8 février 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/03383

Ch.protection sociale 4-7

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89A



Ch.protection sociale 4-7







ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 FEVRIER 2024



N° RG 22/03383 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VQIQ



AFFAIRE :



Société [6]





C/

CPAM DU GARD





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Octobre 2022 par le Pole social du TJ de VERSAILLES

N° RG : 20/00569





Copies exécutoires délivrées à :



la SELARL [5]



CPAM DU GARD



Copies certifiées conformes délivrées à :



Société [6]



CPAM DU GARD







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Société [6]

[Adresse 3]

[Localité 4]



représentée par Me Camille-Frédéric PRADEL de la SELARL PRADEL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Nadia CHEHAT de l'AARPI JUNON AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 88





APPELANTE

****************



CPAM DU GARD

[Adresse 1]

[Localité 2]



non comparante, ni représentée

Dispensée de comparaître par ordonnance du 22/11/2023





INTIMÉE

****************





Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Patricia ZAMBEAUX-BINOCHE, magistrate honoraire.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseillère,

Madame Patricia ZAMBEAUX-BINOCHE, Magistrate honoraire,



Magistrat rédacteur : Madame Laëtitia DARDELET, conseillère



Greffière, lors des débats : Madame Elza BELLUNE,








EXPOSÉ DU LITIGE



M. [Y] [L] (le salarié) a été embauché le 15 janvier 2018 par la société [6] (la société) en qualité de conducteur d'engins.



Le 30 septembre 2019, la société a déclaré un accident du travail ayant eu lieu le 25 septembre 2019 comme suit: 'Le salarié déclare qu'il allait fermer un capot. Le salarié déclare un contact entre son dos et le capot. Il aurait mal au dos et à l'épaule droite. Monsieur [L] ne nous déclare aucun témoin ; la présente déclaration ne repose donc que sur ses dires. Il nous décrit une sensation de douleur invérifiable. (...) Les sensations décrites pourraient provenir uniquement d'un état pathologique antérieur relevant du cadre strict de sa vie privée et sans aucun lien avec son travail', accompagnée d'un certificat médical initial du 28 septembre 2019 mentionnant : 'Trauma cervical droit après effort de soulèvement'.



La caisse primaire d'assurance maladie du Gard (la caisse), par décision du 19 novembre 2019, a reconnu le caractère professionnel et a pris en charge l'accident.



Après rejet de sa contestation par la commission de recours amiable le 12 mars 2020, la société a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles le 5 mai 2020 aux fins de solliciter l'inopposabilité de la décision.



Le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, par jugement rendu le 21 octobre 2022, a :

- rappelé que la décision de prise en charge par la caisse, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l'accident survenu le 25 septembre 2019 au salarié est opposable à la société  ;

- déclaré opposable à la société les décisions de prise en charge de l'ensemble des lésions, soins et arrêts consécutifs à cet accident du travail du 25 septembre 2019, et ce, jusqu'à la date de consolidation ;

- débouté la société de toutes ses demandes ;

- condamné la société aux dépens.



Par déclaration du 7 novembre 2022, la société a interjeté appel et les parties ont été convoquées à l'audience du 13 décembre 2023.



Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience par son conseil, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et des prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour :

- de réformer le jugement rendu le 21 octobre 2022 en ce qu'il a débouté la société de l'ensemble de ses demandes ;

- de débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes.

En conséquence, sur l'inopposabilité des arrêts de travail pris en charge à compter du 28 septembre 2019 :

- de juger que la tardiveté de la première constatation médicale fait échec à la présomption d'imputabilité ;

- de juger que la preuve de l'imputabilité de la lésion du 28 septembre 2019 au sinistre déclaré n'est pas rapportée par la caisse ;

- de déclarer inopposable à la société la décision de prise en charge des arrêts de travail à compter du 28 septembre 2019.

