28 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-16.692

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00238

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 février 2024




Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 238 F-D

Pourvoi n° Y 22-16.692




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 FÉVRIER 2024

La société Goodyear France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Goodyear Dunlop Tires France, ayant un établissement secondaire [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Y 22-16.692 contre le jugement rendu le 28 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Montluçon (section industrie), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [C], domicilié [Adresse 1],

2°/ au syndicat CGT Dunlop, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Le syndicat CGT Dunlop a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Goodyear France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [C] et du syndicat CGT Dunlop, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Montluçon, 28 mars 2022), rendu en dernier ressort, M. [C] a été engagé en qualité d'agent qualifié fabrication par la société Goodyear France à compter du 1er janvier 1996. Il a été affecté au secteur préparation.

2. Le 31 octobre 2019, le salarié et le syndicat CGT Dunlop ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de sommes au titre du temps de douche, d'habillage et de déshabillage pour une certaine période et de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief au jugement de le condamner au paiement de certaines sommes au titre du temps de douche, d'habillage et déshabillage pour la période du 1er octobre 2016 au 31 décembre 2018, sous réserve des mensualités à venir, outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et absence d'application des accords d'établissement, d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les juges du fond sont tenus, en application de l'article 12 du code de procédure civile, de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que saisis d'un différend relatif à l'application d'un texte conventionnel, les juges sont tenus d'appliquer les dispositions claires et précises de ce texte ; que l'article 3.1. de l'accord d'établissement sur la mise en place d'un nouveau système de rémunération à destination des salariés ayant le statut opérateur du 27 juillet 2010 prévoit ''qu'à compter du 1er décembre 2010, tous les opérateurs travaillant au secteur mélange, au quai matières premières et tous les opérateurs de maintenance intervenant au mélange bénéficieront d'un « temps de douche » de 18 minutes (déshabillage et habillage compris) payé au taux horaire en vigueur'' et précise que ''la liste des postes ouvrant droit à un temps de douche payé est annexée au présent accord. La condition d'attribution du temps de douche reste la même, à savoir avoir travail au poste de travail ouvrant au temps de douche pendant au moins une heure'' ; qu'il en résulte que pour bénéficier de cet avantage conventionnel, le salarié doit satisfaire aux deux conditions cumulatives ainsi fixées par les partenaires sociaux, à savoir occuper l'un des postes limitativement prévus par l'annexe 1 de l'accord d'établissement et travailler une durée supérieure à une heure par jour dans le secteur Mélange ; qu'au cas présent, pour s'opposer aux demandes de M. [C], la société Goodyear France faisait valoir que le poste de cariste au sein du secteur Préparation occupé par ce dernier ne figurait pas parmi les postes de travail ouvrant droit au bénéfice du '' « temps de douche » de 18 minutes (déshabillage et habillage compris)'' limitativement énumérés par les partenaires sociaux, de sorte que le salarié ne remplissait pas les deux conditions cumulatives ouvrant droit à cet avantage conventionnel ; qu'après avoir relevé que ''M. [C] est affecté au Secteur Préparation et travaille en qualité de cariste […] Dans le cadre de son activité, il travaille plusieurs heures par journée de travail au secteur mélange pour approvisionner la préparation en qualité de cariste'', le conseil de prud'hommes a néanmoins alloué à M. [C] ''un temps de douche et d'un temps d'habillage et déshabillage rémunérés sur la base de 18 min ou 0,3 heure (du 1er octobre 2016 au 31 décembre 2016) puis sur la base de 30 min ou 0,5 heure à partir du 1er janvier 2017)'' aux motifs que ''c'est bien le principe du travail au secteur mélange qui a été envisagé et retenu et non celui du rattachement au secteur mélange'' ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il était constant aux débats que M. [C] n'occupait pas un poste de travail lui ouvrant droit au bénéfice de cet avantage conventionnel, le conseil de prud'hommes a violé l'article 3.1 et l'annexe 1 de l'accord d'établissement sur la mise en place d'un nouveau système de rémunération à destination des salariés ayant le statut ''opérateur'' du 27 juillet 2010. »

Réponse de la Cour

5. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire, d'abord, en respectant la lettre du texte, ensuite, en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.

