28 février 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 21/03105

Chambre sociale 4-4

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80O



Chambre soaicle 4-4



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 FÉVRIER 2024



N° RG 21/03105

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZPN



AFFAIRE :



[S] [T] [M]



C/



[Y] [K]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le

14 septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne Billancourt

Section : AD

N° RG : F 21/00141



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Isabelle JONQUOIS



Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT HUIT FÉVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Madame [S]-[T] [M]

née le 1er juin 1989 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Isabelle JONQUOIS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0459



APPELANTE

****************





Monsieur [Y] [K]

né le 27 février 1977 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1714



INTIME

****************





Composition de la cour :



L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 décembre 2023,

ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :



Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK










RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE



Mme [M] a été engagée par le cabinet de Maître [K], en qualité de stagiaire, par convention de stage conclue le 23 juillet 2018, pour la période du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018.



Cette société est un cabinet d'avocats. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de moins de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des avocats et de leur personnel.



Mme [M] percevait une rémunération fixe brute mensuelle de 899 euros. En dernier lieu, pour le mois de décembre 2018, Mme [M] a perçu une rémunération de 475,83 euros.



La relation contractuelle a pris fin au 31 décembre 2018 comme indiqué dans la convention.



Le 9 décembre 2019, Mme [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de requalification de la convention de stage en contrat de travail et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.



Par jugement du 28 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt sur le fondement de l'article 47 du code de procédure civile.



Par jugement du 14 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section Activités diverses) a :

- constaté que Mme [S]-[T] [M] n'est pas inscrite au barreau de l'Ordre des avocats pendant la période en litige du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018 ;

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur [Y] [K] ;

- s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant Madame [S]-[T] [M] à Monsieur [Y] [K] ;

- dit que Madame [S]-[T] [M] a été engagée en qualité de stagiaire de Monsieur [Y] [K] ;

- débouté Madame [S]-[T] [M] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis à la charge de chacune des parties ses propres dépens.



Par déclaration adressée au greffe le 20 octobre 2021, Mme [M] a interjeté appel de ce jugement.



Par conclusions d'incident adressées au greffe le 5 juin 2023, M. [K] a demandé au conseiller de la mise en état de :

- dire qu'il apparaît de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision pénale définitive soit rendue sur les faits faisant l'objet de la plainte pénale de Madame [S]-[T] [M],

- statuer ce que de droit sur les dépens.



Par une ordonnance du 16 novembre 2023, le conseiller de la mise en état de la 17e chambre, a:

- rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. [K],

- dit que les dépens du présent incident ainsi que la demande de Mme [M] fondée sur l'article 700 du code de la procédure civile suivront le sort de l'affaire principale au fond.



Une ordonnance de clôture a été prononcée le 12 décembre 2023.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [M] demande à la cour de :

- DÉCLARER Madame [M] bien fondée en son appel,

- DÉCLARER la question de la compétence définitivement tranchée par le jugement en l'absence d'appel de ce chef,

- DEBOUTER Maître [K] de ses demandes fins et conclusion,

- INFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 14 septembre 2021, en ce qu'il a :

- Dit que Madame [S]-[T] [M] a été engagée en qualité de stagiaire par Maître [Y] [K],

- Débouté Madame [S]-[T] [M] de l'ensemble de ses demandes étant précisé que les prétentions de Madame [M] étaient les suivantes :

- Requalification de la convention de stage du 23 juillet 2018 en un contrat de travail à durée indéterminée, avec le bénéfice du statut de cadre pour la période du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018 et le règlement des cotisations de retraite auprès des caisses de cadre pour ladite période ;

- Condamnation de Maître [Y] [K] aux sommes suivantes : indemnité de requalification (2 614 €), rappels de salaire (10 760.65€), heures supplémentaires (9 359.10€), dommages intérêts pour dépassement du contingent annuel (6 000€), treizième mois (1 307€), congés payés (2 433.02 sic), préavis (7 842 €), congés afférents au préavis (784.20 €), dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse (2 614 €), dommages intérêts pour préjudice distinct (travail dissimulé, endettement, convention de stage et préjudice moral), les dépens, l'article 700 CPC (3 000€) ;

- Remise de documents conformes (fiches de paie, certificat de travail conformes à la décision)

- Production de l'ensemble des conventions de stages et contrats à durée déterminée pour la période de juillet à décembre 2018 notamment ceux de Monsieur [U] [G], Madame [P] [W], Madame [V] [C] et Monsieur [Z] [F]

-Dit n'y avoir lieu a application de l'article 700 CPC ;

-Mis à la charge de chacune des parties ses propres dépens.

