8 février 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 21/03525

Chambre sociale 4-6

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 FEVRIER 2024



N° RG 21/03525 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U3YA



AFFAIRE :



[Y] [H]





C/

S.A.R.L. DISTRIBUTION SERVICE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 20/00327



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Béatrice BONACORSI



la SCP PETIT MARCOT HOUILLON







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :





Monsieur [Y] [H]

né le 09 Janvier 1969 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentant : Me Béatrice BONACORSI, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 66







APPELANT

****************





S.A.R.L. DISTRIBUTION SERVICE

N° SIRET : 377 96 8 7 89

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentant : Me Arnaud LEROY de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1683 -





INTIMEE



****************







Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Novembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,



Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,








FAITS ET PROCÉDURE



A compter du 1er avril 2003, M.[Y] [H] a été engagé par contrat à durée indéterminée en qualité d'assistant de stock, par la SARL Distribution Service, qui est spécialisée dans la distribution, le stockage, la vérification, la gestion, l'exportation et l'importation de matériel divers et cinématographiques, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de la distribution de films cinématographiques.



En dernier lieu, il occupait les fonctions de gestionnaire publicité.



Le 5 décembre 2016, M. [Y] [H] a été victime d'un accident du travail et sera placé en arrêt de travail de façon continue.



Le 27 septembre 2017, M.[Y] [H] a été reconnu en qualité de travailleur handicapé par la maison départementale des travailleurs handicapés (MDPH) et le 26 août 2019, il a été placé en invalidité catégorie 2.



Le 21 juin 2019, à l'issue de la visite de reprise, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste en visant le cas de dispense de l'obligation de reclassement : « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », précisant dans la partie conclusions et indications relatives au reclassement : « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise actuelle ».



Convoqué le 26 juin 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 8 juillet suivant, M.[Y] [H] a été licencié par courrier daté du 11 juillet 2019 énonçant une inaptitude et une impossibilité de reclassement.

La lettre de licenciement est ainsi libellée:

'Monsieur,

Vous avez été déclaré inapte aux fonctions de préparateur de commandes que vous exerciez précédemment par le docteur [G] [Z], médecin du travail, à l'issue d'un examen médical du 21 juin 2019.

Nous vous avons reçu le 8 juillet 2019 pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre.

Le médecin du travail a indiqué dans l'avis d'inaptitude physique que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise actuelle ».

Nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement en raison de votre inaptitude physique médicalement constatée.

Votre contrat de travail sera rompu le 11 juillet 2019. Vous n'effectuerez donc pas de préavis.

Nous vous ferons parvenir par courrier recommandé le lundi 15 juillet 2019 un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi, ainsi que les salaires et indemnités qui vous sont dus. Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les 15 jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.'

Le 8 juillet 2020, M.[Y] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency aux fins de solliciter la nullité de son licenciement pour non-respect de la part de l'employeur des obligations relatives à la consultation des délégués du personnel et des recherches de reclassement et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.











La société s'est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par jugement rendu le 28 octobre 2021, notifié le 16 novembre suivant, le conseil de prud'hommes a :




débouté M.[Y] [H] de l'ensemble de ses demandes,

laissé les éventuels dépens à la charge de M. [Y] [H],

débouté la SARL Distribution Service de sa demande reconventionnelle.




Le 2 décembre 2021, M.[Y] [H] a relevé appel de cette décision par voie électronique, puis a réalisé une déclaration d'appel complémentaire le 3 décembre 2021.



Par ordonnance de jonction du 9 décembre 2021, les deux procédures ont été jointes sous le numéro de RG 21-3525.



Par conclusions transmises par RPVA le 23 février 2022 , M.[Y] [H] sollicite de la cour de voir :




recevoir l'appel de Monsieur [H] et le dire bien fondé

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [H] de l'ensemble de ses demandes

statuant de nouveau, Vu les articles L1226-2 ; L1226-14 ; L1226-15 ; L5213-9 du code du travail, Vu les jurisprudences versées au débat,

déclarer le licenciement intervenu nul en vertu des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail

subsidiairement déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse

condamner la SARL DISTRIBUTION SERVICE à payer à Monsieur [H] les sommes suivantes :




- Au titre de la nullité du licenciement pour non-respect des dispositions relatives à la consultation des DP et des recherches de reclassement s'agissant d'un travailleur handicapé, ou de l'absence de cause réelle et sérieuse la somme de 38 395,50 € nette



- Au titre du préavis, en vertu des dispositions de l'article L5213-9 du code du

travail, la somme de 8 860,50 €

- Une somme au titre des congés payés sur préavis de 886 €

- Une indemnité spéciale de licenciement en vertu des dispositions de l'article L1226-14 du code du travail, par compensation, de 14 582,91 €

- Au titre du reliquat congés payés : 1 628,63 €

- La somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre injonction à la SARL DISTRIBUTION SERVICE, sous astreinte de 200 € par jour de retard, de rectifier le bulletin de salaire de juillet 2019




ordonner que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020 en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter de la présente décision pour les autres sommes allouées

ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil

condamner la SARL DISTRIBUTION SERVICE aux entiers dépens.