6. Selon l'article 3.2 de l'accord d'établissement sur la mise en place d'un nouveau système de rémunération à destination des salariés ayant le statut opérateur signé le 27 juillet 2010, au sein de la société Goodyear Dunlop Tires France, établissement de [Localité 2], tous les opérateurs travaillant au secteur mélange, au quai matières premières et tous les opérateurs de maintenance intervenant au mélange, bénéficient d'un temps de douche de dix-huit minutes (déshabillage et habillage compris) payé au taux horaire en vigueur, la liste des postes concernés étant annexée. La condition d'attribution du temps de douche reste la même, à savoir, avoir travaillé au poste de travail ouvrant droit au temps de douche pendant au moins une heure.

7. Aux termes de l'article 1.1.4 de l'accord d'établissement performance du 1er décembre 2016, applicable à compter du 1er janvier suivant, les salariés travaillant au secteur mélange, les salariés de maintenance intervenant au secteur mélange et les salariés du quai matières premières bénéficient d'un temps de douche et d'un temps d'habillage et de déshabillage rémunérés d'une durée cumulée de trente minutes.

8. Il en résulte qu'un temps de douche, d'habillage et de déshabillage est attribué aux salariés travaillant au moins une heure par jour au secteur mélange, peu important leur absence de rattachement à ce service.

9. Le conseil de prud'hommes, qui a retenu que le salarié, affecté à l'atelier préparation, travaillait plusieurs heures par jour au secteur mélange en qualité de cariste de sorte qu'il était exposé à l'insalubrité du noir de carbone et aux produits chimiques et qu'il convenait de lui reconnaître le bénéfice d'un temps de douche, d'habillage et de déshabillage, a fait l'exacte application des dispositions conventionnelles.

10. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi incident du syndicat

Enoncé du moyen

11. Le syndicat fait grief au jugement de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors « que les syndicats peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; que pour débouter le syndicat de sa demande au titre de la réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, le conseil de prud'homme a retenu que ''le manquement de l'employeur caractérisé par la non-application des accords d'établissement n'ouvre pas le droit systématiquement à réparation pour le syndicat CGT Dunlop qui doit démontrer qu'il a effectivement subi un préjudice du fait de ce manquement'' ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il avait constaté une violation des dispositions des accords d'établissement et qu'une telle violation cause un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, le conseil de prud'hommes, à qui il appartenait d'évaluer ce préjudice, a violé l'article L. 2132-3 alinéa 2 du code du travail. »

Réponse de la cour

Vu l'article L. 2132-3 du code du travail :

12. Aux termes de ce texte, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

13. Pour débouter le syndicat de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur en matière d'application des accords d'établissement, le jugement retient que ce manquement n'ouvre pas de droit systématique à réparation pour le syndicat qui doit démontrer qu'il a effectivement subi un préjudice du fait de celui-ci. Il relève qu'en l'espèce, celui-ci n'apporte aucun élément pour justifier le préjudice qu'il aurait subi.

14. En statuant ainsi, alors qu'il avait retenu que l'employeur n'avait pas appliqué les accords d'établissement, ce dont il résultait qu'une atteinte avait été portée à l'intérêt collectif de la profession, le conseil de prud'hommes, à qui il appartenait d'évaluer les dommages-intérêts en réparation de ce préjudice, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15.La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement de sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par le syndicat CGT Dunlop en paiement de dommages-intérêts, le jugement rendu le 28 mars 2022, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Montluçon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Moulin ;

Condamne la société Goodyear France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Goodyear France et la condamne à payer à M. [C] et au syndicat CGT Dunlop la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille vingt-quatre.

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