8 mars 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG n° 21/06561

Chambre 01

Texte de la décision

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 21/06561 - N° Portalis DBZS-W-B7F-VTJD


JUGEMENT DU 08 MARS 2024



DEMANDERESSE :

S.A.R.L. ESPRITS SENIORS SERVICES
immatriculée au RCS LILLE sous le n° 511 285 215
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Caroline LOSFELD-PINCEEL, avocat au barreau de LILLE



DÉFENDEURS :

M. [E] [X]
[Adresse 2]
[Localité 5] - BELGIQUE
représenté par Me Bryan ROGGEMAN, avocat au barreau de LILLE

M. [Z] [N]
[Adresse 3]
[Localité 6] - BELGIQUE
représenté par Me Bryan ROGGEMAN, avocat au barreau de LILLE




COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

Greffier : Benjamin LAPLUME,


DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 22 Mars 2023 ;

A l’audience publique du 09 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 08 Mars 2024.


JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 08 Mars 2024, et signé par Marie TERRIER, Président, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.





Exposé du litige

Suivant acte sous seing privé en date du 12 mars 2009, la SCI Jeanvier a consenti à la SARL Esprit Seniors Services, un bail commercial portant sur des locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé Roubaix.

Suivant arrêt du 22 juin 2017, la cour d’appel de Douai a condamné sous astreinte la SCI Jeanvier à effectuer plusieurs travaux dans les locaux donnés à bail.

M. [E] [X] et M. [Z] [N], associés de la SCI Jeanvier, ont décidé de transformer la forme de la société Jeanvier en société à responsabilité limitée (SARL) par décision du 23 novembre 2018 inscrite au registre du commerce et des sociétés le 19 décembre 2018.

Saisi à l’initiative de la SARL Esprit Seniors Services, par acte d’huissier du 14 décembre 2018, le juge de l’exécution a, par jugement du 14 novembre 2019, liquidé l’astreinte prononcée suivant arrêt de la cour d’appel de Douai à la somme de 20.000 euros et a condamné par ailleurs la société Jeanvier au paiement d’une somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Préalablement placée en liquidation judiciaire simplifiée par jugement du tribunal de commerce de Lille en date du 9 novembre 2020, la SARL Jeanvier a fait l’objet le 11 juin 2021 d’un jugement prononçant la clôture pour insuffisance d’actif.

Par acte d'huissier en date du 04 octobre 2021, la SARL Esprit Seniors Services a fait assigner la M. [E] [X] et M. [Z] [N] devant le tribunal judiciaire de Lille en paiement de diverses sommes en leur qualité d’associé de la société Jeanvier.

Sur ce, M. [E] [X] et M. [Z] [N] ont constitué avocat.

La clôture est intervenue le 22 mars 2023, suivant ordonnance du même jour, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 12 mars 2024.

Au terme de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 18 mai 2022, la SARL Esprit Seniors Services demande de :

Condamner conjointement les défendeurs au paiement de la somme de 19.246 euros, outre les dépens d’exécution, à proportion de leurs parts respectives dans le capital social de la SCI Jeanvier ;
Les débouter de l’ensemble de leurs demandes ;
Les condamner in solidum ou, l’un à défaut de l’autre, au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles outre les dépens d'instance.
Sur le fondement des articles 1857 et 1858 du code civil, la demanderesse énonce que les associés de la société civile Jeanvier sont tenus conjointement des dettes sociales.

Elle soutient qu’elle a vainement tenté d’exécuter la décision du jugement de l’exécution du 14 novembre 2019 et qu’elle est donc bien fondée à rechercher la responsabilité personnelle des associés à proportion de leur part dans le capital.

Elle énonce également que la procédure devant le juge de l’exécution a été diligentée préalablement à la transformation de la forme de la société Jeanvier, raison pour laquelle le statut des sociétés civiles trouve à s’appliquer.


Au terme de leurs dernières écritures, notifiées par voie électronique le 19 juillet 2022, M. [E] [X] et M. [Z] [N] demandent de :

Débouter la SARL Esprit Seniors Services de l’ensemble de ces demandes ;
La condamner à leur payer chacun la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédures abusives ;
La condamner à leur payer chacun la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux dépens.
M. [E] [X] et M. [Z] [N] soutiennent, sur le fondement de l’article L. 622-26 du code de commerce, que la SARL Jeanvier a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du tribunal de commerce du 18 novembre 2020 et que la SARL Esprit Seniors Services n’a pas déclaré sa créance à la procédure collective. Ils en déduisent qu’elle n’est pas fondée à rechercher la responsabilité personnelle des associés.

Ils estiment également, sur le fondement de l’article L. 643-11 du code de commerce, que les créanciers ne sont plus fondés à poursuivre individuellement le débiteur après la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

Enfin, ils énoncent, sur le fondement de l’article L. 223-1 du code de commerce, que les associés d’une SARL ne sont responsables du passif social que dans la limite de leurs apports et qu’en l’espèce la dette est née le 14 novembre 2019, date du prononcé du jugement du juge de l’exécution, soit postérieurement à la transformation de la forme de la société Jeanvier.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour plus ample l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

L'affaire a été mise en délibéré au 08 mars 2024.



Motifs de la décision

Sur la demande en paiement
L’alinéa 1 de l’article 1857 du code civil dispose que « A l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date d’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ».

L’article 1858 du code civil dispose que « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ».