STATUANT A NOUVEAU :

- REQUALIFIER la convention de stage du 23 juillet 2018 conclue entre Maître [K] et Madame [M] en contrat de travail à durée indéterminée,

A TITRE PRINCIPAL, pour violation de l'Accord professionnel du 19 janvier 2007,

SUBSIDIAIREMENT, en raison des conditions de travail.

- ECARTER les pièces n° 1, 2, 3 communiquées tardivement par Maître [K] et qui ne sont pas conformes à l'article 202 du CPC.

EN CONSEQUENCE,

- DÉCLARER que Madame [S]-[T] [M] relève du statut de cadre (en qualité de juriste - Niveau II, Echelon 1, Catégorie B, Coefficient 385) pour la période allant du 10 juillet au 31 décembre 2018, et en conséquence,

- ORDONNER à Maître [K] de payer les cotisations de retraite auprès des caisses de cadres pour ladite période,

- DÉCLARER que la rupture du contrat de décembre 2018 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- CONDAMNER Maître [Y] [K] à payer à Madame [S]-[T] [M] les sommes suivantes :

- Indemnité de requalification : 2.614 euros

- Rappel de salaire (10 juillet au 31 décembre 2018): 10.760,65 euros

- Rappel des heures supplémentaires : 9.359,10 euros

- Dommages et intérêts pour dépassement du contingent annuel : 6.000 euros

- Treizième mois : 1.307 euros

- Congés payés : 2.433,02 euros

- Préavis : 5.228 euros

- Congés payés sur préavis : 522,80 euros

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2.614 euros

- Dommages-intérêts pour travail dissimulé : 15.684 euros

- ORDONNER à Maître [K] de remettre à Madame [M] un certificat de travail et les bulletins de salaires conformes à l'arrêt à intervenir,

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,

- CONDAMNER Maître [Y] [K] à payer à Madame [S]-[T] [M] la somme de 899 euros au titre de l'indemnité de stage du mois de décembre 2018,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

- CONDAMNER Maître [Y] [K] à payer à Madame [S]-[T] [M] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- CONDAMNER Maître [Y] [K] aux entiers dépens.







Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [K] demande à la cour de :

A titre principal,

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de requalification de son contrat de stage en contrat de travail.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de rappel de salaires.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de dommages intérêts pour dépassement du contingent annuel.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de paiement de son 13ème mois.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de paiement de l'indemnité compensatrice de congés payées.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [S]-[T] [M] de sa demande de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- CONDAMNER Madame [S]-[T] [M] à verser à Monsieur [Y] [K] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- CONDAMNER Madame [S]-[T] [M] au paiement des entiers dépens

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible la Cour devait infirmer le jugement et prononcer la requalification de la convention de stage de Madame [S]-[T] [M] :

- PRONONCER la requalification en contrat de collaboration.

- RENVOYER Madame [S]-[T] [M] devant le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris pour qu'il statue sur les conséquences indemnitaires de cette requalification.




MOTIFS



A titre liminaire, la cour souligne, que, l'intimé ne sollicite pas l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence qu'il avait soulevée en première instance et en ce que le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige.



En outre, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.



Par conséquent, la demande de renvoi devant le Conseil de l'ordre en cas de requalification de la convention de stage en contrat de collaboration, formulée à titre infiniment subsidiaire par M.[K] serait en tout état de cause irrecevable.



Sur la demande relative aux pièces de l'intimé n°1, 2 et 3



Mme [M] demande à ce que les pièces n°1, 2 et 3 de M. [K] soient écartées des débats en raison de leur communication tardive dans le cadre des conclusions d'intimé remises au greffe le 4 décembre 2023 et de leur non-conformité à l'article 202 du code de procédure civile en ce que ces attestations sont accompagnées des seules cartes d'identité professionnelles.

**

Aux termes de l'article 135 du code de procédure civile, le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.



L'article 202 du code de procédure civile dispose que l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle mentionne les noms, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles.









Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.



Au cas présent, la communication de ces pièces, qui a eu lieu avant l'ordonnance de clôture, dans le cadre des écritures remises au greffe par l'intimé le 4 décembre 2023, n'était pas de nature à mettre en échec le principe du contradictoire, dès lors que l'appelante a été en mesure de pouvoir répliquer à ces écritures du fait du report de clôture. Par ailleurs, les cartes d'identité professionnelles sont bien des documents officiels justifiant de l'identité et comportant la signature de l'auteur.



Il n'y a dès lors pas lieu d'écarter des débats les pièces n°1, 2 et 3 communiquées le 4 décembre 2023.



Sur la requalification de la convention de stage en contrat de travail



Les parties s'opposent sur la qualification à donner à la relation de travail qui a débuté le 10 juillet 2018 et s'est achevée le 31 décembre 2018.



Mme [M] soutient à titre principal, que la violation par l'employeur du préambule de l'accord du 19 janvier 2007 relatif aux stagiaires des cabinets d'avocats, interdisant la conclusion d'une convention de stage avec une personne titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA), emporte la requalification de la convention en contrat de travail.



A titre subsidiaire, Mme [M] fait valoir que les conditions de travail, notamment les tâches confiées, les horaires de travail, l'absence de formation et la violation des seuils de durée légale du travail par M. [K], permettent d'établir l'existence d'une relation de travail.



M. [K] réplique que Mme [M] ne peut se prévaloir de l'accord du 19 janvier 2007, car son champ d'application se limite aux élèves avocats et que Mme [M] effectuait un stage dans le cadre de la Certification d'Aptitude Professionnelle de l'entreprise Fac For Pro, auquel elle a postulé à son initiative et en toute connaissance de cause. Il fait de plus valoir que Mme [M] ne peut réclamer une requalification sans démontrer l'existence d'un lien de subordination et d'une relation de travail.



A propos des conditions de travail, M. [K] réplique que Mme [M] ne démontre en rien ses allégations, et que le stage s'est au contraire déroulé dans un cadre conforme aux exigences légales.



Par ailleurs, M. [K] fait valoir que s'il devait y avoir une requalification de la convention de stage, celle-ci ne pourrait se faire qu'en contrat de collaboration.



**

Sur la régularité de la convention de stage



Aux termes de l'article 124-1 du code de l'éducation, les périodes de formation en milieu professionnel font l'objet d'une convention entre le stagiaire, l'organisme d'accueil et l'établissement d'enseignement.



Il y a lieu de rappeler que les stages en entreprise doivent obligatoirement faire l'objet d'une convention de stage et que l'existence d'un écrit signé par l'ensemble des parties est une condition d'existence et de validité du stage.



L'accord professionnel du 19 janvier 2007 relatif aux stagiaires des cabinets d'avocats, étendu par arrêté du 10 octobre 2007, énonce dans son préambule qu'aucune convention de stage ne peut être conclue entre un cabinet d'avocat et une personne titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA). Il ressort de la formulation du préambule et de l'article 1 de l'accord, définissant son champ d'application, que cette interdiction vise l'ensemble des stagiaires des cabinets d'avocats, qu'ils soient ou non élèves-avocats.







L'article 1 de l'accord du 19 janvier 2007 rappelle par ailleurs qu'aucune convention particulière contenant des conditions moins avantageuses que l'accord ne peut être établie. Peu importe que cette convention particulière soit établie à l'initiative du cabinet d'avocats ou du stagiaire.



Au cas présent, Mme [M] a obtenu son certificat d'aptitude à la profession d'avocat le 25 octobre 2017, et a signé une convention de stage le 23 juillet 2018 avec le cabinet d'avocats de M. [K] pour effectuer un stage sur une période du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018, cette convention étant signée, outre les deux parties au litige, par la société Fac For Pro, qui est un établissement d'enseignement privé. Il n'est pas contesté que la relation de travail a débuté dès le 10 juillet 2018, soit avant même la signature de ladite convention qui a « régularisé » la situation (cf conclusions de l'intimé, p. 2 §1).



Par ailleurs, il ressort des pièces présentées à la cour que Mme [M] a fait preuve de transparence sur sa qualité de titulaire du CAPA dès sa candidature sur le site « village justice », sur laquelle apparaît de façon très explicite sous son nom qu'elle est titulaire du CAPA obtenu à l'EFB, et qu'elle n'a à aucun moment essayé d'induire M. [K] en erreur sur ce point.



