13 février 2024
Cour d'appel de Colmar
RG n° 22/00210

Chambre 4 A

Texte de la décision

CKD/KG





MINUTE N° 24/148





















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 13 FEVRIER 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/00210

N° Portalis DBVW-V-B7G-HX3L



Décision déférée à la Cour : 15 Décembre 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE



APPELANT :



Monsieur [M] [I]

[Adresse 2]



Représenté par Me David FRANCK, avocat au barreau de STRASBOURG



INTIMES :



Maître [F] [Y] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [Adresse 5]

[Localité 3]

[Adresse 1]



Association L'UNEDIC, DELEGATION AGS/CGEA DE [Localité 6] Représentée par sa Directrice Nationale,

[Adresse 4]



Représentées par Me Patrick TRUNZER, avocat au barreau de STRASBOURG



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.



Greffier, lors des débats : Mme THOMAS



ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


FAITS ET PROCÉDURE





Monsieur [M] [I], né le 04 septembre 1999, a conclu, le 03 septembre 2018, un contrat d'apprentissage en qualité d'apprenti commercial pour une durée de deux ans avec la S.A.S. Elsass fenster afin de préparer un BTS.



La relation contractuelle était régie par la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment et l'entreprise comptait moins de 10 salariés.



Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Saverne a prononcé la liquidation judiciaire de la S.A.S. Elsass fenster, et nommé Maître [F] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire. La date de cessation de paiement a été fixée au 1er octobre 2017.



Par courrier d'avocat du 27 mai 2019 Monsieur [I] sollicitait auprès du liquidateur judiciaire le paiement de dommages et intérêts correspondant aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.



Par courrier en retour le liquidateur judiciaire remettait en cause le contrat d'apprentissage conclu deux mois avant la liquidation judiciaire, et susceptible d'annulation.



Le 07 novembre 2019, Monsieur [I] a saisi le conseil des prud'hommes de Saverne d'une demande d'inscription au passif de la liquidation judiciaire d'une somme de 19.030,60 €, outre 5.000 € pour le préjudice distinct. Il sollicitait également la garantie de l'AGS.



Par un jugement du 15 décembre 2021, le conseil de prud'hommes a :

- fait droit aux conclusions de Maître [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire, sollicitant l'annulation du contrat de travail litigieux de   Monsieur [I], sur le fondement de l'article L. 632-1 du Code de commerce ;

- jugé les demandes de Monsieur [I] irrecevables ;

- déclaré que l'AGS ne doit pas sa garantie en présence d'un contrat nul et de nul effet ;

- condamné Monsieur [I] aux entiers frais et dépens.



Monsieur [I] a interjeté appel de la décision le 13 janvier 2022.



Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 07 octobre 2022, Monsieur [I] demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et, statuant à nouveau d'ordonner l'inscription des créances suivantes sur le relevé des créances salariales :

* 19.030,60 € au titre de l'indemnité d'un montant équivalent aux rémunérations qu'il aurait dû percevoir jusqu'au terme de son contrat ;

* 5.000 € au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice distinct caractérisé par l'impossibilité de terminer son apprentissage, de se présenter à l'examen et de la perte de chance d'obtenir son brevet de technicien supérieur ;

Il demande également à la cour d'ordonner que l'UNEDIC, délégation AGS/CGEA de [Localité 6], garantisse le versement de toutes ces sommes entre ses mains, de condamner Maître [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.S. Elsass fenster aux entiers frais et dépens de la procédure, et de débouter les parties intimées de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.







Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 08 juillet 2022, la SELAS MJE, prise en la personne de Maître [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.S. Elsass fenster, demande à la cour de :



- confirmer le jugement.



Dans tous les cas, statuant à nouveau, de :

- annuler le contrat de travail litigieux de la partie demanderesse et appelante sur le fondement de l'article L. 632-1 du Code de commerce ;

- En conséquence,

- déclarer la partie demanderesse et appelante mal fondée en ses demandes ;

- la débouter ;

- la condamner aux frais et dépens ;

- la condamner à verser la somme de 1.500 € à la SELAS MJE, prise en la personne de Maître [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire.



Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 08 juillet 2022, l'UNEDIC, délégation AGS/CGEA de [Localité 6], demande à la cour de :



- confirmer le jugement.



Dans tous les cas, statuant à nouveau, de :

- annuler le contrat de travail litigieux de la partie demanderesse et appelante sur le fondement de l'article L. 632-1 du Code de commerce ;

- En conséquence,

- déclarer la partie demanderesse et appelante mal fondée en ses demandes ;

- la débouter ;

- la condamner aux frais et dépens ;



Sur la garantie de l'AGS,

- déclarer que l'AGS ne doit pas sa garantie en présence d'un contrat de travail nul et de nul effet ;

- déclarer que la garantie de l'AGS ne s'exercera qu'à titre subsidiaire, en l'absence de fonds disponibles ;

- arrêter le cour des intérêts légaux au jour d'ouverture de la procédure collective, en application de l'article L. 622-28 du Code de commerce ;

- déclarer que la garantie de l'AGS n'est acquise que dans les conditions de l'article L. 3253-8 du Code du travail, ainsi que dans les limites, toutes créances avancées, d'un des trois plafonds résultant des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 octobre 2023.



Il est, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.




