A tout le moins, sur la demande d'expertise médicale sur le fondement de l'article R.142-16 et suivants du Code de la sécurité sociale :

- de désigner tel expert, avec pour mission :

- se faire communiquer et prendre connaissance de tous documents à la disposition de la caisse

- dire si la lésion du 28 septembre 2019 est imputable de manière directe et certaine au fait déclaré trois jours plus tôt

- dire quels sont les arrêts prescrits ayant strictement un lien avec l'accident pris en charge au titre de la législation professionnelle, indépendamment de tout état antérieur

- fixer une date de consolidation de la seule lésion imputable au fait accidentel déclaré ; - rechercher l'existence d'un état pathologique préexistant

- de juger que la société accepte de consigner telle somme fixée par la cour, à titre d'avance sur les frais et honoraires d'expert ;

- la société s'engage à prendre à sa charge l'ensemble des frais d'expertise, quelle que soit l'issue du litige.

Suivant les résultats de l'expertise judiciaire :

- de déclarer inopposable à la société les décisions de prise en charges des arrêts imputés à tort sur son compte employeur au titre de l'accident du 25 septembre 2019.



Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience par son représentant, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et des prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la cour :

- de confirmer le jugement rendu le 21 octobre 2022 :

- de rejeter l'ensemble des demandes de la société.



Aucune demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile n'a été formée par les parties.




MOTIFS DE LA DÉCISION



En première instance, les premiers juges ont précisé que seule la question de l'inopposabilité des soins et arrêts était posée par la société et ont statué uniquement sur ce point.



En cause d'appel, la société sollicite, dans son acte d'appel et dans ses conclusions contradictoirement échangées avec la caisse, que la question de l'opposabilité de la décision de prise en charge soit également tranchée par la cour. Tel sera donc le cas.



Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge :



Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.



En l'espèce, le certificat médical initial établi par le Dr [G] (médecin généraliste) le samedi 28 septembre 2019, soit 3 jours après l'accident en date du 25 septembre 2019, fait état de ce que le salarié, présentait un 'trauma cervical droit après effort de soulèvement'.



Le salarié a été arrêté, dans un premier temps, du 28 septembre 2019 au 4 octobre 2019, puis de manière toujours renouvelée jusqu'au 1er mars 2021.



Deux jours après, soit lundi 30 septembre 2019, l'employeur a renseigné la déclaration d'accident du travail, évoquant la possibilité d'un état antérieur chez le salarié.



Lors de l'instruction par la caisse, le salarié explique que le fait accidentel est survenu à un moment précis: 'c'est en effectuant la fermeture de la cloche de la citerne que je me suis fait mal au dos et à l'épaule droite, j'ai prévenu le 25/9 le responsable à 18h pour l'informer, c'est en rentrant vendredi 27/9 que j'ai rempli la déclaration'.

Il précise que son activité est 'de rouler, décharger le produit chez le client (ciment), laver l'intérieur de la citerne et recharger. J'effectuer ces manoeuvres quotidiennement'.



Par ailleurs, si l'absence de témoignage ne peut en lui-même exclure la caractérisation d'un accident du travail, le salarié précise qu'il travaille tout seul. La première personne avisée, [U] [D], confirme bien que le salarié l'a prévenu le jour de l'événement vers 18h, en l'informant qu'il venait de se faire mal au dos et à l'épaule droite, en ouvrant le capot de la citerne.



Par ailleurs, si la société fait valoir que le salarié a continué de travailler pendant la fin de journée mercredi 25 septembre, jeudi 26 septembre et vendredi 27 septembre 2019, cet élément ne peut être reproché au salarié.

Il doit être en effet rappelé que le salarié a tout de suite informé son responsable, du choc et des douleurs ressenties, vers 19h le 25 septembre 2019, ce qui n'est pas contesté par la société.

Ainsi, le fait que le salarié ait consulté le médecin pour la première fois le samedi 28 septembre 2019, après avoir laissé passer deux jours de travail (dont les horaires sont 6h22-13h30 puis 14h-19h environ à la lecture de la déclaration de l'accident), ne semble pas disproportionné.