Les dispositions de l'accord professionnel précité s'imposant aux parties, il importe peu que Mme [M] ait été ou non à l'initiative d'une demande d'effectuer un stage au sein de cabinet d'avocats dans le cadre d'un projet d'insertion professionnelle impliquant un cursus d'enseignements obligatoires de 200 heures de cours aux fins d'obtention de la Certification d'Aptitude Professionnelle en droit de l'entreprise de FAC FOR PRO.



Par conséquent, Mme [M], qui n'était plus étudiante depuis le 25 octobre 2017, date à laquelle elle a obtenu son certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA), et ne pouvait donc plus obtenir de convention de stage dans ce cadre au-delà du 25 octobre 2017, ne pouvait, pour ce seul motif, être engagée au sein du cabinet d'avocats de M. [K], sur la période allant du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018 dans le cadre d'une convention de stage.



Sur l'existence d'un contrat de travail



L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs. La qualification du contrat de travail repose sur la vérification de l'existence ou non d'un lien de subordination.



En l'absence d'un contrat de travail écrit, c'est au salarié qui se prévaut de l'existence d'une relation salariale, d'en rapporter la preuve. La preuve de son existence peut être recherchée au regard des trois éléments la définissant que sont la prestation de travail, la rémunération versée en contrepartie et le lien de subordination.



Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187, Bull. V n° 386, Société générale), le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.



Au cas présent, la relation contractuelle qui unissait Mme [M] à M. [K] ne peut être qualifiée de contrat de collaboration, dans la mesure où il n'est pas contesté que celle-ci, bien que titulaire du CAPA, n'avait pas encore prêté serment. M. [K] reconnaît dans ses conclusions que Mme [M] effectuait les tâches énumérées dans la convention de stage signée avec l'établissement d'enseignement privé FAC FOR PRO, dans les conditions qui y sont décrites.



Ainsi, Mme [M] effectuait la rédaction de divers projets d'actes juridiques (rédaction d'assignation notamment, tel que prévu d'ailleurs dans la convention de stage), et ces tâches étaient réalisées sous la supervision et l'autorité de M. [K], qui, notamment lui a demandé d'effectuer pour lui différentes démarches au palais de justice de Paris.



Elle avait une amplitude de travail de 35 heures par semaine pour une rémunération de 899 euros par mois, selon les termes de la convention de stage.







Il n'est pas contesté, et cela résulte des différentes pièces produites, que M, [K], qualifié de tuteur dans ladite convention, avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements.



Il ressort de l'ensemble des éléments de preuve présentés à la cour, que la convention de stage conclue entre Mme [M] et M. [K] doit être requalifiée en contrat de travail.



En l'absence de tout contrat de travail à durée déterminée écrit et signé par les parties, conformément aux prescriptions de l'article L. 1242-12 du code du travail, la relation de travail entre Mme [M] et M. [K] sera donc requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, par voie d'infirmation du jugement.



Sur la base de calcul du salaire de référence



M. [K], soutient que le rappel de salaire ne peut se faire que sur la base du SMIC applicable à l'année 2018, soit 1 498,50 euros bruts.



Mme [M] réplique que cette base ne saurait être inférieure à 2 614 euros bruts, correspondant au niveau II - cadres, échelon 1 : débutant, catégorie B : prédominance technique, coefficient 385 de la grille des salaires minima de la Convention collective nationale des Avocats et de leur personnel. Cette classification étant par ailleurs celle qui lui a été appliquée lorsqu'elle a été engagée par le cabinet FIDAL, comme juriste dans l'attente de sa prestation de serment.



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Le salaire de référence pris en compte en cas de requalification d'une convention de stage en contrat de travail, ne saurait être inférieur au minimum légal, ni au minimum conventionnel correspondant à la catégorie d'emploi occupée.



Au cas présent, la classification de la Convention collective nationale des Avocats et de leur personnel, pour une juriste dans l'attente de la prestation de serment, correspond au niveau II - cadres, échelon 1 : débutant, catégorie B : prédominance technique, coefficient 385. Celui-ci correspond à un minima conventionnel de 2 614 euros bruts.