MOTIFS DE LA DECISION





1. Sur la nullité du contrat d'apprentissage



L'appelant invoque l'application de l'article L. 6222-18 du Code du travail, selon lequel la rupture du contrat d'apprentissage, survenue en cas de liquidation judiciaire sans maintien de l'activité, ouvre droit pour l'apprenti à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.



Il reproche au conseil des prud'hommes d'avoir annulé le contrat en application de l'article L. 632-1 du Code de commerce, en se fondant uniquement sur sa date de conclusion, mais sans établir que les obligations de la société excédaient notablement les siennes, alors qu'il percevait une rémunération modeste de 749,24 € par mois, en contrepartie d'un travail effectif hebdomadaire de 35 heures.



***



Selon l'article L 632-1 du code du commerce, est nul de plein droit, lorsqu'il est intervenu depuis la date de cessation des paiements, notamment tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie.



La nullité est encourue y compris en l'absence de fraude, ou de toute collusion frauduleuse entre le salarié et l'employeur, ainsi qu'en absence de connaissance par le salarié de l'état de cessation des paiements lors de la conclusion du contrat de travail (Cass. Soc. 12 septembre 2012, n° 11-20.108).



Le contrat d'apprentissage est un contrat commutatif en ce que chaque partie s'engage à procurer à l'autre un avantage qui est regardé comme l'équivalent de celui qu'elle reçoit.



En l'espèce la date de cessation de paiement est fixée par jugement au 1er octobre 2017, et le contrat d'apprentissage a été conclu le 03 septembre 2018, soit 11 mois postérieurement à cette date.



Il résulte du jugement d'ouverture du 13 novembre 2018, que la société avait une créance URSSAF de 25.876,06 € au 08 novembre 2018, mais que les premiers impayés datent d'octobre 2017. Le Procureur de la république a émis un avis favorable à la liquidation judiciaire, en l'absence de tout signe d'activité de l'entreprise, qui ne s'est d'ailleurs pas présentée à l'audience. La liquidation judiciaire a par conséquent été prononcée immédiatement avec fixation de la date de cessation de paiement au 1er octobre 2017 correspondant aux premiers impayés.



Au moment de la conclusion du contrat d'apprentissage, le 03 septembre 2018, la S.A.S. Elsass fenster était donc en cessation de paiement depuis près d'un an, et n'avait manifestement pas la capacité financière de s'engager sur une période de deux ans. Elle a été placée en liquidation judiciaire immédiate deux mois après la signature du contrat d'apprentissage, et par ailleurs le procureur relevait l'absence de tout signe d'activité.









Le caractère modéré d'une rémunération ne constitue pas une circonstance suffisante pour faire échapper le contrat à la nullité dans les circonstances ci-dessus décrites (Cass. Soc. 29 octobre 2002).



Enfin contrairement aux affirmations de l'appelant, la situation financière de l'entreprise est un élément de preuve du déséquilibre, que peut caractériser le seul fait pour une société, en période suspecte, de conclure un contrat d'apprentissage, alors qu'elle n'était pas en mesure, à la date de cessation des paiements, de s'engager financièrement sur une durée plusieurs années (Cass. Soc. 12 juin 2019, n° 18-10.788).



Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la S.A.S. Elsass fenster en cessation de paiement depuis 11 mois, et sans signe d'activité, n'avait aucunement la capacité financière de conclure le 03 septembre 2018 un contrat d'apprentissage d'une durée de deux ans avec Monsieur [M] [I], et ce deux mois avant son placement liquidation judiciaire.



L'existence d'un déséquilibre manifeste entre les prestations des parties est ainsi rapportée, et entraîne l'annulation du contrat d'apprentissage.



Il y a néanmoins lieu de compléter le jugement en prononçant l'annulation du contrat litigieux en application de l'article L 632-1 du code du commerce conformément à la demande du liquidateur judiciaire.



La nullité du contrat entraîne par voie de conséquence le rejet de toutes les demandes formulées par Monsieur [M] [I] qui trouvent leur source au sein du contrat annulé, et non pas l'irrecevabilité tel que jugé par le conseil des prud'hommes. Sur ce dernier point, le jugement sera infirmé.



2. Sur les demandes annexes



Faute de fixation de créances, l'AGS ne doit pas sa garantie, le jugement est confirmé sur ce point.



Eu égard à l'issue du litige, le jugement doit également être confirmé en ce qu'il condamne le demandeur aux entiers frais et dépens.



L'appelant qui succombe en toutes ses prétentions est condamné aux dépens d'appel.



Enfin l'équité commande de rejeter la demande de frais irrépétibles formée par le liquidateur judiciaire.





PAR CES MOTIFS





La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,



Confirme le jugement rendu le 15 décembre 2021 par le conseil des prud'hommes de Saverne en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il déclare les demandes de Monsieur [M] [I] irrecevables ;



Statuant à nouveau sur le chef infirmé, Y ajoutant ;



Prononce la nullité du contrat d'apprentissage conclu le 03 septembre 2018 entre Monsieur [M] [I] et la S.A.S. Elsass fenster ;



Déboute Monsieur [M] [I] de l'ensemble de ses demandes ;



Condamne Monsieur [M] [I] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;



Déboute la SELAS MJE, prise en la personne de Maître [Y], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.S. Elsass fenster de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 13 février 2024 et signé par Madame Christine DORSCH, Président de Chambre, et par Madame Martine THOMAS, Greffier.





Le Greffier, Le Président,

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