27 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-82.000

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00204

Titres et sommaires

ACTION CIVILE

Texte de la décision

N° F 23-82.000 F-B

N° 00204


RB5
27 FÉVRIER 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 FÉVRIER 2024



L'association [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 24 mars 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [Y] [L] pour vente de produit du tabac à un mineur, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits.

Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. L'association [1] (le [1]) a cité directement M. [Y] [L] devant le tribunal de police pour vente, dans un débit de tabac, de produit du tabac à un mineur.

3. Cette citation faisait suite à un procès-verbal d'huissier dressé devant le débit de tabac de M. [L], après recours par le [1] à la technique du client mystère.

4. Le tribunal de police a relaxé M. [L], reçu la constitution de partie civile du [1] et débouté ce dernier de ses demandes.

5. Le [1] et l'officier du ministère public ont relevé appel de ce jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté le [1] de ses demandes civiles contre M. [L], alors :

« 1°/ que l'association dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans et légalement autorisée, en conséquence, à exercer les droits de la partie civile contre le prévenu qui a enfreint la législation ou la réglementation relative au tabac subit nécessairement un préjudice direct et certain du fait de la vente de tabac à un mineur par un buraliste et de l'abstention par ce dernier de vérifier l'âge de ce même mineur, en méconnaissance des obligations qui pèsent sur lui en la matière ; qu'en considérant que le [1], association reconnue d'utilité publique, régulièrement déclarée depuis plus de cinq ans, qui a pour objet statutaire la lutte contre le tabagisme, n'avait pas subi un préjudice direct et certain, et en refusant donc de lui octroyer une indemnité en conséquence, après avoir pourtant relevé que M [L], exploitant un débit de tabac, avait vendu du tabac à une mineure sans procéder à une vérification de son âge ou de son identité, et, partant, n'avait pas respecté les obligations dont le respect lui incombait et avait commis une faute civile, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;

2°/ que le préjudice direct et certain dont peut se prévaloir l'association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans et légalement autorisée à exercer les droits de la partie civile, dont l'objet statutaire s'étend, d'une manière générale, à la lutte contre le tabagisme, ne se limite pas aux seuls cas où le prévenu se serait livré à de la publicité en faveur du tabac ; qu'en considérant que le [1], dont l'article 1er des statuts renseignent que cette association a pour mission, en des termes généraux, « la prévention du tabagisme et la lutte contre la consommation de tabac et ses méfaits sous toutes ses formes », n'avait pas subi un préjudice direct et certain en conséquence de la vente de tabac à une mineure, en raison du fait que, puisque cette mineure était seule dans le débit de tabac au moment des faits, cette vente n'avait pas eu pour effet de favoriser la publicité, ouverte ou clandestine, en faveur du tabac, contre laquelle le [1] a pour mission de lutter, comme si ses missions se limitaient à la seule lutte contre une telle publicité, la cour d'appel a dénaturé par omission les statuts de l'association et a violé l'article L. 3515-7 du code de la santé publique ;

3°/ que l'étendue d'un préjudice ne se confond pas avec son existence même ; qu'en fondant son constat d'une prétendue absence de préjudice direct et certain subi par le [1] sur la considération selon laquelle celui-ci ne justifierait pas de l'étendue du dommage dont il réclamait l'indemnisation, la cour d'appel a confondu étendue et existence du préjudice et a violé l'article 1240 du code civil ;

4°/ que la provocation à la preuve ne se confond pas avec la provocation à l'infraction, seule cette dernière étant entachée de déloyauté ; qu'en fondant sa décision sur la considération selon laquelle la preuve de la faute du prévenu rapportée par le [1] pouvait, en l'espèce, être considérée comme déloyale et que la partie civile aurait elle-même provoqué cette faute, en ayant recours à un mode opératoire consistant, après que des informations et un précédent contrôle lui permettaient de suspecter le débit de tabac de M [L] de continuer à vendre du tabac aux mineurs, à faire vérifier par une jeune mineure si le buraliste, en effet, lui vendrait des cigarettes sans vérifier son âge, c'est-à-dire en provoquant, non pas la commission de l'infraction elle-même, mais seulement sa preuve, ce mode opératoire n'ayant, en effet, pas été déterminant, en l'espèce, de la commission, par le prévenu, des faits infractionnels qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a violé l'article 427 du code de procédure pénale ;

5°/ que, en tout état de cause, l'exigence de loyauté de la preuve ne s'impose pas à la partie civile ; que, même si le mode de preuve dont se prévalait le [1], partie civile, était déloyal, la cour d'appel, en se fondant sur la circonstance, inopérante, tirée de cette déloyauté pour le priver de son droit à obtenir l'indemnisation du préjudice dont il réclamait la réparation, n'a pas légalement justifié sa décision et a violé l'article 427 du code de procédure pénale ;

6°/ que, toujours en tout état de cause, le préjudice dont se prévaut la victime ne doit pas obligatoirement reposer sur une situation légitime pour être indemnisable ; que, même si le mode de preuve dont se prévalait le [1], partie civile, était déloyal, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil en se fondant, pour rejeter ses demandes en réparation, sur la circonstance, inopérante, tirée de cette déloyauté, selon laquelle, en utilisant une mineure pour acheter du tabac et faire constater la faute du prévenu, le [1] aurait ainsi lui-même provoqué cette faute et se serait prévalu d'un préjudice qu'il aurait lui-même causé. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Vu les articles L. 3515-7, L. 3512-12 du code de la santé publique et 593 du code de procédure pénale :

7. Il résulte des deux premiers de ces textes que les associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions, notamment, à l'interdiction de vente des produits du tabac à des mineurs de moins de dix-huit ans dans les débits de tabac.

8. Selon le troisième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour débouter la partie civile de sa demande indemnitaire, l'arrêt attaqué, après avoir déclaré irrecevable l'appel du ministère public et qualifié de faute civile le fait, pour M. [L], buraliste, d'avoir vendu du tabac à un mineur, énonce, d'une part, que cette vente n'a pas eu pour effet de favoriser la publicité ouverte ou clandestine en faveur du tabac contre laquelle le [1] a pour mission de lutter, d'autre part, que ladite association ne justifie pas de l'étendue de son préjudice.

10. En se déterminant ainsi, après avoir retenu une faute civile résultant de la vente de produits du tabac à un mineur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

11. En effet, d'une part, l'objet statutaire du [1] ne se limite pas à la lutte contre la publicité en faveur des produits du tabac, mais concerne plus généralement la lutte contre le tabagisme.

12. D'autre part, la seule violation de la réglementation applicable en la matière est de nature à causer à l'association concernée un préjudice moral indemnisable

13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

14. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

15. Pour débouter la partie civile de sa demande indemnitaire, l'arrêt attaqué énonce que le [1] ne peut faire état d'un préjudice qu'il a lui-même causé en utilisant une mineure pour acheter du tabac et ainsi faire constater la faute civile de M. [L] qu'il a lui-même provoquée.

16. En se déterminant ainsi, après avoir retenu une faute civile résultant de la vente de produits du tabac à un mineur en se fondant sur la preuve apportée par le [1] du comportement incriminé, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision.

17. La cassation est par conséquent à nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 24 mars 2023, mais en ses seules dispositions ayant confirmé le jugement sur l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-quatre.

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