Par conclusions transmises par RPVA le 16 mars 2022, la SARL Distribution Service sollicite de la cour de voir :




débouter Monsieur [H] de l'intégralité de ses demandes

subsidiairement, limiter en cas de condamnation au titre de la nullité du licenciement la demande de Monsieur [H] à la somme 6 mois de salaires

limiter en cas de condamnation au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement la demande de Monsieur [H] à la somme 3 mois de salaires

subsidiairement, limiter le préavis à deux mois de salaires

condamner Monsieur [H] à verser à la Société DISTRIBUTION SERVICE la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

le condamner aux entiers dépens.




Par ordonnance rendue le 18 octobre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 21 novembre 2023.



Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.




MOTIFS DE LA DÉCISION




Sur la rupture du contrat de travail






Sur la cause








Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude






Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.



Il appartient au juge d'apprécier souverainement les éléments de preuve produits tant sur l'existence ou non d'un lien entre l'inaptitude déclarée par le médecin du travail et l'accident du travail, ou la maladie professionnelle, que la connaissance par l'employeur de ce lien.



L'origine professionnelle de l'inaptitude n'est pas subordonnée devant la juridiction prud'homale à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre la maladie ou l'accident dont le salarié a été victime et son inaptitude. Il en est ainsi, alors même qu'au jour du licenciement, l'employeur a été informé d'un refus de prise en charge au titre du régime des accidents du travail ou des maladies professionnelles.



L'article L1226-14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L1234-9.



La déclaration d'accident du travail du 5 décembre 2016, réalisée le jour même, mentionne : 'une dorso lombalgie aigue + sciatique gauche'.



Le 9 janvier 2017, la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail déclaré par M.[Y] [H].



L'arrêt de travail de M.[Y] [H] pour accident de travail s'est prolongé jusqu'au 5 octobre 2017, date à laquelle son état a été déclaré consolidé par la caisse primaire d'assurance maladie.



Le 13 novembre 2017, l'employeur a reçu une notification de prise en charge d'une 'nouvelle lésion' au motif que 'la lésion invoquée sur le certificat médical n'est pas imputable au sinistre référencé'. Selon l'employeur, depuis cette information, M.[Y] [H] a été en arrêt maladie et n'a pas repris ses fonctions jusqu'à son licenciement le 11 juillet 2019, ce qui le conduit à dire que la société était bien fondée à considérer l'inaptitude du salarié comme étant non-professionnelle.



Or, s'il ressort des éléments produits par le salarié qu'à partir du 6 octobre 2017, l'arrêt de travail produit était un arrêt pour maladie simple, cet arrêt comporte cependant la mention de 'appel de la décision du médecin conseil', le salarié fournissant également un arrêt de travail de prolongation pour accident du travail prescrit le 23 mai 2018 pour 'reprise chirurgicale de spondylodiscite L4-L5".



Enfin, l'étude du poste, réalisée par le médecin du travail, identifiait les contraintes du poste en lien avec les douleurs situées au niveau du dos (station debout prolongée ; extension/flexion colonne vertébrale en répétition toute la journée) et proposait à l'employeur des possibilités de reclassement permettant d'éviter ces contraintes.



Il résulte de ces éléments, alors qu'il est constant que le salarié n'a jamais repris le travail après son accident du travail, que l'inaptitude découle, au moins partiellement, de l'accident du travail en date du 5 décembre 2016, l'employeur ne pouvant ignorer le lien entre l'accident du travail et les séquelles causées à M.[Y] [H], qui l'ont rendu inapte, puis invalide, de sorte que l'origine professionnelle de l'inaptitude est caractérisée, précision faite néanmoins que M. [Y] [H] ne demande pas dans son dispositif la reconnaissance du caractère professionnel de son inaptitude, de sorte que la cour n'est pas saisie de ce chef conformément à l'article 954 du code de procédure civile.






