13 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-14.004

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00308

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION - Salaire - Paiement - Prescription - Durée - Détermination - Nature de la créance invoquée - Portée

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail

PRESCRIPTION - Prescription triennale - Article L. 3245-1 du code du travail - Domaine d'application - Rappel de salaire - Demande fondée sur la requalification du contrat - Requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet - Portée


STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Accords collectifs - Accord d'entreprise - Qualification - Cas - Conclusion dans le périmètre d'une unité économique et sociale

L'accord collectif conclu dans le périmètre d'une unité économique et sociale est un accord d'entreprise

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 mars 2024




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 308 FS-B

Pourvoi n° B 22-14.004






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024

La société Seris sûreté midi sécurité, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° B 22-14.004 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [W] [L], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi, direction régionale Auvergne-Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Seris sûreté midi sécurité, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2022) et les productions, M. [L] a été engagé en qualité d'agent de sécurité qualifié, le 13 août 2011, par la société Seris sûreté midi sécurité suivant contrat de travail à durée indéterminée intermittent prévoyant des périodes travaillées et des périodes non travaillées et à raison d'une durée annuelle minimale de 120 heures.

2. L'existence d'une unité économique et sociale, à laquelle appartient la société Seris sûreté midi sécurité, a été reconnue par jugement du tribunal d'instance de Montpellier du 12 décembre 2008.

3. Le salarié a été licencié le 10 juin 2015.

4. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 13 novembre 2017, afin de contester le bien-fondé de la rupture de la relation de travail et de solliciter la requalification de son contrat de travail intermittent en un contrat à temps complet ainsi que la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la requalification du contrat de travail intermittent du salarié en un contrat à durée indéterminée à temps complet et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, de dire que ces créances porteraient intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017 et de le
condamner à payer au salarié une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, alors « que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que, dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittents peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées ; que le contrat de travail intermittent conclu malgré l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat à temps complet, fondée sur l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif, est le délai de deux ans applicable aux actions portant sur l'exécution du contrat de travail ; qu'en l'espèce, pour considérer que la demande de M. [L] en requalification de son contrat de travail intermittent en contrat à temps complet n'était pas prescrite, la cour d'appel a retenu que cette action s'analysait en une réclamation en paiement de salaire soumise non à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail mais à la prescription triennale applicable aux créances salariales prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-31 et L. 1471-1 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et le second dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

6. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail.

7. La cour d'appel, qui a retenu que la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet s'analysait en une réclamation en paiement de salaire, en a exactement déduit que sa demande était soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées ; qu'il en résulte que le contrat de travail intermittent conclu malgré l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'examen des pièces produites révèle que l'accord du 11 septembre 2009 visé par le contrat de travail, a été signé par sept sociétés du groupe Esi, de sorte qu'il ne saurait être considéré, contrairement à ce que soutient la société Seris sûreté midi sécurité, autrement que comme un accord de groupe dès lors qu'il engage plusieurs employeurs distincts de cette société, ce qui exclut, quand bien même ces derniers appartiendraient à une même unité économique et sociale, qu'il puisse s'agir d'un accord d'entreprise ou d'établissement nonobstant les mentions inexactes du contrat de travail sur ce point ; qu'elle en a conclu qu'en l'absence de convention ou d'accord collectif de travail étendu, comme de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement au sens des dispositions susvisées ayant pu valablement prévoir le recours au travail intermittent, il doit être retenu que le contrat de travail intermittent de M. [L] est irrégulier, ce qui justifie sa requalification en un contrat de travail de droit commun à temps complet à durée indéterminée ; qu'en statuant ainsi, alors que l'accord du 11 septembre 2009 signé par sept sociétés du groupe Esi, dont la société Seris sûreté midi sécurité, lesquelles constituaient une unité économique et sociale, est un accord d'entreprise prévoyant la possibilité de recourir à des contrats de travail intermittent, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-31, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 2322-4, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3123-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 2322-4 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :

10. Aux termes du premier de ces textes, dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées.

11. Aux termes du second, lorsqu'une unité économique et sociale regroupant cinquante salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire.

12. Il en résulte que l'accord collectif conclu dans le périmètre d'une unité économique et sociale est un accord d'entreprise.

13. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les notions de groupe et d'unité économique et sociale sont incompatibles sauf si leurs périmètres respectifs sont distincts (Soc., 20 octobre 1999, pourvoi n° 98-60.398, Bull. 1999, V, n° 391 ; Soc., 30 mai 2001, pourvoi n° 00-60.111, Bull. 2001, V, n° 191 ; Soc., 25 janvier 2006, pourvoi n° 04-60.234, Bull. 2006, V, n° 34).

14. Pour prononcer la requalification du contrat de travail intermittent du salarié en un contrat à durée indéterminée à temps complet, l'arrêt retient que l'examen des pièces produites révèle que l'accord du 11 septembre 2009 visé par le contrat de travail, a été signé par sept sociétés du groupe Esi, de sorte qu'il ne saurait être considéré, contrairement à ce que soutient l'employeur, autrement que comme un accord de groupe dès lors qu'il engage plusieurs employeurs distincts de la société Seris sûreté midi sécurité, ce qui exclut, quand bien même ces derniers appartiendraient à une même unité économique et sociale, qu'il puisse s'agir d'un accord d'entreprise ou d'établissement nonobstant les mentions inexactes du contrat de travail sur ce point. Il ajoute qu'il n'est pas non plus discuté que la convention collective nationale des entreprises de prévention et de la sécurité, à laquelle la relation de travail était soumise, ne prévoyait pas, lors de la conclusion du contrat de travail, la possibilité d'un recours au travail intermittent en vue de pourvoir un emploi d'agent de sécurité, tel celui occupé dans l'entreprise par le salarié.

15. Il conclut qu'en l'absence de convention ou d'accord collectif de travail étendu, comme de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement au sens des dispositions susvisées ayant pu valablement prévoir le recours au travail intermittent, le contrat de travail intermittent du salarié est irrégulier, ce qui justifie sa requalification en un contrat de travail de droit commun à temps complet à durée indéterminée sans qu'il soit possible à l'employeur de prouver que le salarié n'était pas à sa disposition.

16. En statuant ainsi, alors que l'accord collectif du 11 septembre 2009 conclu au sein de l'unité économique et sociale était un accord d'entreprise ayant valablement prévu la possibilité de recourir à des contrats de travail intermittent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la requalification du contrat de travail intermittent de M. [L] en un contrat à durée indéterminée à temps complet, en ce qu'il condamne la société Seris sûreté midi sécurité à payer au salarié les sommes de 51 257,90 euros à titre de rappel de salaire outre 5 125,79 euros à titre d'indemnité de congés payés afférente, en ce qu'il dit que les créances porteraient intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017 et en ce qu'il le condamne à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 26 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.

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