6 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.879

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00282

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Obligations - Mise à la disposition d'une filiale étrangère d'un salarié par la société mère - Réintégration au sein de la société mère - Défaut - Indemnités consécutives à la rupture du contrat - Calcul - Salaire de référence - Détermination - Portée

Il résulte de l'article L. 1231-5 du code du travail que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l'allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auxquels le salarié peut prétendre doivent être calculés par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorables que la règle légale

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mars 2024




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 282 F-B

Pourvoi n° N 22-19.879






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MARS 2024

M. [D] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 22-19.879 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pole 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Vinci énergies management international, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La société Vinci énergies management international a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [C], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Vinci énergies management international, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2022), M. [C] a été engagé en qualité de responsable du service achat, statut cadre, par la société Vinci énergies management international (la société) à compter du 1er octobre 2012 par contrat à durée indéterminée du 8 juin 2012. Suivant avenant d'expatriation conclu le même jour, il a été convenu qu'il occuperait les fonctions de responsable du service achats au Maroc au sein de la société Cegelec Maroc, filiale de la société Vinci, jusqu'au 31 août 2015. Le 12 octobre 2012, le salarié a signé un contrat de travail avec la société filiale.

2. Le contrat d'expatriation a pris fin le 1er juillet 2015.

3. Par lettre du 23 novembre 2015, la société a licencié le salarié pour motif économique. Ce dernier a accepté le congé de reclassement à l'issue duquel le contrat de travail a été rompu, le 14 mai 2016.

4. Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi, le 21 juin 2016, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et d'un solde d'indemnités de rupture et de rappels de salaire au titre de l'allocation de congé de reclassement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à 46 000 euros le montant des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mis à la charge de la société et de le débouter de ses demandes en paiement d'un solde d'indemnités de rupture, de rappels de salaire au titre du congé de reclassement et de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse calculés sur la base de son dernier salaire d'activité, alors :

« 1°/ que lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein ; que lorsque la société mère, sans l'avoir réintégré, le licencie à l'occasion de la rupture de son contrat avec la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi ; que le dernier emploi occupé par M. [C] ayant été son poste au sein de la société Cegelec Maroc, filiale à 99 % de la société Vinci auprès de qui elle l'avait détaché, le montant des indemnités de préavis, de congés payés afférents au préavis, de licenciement, mais également du salaire du congé de reclassement et des dommages-intérêts dus au titre du caractère injustifié du licenciement devait être déterminé sur la base du salaire d'expatriation ; qu'en calculant au contraire ces indemnités de rupture et dommages et intérêts sur la base du salaire antérieur à son détachement, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-5 du code du travail ;

2°/ qu'en cas de conflits de normes, la plus favorable au salarié doit recevoir application ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté M. [C] de sa demande tendant à voir fixer le montant des indemnités et dommages et intérêts dus par la société Vinci à la suite de son licenciement en fonction de la rémunération perçue dans son dernier emploi au service de la filiale marocaine aux termes de motifs ainsi libellés : "Il n'existe pas de disposition légale relative au calcul des indemnités de rupture dans le cas d'un contrat d'expatriation conclu avec une filiale. Dans ce contexte, les parties peuvent prévoir à l'avance de réglementer cette question dans le contrat de travail. En l'espèce, le contrat d'expatriation stipule expressément dans son article 3 : "En tout état de cause, si la rupture du contrat de travail de monsieur [C] avec "la société" ou Cegelec Maroc, devait être envisagée (...) les indemnités éventuellement dues seraient calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l'exclusion des émoluments liés à son transfert en Maroc". Cette stipulation est conforme à l'article 6.2.6 la convention collective des cadres des travaux publics qui stipule dans sa version applicable : "En cas de rupture du contrat de travail durant le séjour à l'extérieur, les indemnités susceptibles d'être dues au cadre à cette occasion sont calculées, sauf cas plus favorable prévu dans l'avenant, sur le montant de la rémunération effective du cadre base France métropolitaine" ; qu'en statuant de la sorte quand tant les dispositions de l'article L. 1231-5 que celles des articles L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, imposaient que les indemnités de rupture et dommages et intérêts fussent calculés par référence aux salaires perçus par le salarié licencié dans son dernier emploi, qui était celui occupé au service de la filiale étrangère, et que ni le contrat, ni la convention collective ne pouvaient déroger à ces dispositions légales en défaveur du salarié, la cour d'appel a violé le principe fondamental de droit du travail d'application de la norme la plus favorable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1231-5 du code du travail :

7. Aux termes de ce texte, lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein. Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables. Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement.

8. Il en résulte que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi.

9. Pour fixer à la somme de 46 000 euros le montant des dommages-intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour débouter le salarié de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement, calculés sur la base de son dernier salaire d'activité, l'arrêt retient que l'article 3 du contrat d'expatriation stipule qu'en cas notamment de licenciement, les indemnités éventuellement dues au salarié seront calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l'exclusion des émoluments liés à son transfert au Maroc, et que cette stipulation est conforme à l'article 6.2.6 de la convention collective des cadres des travaux publics qui dispose qu'en cas de rupture du contrat de travail durant le séjour à l'extérieur, les indemnités susceptibles d'être dues au cadre à cette occasion sont calculées, sauf cas plus favorable prévu dans l'avenant, sur le montant de la rémunération effective du cadre base France métropolitaine. L'arrêt en déduit que conformément aux stipulations contractuelles la rémunération de référence en France doit être retenue pour le calcul des diverses sommes dues au salarié au titre de la rupture.

10. En statuant ainsi, alors que l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l'allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient être calculés sur la base du salaire d'expatriation au Maroc, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorables que la règle légale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et déboutant le salarié de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vinci énergies management international à payer à M. [C] la somme de 46 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il déboute M. [C] de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement, l'arrêt rendu le 8 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Vinci énergies management international aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Vinci énergies management international et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre.

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