Le salaire retenu pour le calcul des indemnités et des rappels de salaire sera par conséquent fixé à la somme de 2 614 euros bruts.



Sur l'indemnité de requalification



En application de l'article L. 1245-2 alinéa 2 du code du travail, lorsqu'il est fait droit à la demande de requalification du salarié, il lui est accordé une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.



En l'espèce, il convient, infirmant le jugement déféré, de condamner l'employeur à verser à la salariée au titre de l'indemnité de requalification la somme sollicitée de 2 614 euros bruts correspondant au montant du dernier salaire qui aurait dû être versé.



Sur le rappel de salaire au titre de la requalification en contrat de travail



En cas de requalification en contrat de travail, le stagiaire perçoit un rappel de salaire depuis le début du stage. Ce salaire ne peut être inférieur ni au minimum légal, ni au minimum conventionnel correspondant à la catégorie d'emploi occupé.



Il convient donc par voie d'infirmation, sur la base du salaire de référence précédemment retenu, d'allouer à Mme [M] les sommes sollicitées, non critiquées en leur montant, de 10 760,65 euros bruts au titre de rappel de salaire pour la période allant du 10 juillet au 31 décembre 2018, outre la somme de 1 307 euros bruts, pro rata temporis, au titre du treizième mois, tel que prévu par la convention collective nationale des Avocats et de leur personnel salarié.









Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires



Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.



Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.



Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



Au soutien de sa demande, la salariée produit des captures d'écran d'échanges personnels avec des personnes extérieures au cabinet où Mme [M] affirme travailler tard, ou fixe des rendez-vous auxdites personnes non loin de son lieu de travail à des heures tardives, une facture Uber au départ de l'adresse du cabinet à 22 h 44, le témoignage de [R] [L], stagiaire d'un autre cabinet, qui dit avoir partagé les mêmes bureaux que Mme [M], et affirme que celle-ci arrivait aux alentours de 9h et repartait du cabinet aux alentours de 20h, le témoignage d'une de ses amies, [A] [B] qui affirme qu'elles ne dînaient jamais ensemble avant 20h30 car Mme [M] travaillait tard.



Elle produit également dans ses écritures un décompte des heures supplémentaires réalisées , sur une base de 9h - 20h, soit 55h par semaine, soit en moyenne 20h supplémentaires par semaine.Mme [M] présente ainsi des éléments suffisamment précis pour permettre à M. [K] d'y répondre.



Pour sa part, M. [K] soutient que Mme [M] n'a réalisé aucune heure supplémentaire et le justifie à travers une attestation de M. [Z] [F], stagiaire au sein du cabinet de M. [K], qui affirme qu'elle arrivait régulièrement après 10h et ne quittait jamais le cabinet après 18h, et une attestation concordante de Mme [D] [O], collaboratrice au sein du cabinet de M. [K], qui affirme également que Mme [M] arrivait généralement au cabinet après 10h et quittait les locaux vers 18 heures.



Après examen des pièces produites tant par la salariée que par l'employeur, et notamment du caractère imprécis et contradictoire des attestations produites par la salariée, il n'y a pas lieu de considérer que Mme [M] a accompli des heures supplémentaires au-delà de 35 heures par semaine.Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de ce chef de demande.



Sur les dommages et intérêts pour le dépassement du contingent annuel



L'existence d'heures supplémentaires ayant été précédemment écartée, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de dommages-intérêts pour dépassement du contingent d'heures supplémentaires.



Sur l'indemnité compensatrice de congés payés



La salariée soutient qu'elle n'a eu droit à aucun congé payé au cours des 6 mois d'exécution de son contrat, qu'il convient donc qu'elle en soit rémunérée, étant précisé que toutes les sommes ayant le caractère de salaire sont prises en compte pour déterminer l'indemnité de congés payés, soit les salaires de juillet à décembre 2018 (14.971,10 euros (1901,10 + 2614*5) et les heures supplémentaires : 9.359,10 euros), pour un total sur la période considérée de 24 330,20 euros, l'employeur devant être condamné à lui en verser 10% au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.





L'employeur se contente d'objecter que ces sommes ne sont pas dues.



