29 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.362

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C300112

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Bail à ferme - Prix - Fixation - Clause de détermination du prix à une fraction de la récolte du fermier - Illicéité - Sanction - Détermination

Il résulte des articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural et de la pêche maritime que la clause d'un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 février 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 112 FS-B


Pourvois n°
B 22-17.362
U 22-21.127 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 FÉVRIER 2024

I. M. [P] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-17.362 contre un arrêt rendu le 12 avril 2022 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile statuant en matière de baux ruraux), dans le litige l'opposant à M. [J] [W], domicilié [Adresse 1],

défendeur à la cassation.

II. M. [J] [W], a formé le pourvoi n° U 22-21.127 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à M. [P] [L],

défendeur à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° B 22-17.362 invoque, à l'appui de son recours trois moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi n°U 22-21.127 invoque, à l'appui de son recours un moyen de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [L], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [W], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, M. Brillet, Mme Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° B 22-17.362 et n° U 22-21.127 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 avril 2022), par acte du 16 novembre 1991, M. [W] (le bailleur) a donné à bail à ferme à M. [L] (le preneur) diverses parcelles de terre, moyennant un « fermage annuel égal à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées, fruits bruts, bord de champ, non logés ».

3. Le 2 décembre 2018, le bailleur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux aux fins d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire pour évaluer les fermages dus depuis l'année 2013 en fonction de la récolte produite sur les parcelles louées.

4. Après dépôt du rapport d'expertise, il a sollicité la résiliation du bail et la condamnation du preneur à lui payer diverses sommes au titre des fermages dus pour les années 2013 à 2019.

5. Le preneur a demandé, à titre reconventionnel, la nullité de la clause fixant le fermage.



Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office


6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural et de la pêche maritime :

7. Selon le premier de ces textes, le loyer des terres nues portant des cultures permanentes viticoles, arboricoles, oléicoles et agrumicoles et des bâtiments d'exploitation y afférents peut être évalué en une quantité de denrées comprise entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative.

8. Il est jugé que la quantité de denrées ne peut fluctuer au cours du bail en fonction de variables non conformes aux dispositions de l'article L. 411-11 précité (3e Civ., 21 janvier 2009, pourvoi n° 07-20.233, Bull. 2009, III, n° 18).

9. Selon le second de ces textes, les dispositions précitées sont d'ordre public.

10. Il en résulte que la clause d'un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

11. Pour rejeter la demande du preneur en nullité de la clause fixant le fermage, l'arrêt retient qu'un fermage fixé par référence à la denrée visée par l'arrêté préfectoral alors applicable, mais ne respectant pas les minima et maxima fixés par l'autorité administrative, n'ouvre pas au fermier une action en nullité mais une action en révision.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le fermage était fixé à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° B 22-17.362

Enoncé du moyen

13. Le preneur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du bail rural du 16 novembre 1991 et d'ordonner son expulsion, alors « que les agissements du preneur d'un bail rural ne peuvent être considérés comme des motifs de résiliation du bail que s'ils sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ; qu'en affirmant, pour prononcer la résiliation du bail, d'une part, que l'absence d'assurance contre le risque "grêle" et la perte de la récolte en raison de l'épisode de gel survenu en mai 2019 attestaient du comportement négligent de M. [L] et avaient porté préjudice au bailleur, et d'autre part, que le fait pour M. [L] de n'avoir pas tenu une comptabilité permettant de vérifier la quantité des récoltes produites compte tenu des modalités de calcul du fermage constituait une faute grave, la cour d'appel, qui n'a pas constaté, au cas particulier, que ces agissements avaient compromis la bonne exploitation du fonds, a violé l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-27 du même code et l'article 1766 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 411-31, I, 2°, du code rural et de la pêche maritime :

14. Selon ce texte, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.

15. Pour prononcer la résiliation du bail, par motifs adoptés, l'arrêt retient, d'abord, que le preneur n'a pas assuré sa récolte contre le risque de grêle, alors qu'une clause du bail lui en faisait l'obligation, qu'il n'a installé qu'en 2012 des filets anti-grêle et que la grêle a causé, plusieurs années, des dégâts aux vergers.

16. Il constate, ensuite, qu'un gel important s'est produit dans la nuit du 5 au 6 mai 2019, et que le preneur a mis en marche le système de protection contre le gel mais n'a pas surveillé le bon fonctionnement du dispositif, de sorte que la récolte a été quasiment inexistante.

17. Il en déduit que, le prix du fermage dépendant de la récolte, le bailleur a subi un préjudice et que les divers manquements commis par le preneur ont compromis la bonne exploitation du fonds.

18. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la compromission de la bonne exploitation du fonds, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation du chef rejetant la demande en nullité de la clause fixant le fermage entraîne la cassation des chefs de dispositif disant qu'aucune somme n'est due au titre des fermages pour les années 2013 à 2017, condamnant le preneur à payer au bailleur une certaine somme au titre des fermages des années 2018 et 2019 et ordonnant la capitalisation des intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi N° B 22-17.362 et sur ceux du pourvoi n° U 22-21.127, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte la note technique de M. [F] et rejette la demande de M. [L] tendant à écarter le compte-rendu d'accédit de M. [F], l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf février deux mille vingt-quatre.

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