En l’espèce, dans le cadre d’un contentieux locatif, la SCI Jeanvier a été condamnée par arrêt du 22 juin 2017 à réaliser plusieurs travaux dans le local mis à disposition à la SARL Esprit Seniors Services et ce sous astreinte de 500 euros par jours de retard pendant un délai de trois mois à compter d’un délai de 6 mois suivant la signification de la décision.

L’astreinte a été liquidée par jugement du juge de l’exécution en date du 14 novembre 2019 à la somme de 20.000 euros.


La SARL Esprit Seniors Services a tenté vainement de poursuivre l’exécution de ce titre en faisant procéder à une saisie-vente par acte d’huissier en date du 27 octobre 2020 puis à une saisie-attribution par acte d’huissier du 30 octobre 2020.

Les deux tentatives d’exécution ayant échoué en raison de l’absence de biens et de liquidité appartenant à la société Jeanvier, la SARL Esprit Seniors Services entend poursuivre le paiement de la dette sociale contre M. [E] [X] et M. [Z] [N], associés de la société Jeanvier.

En premier lieu, les défendeurs, qui s’opposent à la demande en faisant état de l’absence de déclaration de la créance litigieuse à la procédure collective de la société Jeanvier, font une mauvaise lecture de l’arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mai 2007 (n° 05-10413), qui n’impose pas une déclaration de créance préalablement à la poursuite individuelle des associés d’une société civile en procédure collective mais dispense au contraire le créancier de justifier de poursuites infructueuses dans l’hypothèse où il a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective.

Or, la SARL Esprit Seniors Services a tenté de faire exécuter son titre contre la société Jeanvier à deux reprises, justifiant ainsi des poursuites infructueuses contre le débiteur principal. Il ne peut donc pas être reproché au créancier une absence de déclaration de créance à la procédure collective de la société Jeanvier.

En deuxième lieu, il est constant que la société Jeanvier a fait l’objet d’une liquidation judiciaire qui a été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement en date du 22 juin 2021. Aux termes de l’article L. 643-11 I du code de commerce, le jugement de clôture ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. En revanche, les poursuites individuelles contre les associés de la société débitrice ne sont aucunement interdites.

Enfin, la transformation de la société civile Jeanvier en société à responsabilité limitée par décision 23 novembre 2018, publiée le 19 décembre 2018, ne peut pas avoir pour effet de préjudicier aux droits nés antérieurement des créanciers. Les créanciers antérieurs continuent donc à bénéficier de l’engagement de la société Jeanvier et, à titre subsidiaire, des associés. Il appartient ainsi au tribunal de rechercher la date de naissance de la créance de la société Esprit Seniors Services.

Le tribunal constate que, la créance litigieuse de la SARL Esprit Seniors Services, liquidée suivant jugement du 14 novembre 2019, est née de l’inexécution par la société Jeanvier des condamnations qui avaient été mises à sa charge sous astreinte par la cour d’appel de Douai en date du 22 juin 2017.

Le juge de l’exécution rappelle que, l’arrêt de la cour d’appel de Douai ayant été signifié le 30 juin 2017, la société Jeanvier devait exécuter les travaux au 30 décembre 2017 au plus tard, ce qu’elle n’a fait que partiellement. Dès lors, l’astreinte journalière d’un montant de 500 euros a commencé à courir le 30 décembre 2017 pour un délai de trois mois. Ainsi, la créance de la SARL Esprit Seniors Services est née le 30 décembre 2017, date à laquelle l’astreinte a commencé à courir.

Il ressort de ces éléments que, au 30 décembre 2017, date de la naissance de la créance litigieuse, la société Jeanvier était une société civile, de sorte que la SARL Esprit Seniors Services continue à bénéficier de l’engagement indéfini des associés, peu importe que la créance ait été liquidée et rendue exigible postérieurement à la transformation sociale de la société Jeanvier.



En revanche, la créance de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’instance ayant donné lieu au jugement en date du 14 novembre 2019 est née à la date du prononcé de la décision. La SARL Esprit Seniors Services ne peut donc pas poursuivre le paiement de cette dette contre M. [E] [X] et M. [Z] [N]. Il en est de même des frais d’exécution du jugement du 14 novembre 2019.

Ainsi, la SARL Esprit Seniors Services est bien fondée à solliciter le paiement de la créance de 20.000 euros à l’encontre de M. [E] [X] et M. [Z] [N]. Il conviendra de déduire de cette somme l’acompte versé par la société Jeanvier d’un montant de 2.754 euros.

Il n’est par ailleurs pas contesté que les associés possédaient chacun la moitié du capital social.

En conséquence, M. [E] [X] et M. [Z] [N] seront condamnés à payer chacun la somme de 9.123 euros à la SARL Esprit Seniors Services.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.
La demande de la SARL Esprit Seniors Services étant partiellement fondée, M. [E] [X] et M. [Z] [N] ne peuvent pas prétendre à une indemnité pour procédure abusive.

Sur les mesures accessoires
M. [E] [X] et M. [Z] [N], partie perdante, seront condamnés aux dépens.

Ils seront également condamnés au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A défaut de solidarité, les créances au titre des mesures accessoires se divisent par moitié.

PAR CES MOTIFS

CONDAMNE M. [E] [X] à payer à la SARL Esprits séniors Services la somme de 9.123 euros ;

CONDAMNE M. [Z] [N] à payer à la SARL Esprits séniors Services la somme de 9.123 euros ;

DEBOUTE les défendeurs de leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts :

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE M. [E] [X] et M. [Z] [N] à payer à la SARL Esprit Seniors Services la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [E] [X] et M. [Z] [N] aux dépens.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE




Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER

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