**

Compte de la rémunération perçue par la salariée et du rappel de salaire précédemment alloué incluant le rappel du 13e mois prorata temporis, ainsi que du rejet de la demande formée au titre des heures supplémentaires, il convient de fixer à 1 627,81 euros bruts la somme due par l'employeur au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été en mesure de bénéficier durant la relation contractuelle.



Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse



L'employeur, qui, à l'expiration d'un contrat ultérieurement requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture qui s'analyse en un licenciement et ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture (cf. Soc., 17 février 2021, pourvoi n°18-23.989).



Le licenciement de Mme [M] étant sans cause réelle et sérieuse, l'employeur sera condamné, par voie d'infirmation du jugement entrepris, à lui verser les sommes sollicitées, non critiquées en leur montant, de :



- 5 228 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 522,80 euros bruts de congés payés afférents, en application de l'article 20 de la Convention collective nationale des Avocats et de leur personnel salarié.



- 2 614 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l'article L. 1235-3, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017.



Ces dispositions octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié. Mme [M] ayant moins d'une année d'ancienneté au moment de la rupture dans la société employant habituellement moins de onze salariés, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse peut être au plus d'un mois de salaire et ce, en tenant compte notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge lors de la rupture, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard.



Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé



L'article L. 8223-1 dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.



Au cas présent, M. [K] qui est un avocat spécialisé notamment en droit du travail et qui connaissait le statut de titulaire du CAPA de Mme [M], ne pouvait ignorer l'illicéité de la convention de stage.



Il ne pouvait par conséquent méconnaître le fait qu'il devait procéder aux différentes déclarations dans le cadre d'un travail salarié. C'est donc de manière intentionnelle, que M. [K] s'est soustrait à la déclaration d'embauche de Mme [M] et aux déclarations relatives aux cotisations sociales.



Ces éléments caractérisent l'intention de dissimulation prévue par l'article L. 8221-5 précité.

Il convient en conséquence, par voie d'infirmation, sur la base d'un salaire brut mensuel non critiqué de 2 614 euros bruts mensuels, de condamner M. [K] à verser à Mme [M] la somme de 15 684 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.



Sur le paiement des cotisations retraites à la caisse



M. [K] devra procéder à la régularisation sollicitée par l'appelante des cotisations correspondant aux différents rappels de salaire auprès des caisses concernées.



Sur la remise des documents de fin de contrat



Il convient d'ordonner à M. [K] de remettre à Mme [M] un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.



Sur les dépens et frais irrépétibles



Il y a lieu d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.



Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. [K], partie succombante.



Il paraît inéquitable de laisser à la charge de la salariée l'intégralité des sommes avancées par elle et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.



PAR CES MOTIFS:



La cour, statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :



RAPPELLE que la question de la compétence a été définitivement tranchée par le jugement en l'absence d'appel des chefs du jugement rejetant l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur [Y] [K], et se déclarant compétent pour connaître du litige,



REJETTE la demande de Mme [M] tendant à écarter des débats les pièces adverses n°1, 2 et 3,



INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il déboute Mme [M] de sa demande de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et de sa demande de dommages-intérêts pour dépassement du contingent d'heures supplémentaires,



Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,



REQUALIFIE la convention de stage du 23 juillet 2018 conclue entre Maître [K] et Mme [M] en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de juriste - Niveau II, échelon 1, Catégorie B, Coefficient 385) pour la période allant du 10 juillet au 31 décembre 2018,



DIT que la rupture du contrat de travail au 31 décembre 2018 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,



CONDAMNE M. [K] à payer à Mme [M] les sommes suivantes :



- 2 614 euros bruts à titre d'indemnité de requalification,

- 10 760,65 euros bruts à titre de rappel de salaire,

-1 307 euros bruts au titre du treizième mois,

- 1 627,81 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 5 228 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 522,80 euros bruts au titre des congés payés afférents au préavis,

- 2 614 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15 684 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,



ORDONNE à M. [K] de remettre à Mme [M] un certificat de travail et les bulletins de salaires conformes à l'arrêt à intervenir,



ORDONNE à M. [K] de payer les cotisations de retraite auprès des caisses concernées pour la période du 10 juillet 2018 au 31 décembre 2018,



DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,



CONDAMNE M. [K] à verser à Mme [M] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE M. [K] aux dépens de première instance et d'appel.



- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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La Greffière La Présidente

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