Sur le défaut de consultation des délégués du personnel et l'obligation de reclassement






Le salarié soutient que faute pour la société de lui avoir fait connaître par écrit préalablement au licenciement les motifs qui s'opposaient à son reclassement en violation de l'article L1226-2-1 du code du travail, elle a commis une irrégularité substantielle qui rend son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il réfute la thèse de l'employeur consistant à affirmer qu'il était délié d'une telle obligation compte tenu de l'avis du médecin du travail qui l'aurait dispensé de rechercher un reclassement. Il reproche également à l'employeur de ne pas avoir consulté les délégués du personnel, formalité obligatoire même en cas de maladie non professionnelle. Enfin, il soutient que la société ne démontre pas avoir cherché à le reclasser.



La société soutient que, dans son avis, le médecin du travail s'est placé volontairement sous le régime juridique de l'article R4624-42 in fine du code du travail et a donc délié l'employeur de son obligation de reclassement en sorte qu'il ne peut lui être reproché un quelconque manquement quant à l'information par écrit des motifs s'opposant à un reclassement, quant à la consultation des délégués du personnel et au reclassement, toutes obligations auxquelles elle n'était pas tenue.



Selon l'article L1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, 'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, le groupe est défini conformément au I de l'article L.  2331-1.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail'.



Selon l'article L1226-2-1 du même code dans sa rédaction issue de la loi nº2016-1088 du 8 août 2016), ' Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.



L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.







L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.



S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre'.



Enfin, l'article R4624-42 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret 2016-1908 du 27 décembre 2016, applicable à l'espèce, prévoit que 'Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :



1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;



2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;



3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;



4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.



Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.

S'il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l'avis médical d'inaptitude intervient au plus tard à cette date.

Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.



En l'espèce, il est constant que :



- le salarié a été en arrêt pour accident du travail du 5 décembre 2016 au 5 décembre 2017 et placé en arrêt de travail de façon continue du 5 décembre 2016 au 11 juillet 2019, date de son licenciement ;

- l'avis médical d'inaptitude en date du 21 juin 2019 est libellé ainsi : « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise actuelle ». Cet avis coche expressément les cases : date de l'étude de poste et des conditions de travail : 06/07/2018, dernier échange avec l'employeur : 21/06/2019, date de la mise à jour de la fiche d'entreprise : 24/07/2018. Il coche également la case 'L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.



La société plaide que la décision du médecin du travail est claire et non équivoque et n'a pas été contestée et qu'elle n'avait en tout état de cause pas à consulter préalablement les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement dès lors qu'elle ne pouvait reclasser le salarié inapte à tout emploi.



Si lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, n'est pas tenu de rechercher un reclassement et n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel, quelle que soit d'ailleurs l'origine de l'inaptitude (Cour de cassation, ch.soc. du 11 mai 2022 n° 20-20.717), force est de constater qu'en l'espèce et comme le relève M.[Y] [H], le médecin du travail, qui a visé les articles L1226-2.1, L1226-12 et L1226-20 du code du travail et a coché la case : 'L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi', a cependant écrit dans la partie conclusions et indications relatives au reclassement que: « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise actuelle ».





Si cette précision peut paraître ambigue, elle est sans incidence au cas d'espèce dès lors qu'il n'est pas démontré par M.[Y] [H] que la SARL Distribution Service fait partie d'un groupe outre le fait que les établissements secondaires évoqués par M.[Y] [H] n'ont aucune personnalité morale et constituent avec la société, une seule et même entité, une seule personne morale, de sorte que l'avis du médecin du travail qui vise 'l'entreprise' est conforme à l'interprétation que la SARL Distribution Service en a donnée.



En conséquence, la SARL Distribution Service n'avait ni l'obligation de reclassement ni l'obligation de consulter les délégués du personnel.



Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M.[Y] [H] de ses demandes subséquentes à sa demande de nullité.





Sur les conséquences





En préambule, il convient de relever que les parties s'accordent pour dire que la moyenne des 12 derniers mois de salaires perçus par M. [Y] [H] s'élève à 2 953€.



M. [Y] [H] sollicite le versement de l'indemnité spéciale prévue par l'article L1226-14 du code du travail, une indemnité de préavis et un reliquat de congés payés, ce à quoi s'oppose la SARL Distribution Service, y opposant l'irrecevabilité de ces demandes.






Sur la recevabilité des demandes






La SARL Distribution Service soutient que le solde de tout compte a été régularisé sans réserve le 11 juillet 2019 pour ce qui concerne les congés payés et l'indemnité de licenciement et le chèque bien encaissé le 17 juillet 2019 par M.[Y] [H].



Dès lors, retenant la date du 17 juillet 2019, elle en déduit que M. [Y] [H] a renoncé à contester ce solde de tout compte dans les 6 mois suivant cet encaissement, de sorte qu'il est forclos ayant saisi le conseil des prud'hommes le 8 juillet 2020.



