion Télévision, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [K] [T] la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral;



- Condamne la société Antenne Réunion Télévision à remettre à M. [K] [T] l'attestation France travail, portant comme motif de la rupture l'application de la clause de cession, du certificat de travail rectifié et du solde de tout compte, le tout en conformité avec le présent arrêt ;



Déboute M. [K] [T] de sa demande d'astreinte ;



Condamne la société Antenne Réunion Télévision, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [T] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société Antenne Réunion Télévision, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens d'appel.



Le présent arrêt a été signé par Madame Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre, et par Madame Monique LEBRUN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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