Enfin, il convient de constater que, dans un contexte de cohérence entre la déclaration d'accident, le certificat médical initial et les déclarations du salarié, les lésions survenues aux temps et lieu de travail, constituent un fait accidentel et que dès lors, la présomption d'imputabilité énoncée par le texte susvisé a vocation à s'appliquer.



Il appartient alors à la société de démontrer le caractère totalement étranger de la lésion au travail.



En l'espèce, la société verse le rapport du Dr [N], médecin mandaté par elle, dans le cadre de la contestation du taux d'incapacité permanente partielle du salarié, lequel précise qu'il s'agit d'une 'tendinopathie calficiante de l'épaule due à l'état dégénératif. Le mécanisme traumatique ne parait pas être en cause'. Il affirme par ailleurs dans sa conclusion l'existence d'une dolorisation d'un état antérieur.

Ces éléments, issus de conclusions qui peuvent paraître contradictoires, ne sont pas de nature à démontrer qu'il existe une cause étrangère au travail. En effet, la première phrase relève d'une affirmation non étayée par des éléments issus de la situation du salarié, tandis que la dernière phrase de conclusion semble aller dans le sens de la reconnaissance d'un accident traumatique lié au travail.



La décision de prise en charge sera donc déclarée opposable à la société.



Sur l'opposabilité des soins et arrêts:



Il résulte des articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale et 1353 du code civil que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et qu'il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.



En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le certificat médical initial du 28 septembre 2019, établi 3 jours après l'accident, prescrit un arrêt de travail qui s'est prolongé jusqu'au 1er mars 2021, date de la consolidation.



Il est établi par la caisse, qui verse au dossier le 'détail de l'échange historisé' des liaisons médico-administratives des 20 mars 2020 et 1er mars 2021, que les certificats d'arrêts de travail ont été étudiés et validés par le service médical.



La présomption d'imputabilité pour les lésions subies par le salarié a, dès lors, vocation à jouer jusqu'à la date de consolidation, fixée au 1er mars 2021.



Il appartient à la société de produire des éléments de nature à détruire cette présomption.



Le moyen tiré de la discontinuité des arrêts et soins n'est pas susceptible de venir faire obstacle à ce principe.



De même, la seule longueur des arrêts de travail n'est pas un argument propre à faire échec à la présomption d'imputabilité, sans autre élément tiré de l'existence d'un état antérieur.



Sur ce point, la société fournit la même note du Dr [N], qui estime, que le salarié connaît un état antérieur, de l'arthrose au niveau de l'épaule droite (confirmé par scanner du 10 octobre 2019 et IRM du 14 mars 2020), sans toutefois préciser en quoi les arrêts de travail successifs ne se rattacheraient pas ou plus à la lésion initiale, un trauma cervical droit. Aucun élément précis n'est rapporté par la société sur le point qu'elle évoque.



Enfin, la société invoque le fait que la lésion à l'épaule n'était pas décrite dans le certificat médical initial et qu'elle ne devrait donc pas être reprise dans les arrêts de travail qui ont suivi l'accident, alors même que la société, la première personne avisée M. [U] [D], et le salarié ont tous évoqué une douleur au dos mais également à l'épaule droite.



Concernant la demande d'expertise, il ressort que la société ne produit pas d'éléments de nature à faire droit à cette demande.



C'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré que l'ensemble des arrêts et soins à compter du 28 septembre 2019 et jusqu'à la date de consolidation, est opposable à la société et qu'ils l'ont déboutée de sa demande d'expertise judiciaire.



La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :



CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;



Condamne la société [6] aux dépens exposés en appel ;



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Madame Laëtitia DARDELET, conseillère, pour Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente empêchée, et par Madame Juliette DUPONT, Greffière, à laquelle le magistrat signataire a rendu la minute.





La GREFFIÈRE, P/La PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE,

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