M.[Y] [H] soulève l'absence de date certaine et relève que le solde de tout compte ne fait pas mention d'une indemnité de préavis ni d'indemnité spéciale, de sorte qu'il n'a aucun effet libératoire.



En l'espèce, le solde de tout compte ne porte que sur l'indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 4912,13 euros et l'indemnité de licenciement à hauteur de 14 582,91 euros.



Il convient de rappeler que l'effet libératoire pour l'employeur de la signature par le salarié du solde de tout compte, à défaut de dénonciation dans les six mois, comme le prévoit l'article L1234-20 du code du travail, ne vaut que pour les sommes qui y sont mentionnées.



En l'espèce, les demandes au titre de l'indemnité spéciale et de l'indemnité compensatrice de préavis ne figurant pas dans le reçu, les demandes à ce titre sont recevables. Il en est différemment pour la demande au titre des congés payés, l'indemnité compensatrice de congés payés étant mentionnée dans le reçu et M. [Y] [H] en contestant seulement le montant dû pour la même période alors que celui-ci figurait espréssement dans le reçu.






Sur l'indemnité de préavis






M. [Y] [H] a été reconnu travailleur handicapé suivant décision de la MDPH pour la période du 1er mai 2017 au 30 avril 2022.



Il sollicite le paiement d'une indemnité compensatrice d'un montant égal à trois mois de salaire en application de l'article L5213-9 du code du travail qui dispose que « En cas de licenciement, la durée du préavis déterminée en application de l'article L1234-1 est doublée pour les bénéficiaires du chapitre II, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque les conventions ou accords collectifs de travail ou, à défaut, les usages prévoient un préavis d'une durée au moins égale à trois mois».

Il est de jurisprudence que ce dernier texte, qui a pour but de doubler la durée du délai-congé en faveur des salariés handicapés, n'est pas applicable à l' indemnité compensatrice prévue à l'article L1226-14 du code du travail (Soc. 04 octobre 2023 nº 22-15526).



M. [Y] [H] est donc en droit de percevoir une indemnité compensatrice équivalente à deux mois, délai de préavis prévu à l'article L1234-1, étant rappelé que cette indemnité qui n'a pas la nature d'une indemnité de préavis ne génère pas de congés payés.



Par conséquent, il convient d'allouer à M. [Y] [H] une indemnité équivalente à celle qu'il aurait perçue en cas de non réalisation de son préavis, soit la somme de 5 906 euros, mais sans congés payés afférents compte tenu de sa nature indemnitaire et forfaitaire.





Le jugement sera infirmé de ce chef.






L'indemnité spéciale de licenciement






En l'espèce, si le reçu pour solde mentionne l'indemnité de licenciement que M. [Y] [H] a perçue, cette indemnité correspond à l'indemnité de licenciement de droit commun, soit celle dont l'employeur s'estime seulement débiteur, et non l'indemnité spéciale de licenciement prévue en cas de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, de sorte que le salarié n'est pas forclos à la réclamer.



Sur le fond, s'agissant de l'indemnité spéciale de licenciement, l'article L1226-14 du code du travail prévoit une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité légale de licenciement.



Au regard de son salaire mensuel brut de 2 953 euros et de son ancienneté de 16 ans et 3 mois, l'indemnité spéciale de licenciement due à M.[Y] [H] s'élève à 14 582,91 euros (déduction faite de l'indemnité de licenciement déjà perçue) et ce, par ajout au jugement entrepris.






Sur la remise d'un bulletin de salaire rectifié






Il convient d'ordonner à la société de remettre au salarié un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.



Le jugement sera infirmé de ce chef.






Sur les intérêts et leur capitalisation






Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation, et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.



Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil. La décision sera donc infirmée de ce chef.




Sur l'article 700 du code de procédure civile




Il convient de condamner la société Distribution Service à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




Sur les dépens




Il convient de condamner la SARL Distribution Service aux entiers dépens.





PAR CES MOTIFS



La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,





Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Montmorency du 28 octobre 2021 en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. [Y] [H] de sa demande au titre des congés payés;



Infirme pour le surplus;



Statuant à nouveau et y ajoutant;



Condamne la SARL Distribution Service à payer à M. [Y] [H] la somme de 5 906 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;



Condamne la SARL Distribution Service à payer à M. [Y] [H] la somme de 14 582,91 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;



Dit irrecevable la demande de M. [Y] [H] au titre du reliquat des congés payés;



Ordonne à la SARL Distribution Service de remettre à M. [Y] [H] un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision;



Rappelle que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation, et que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.



Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil;



Condamne la SARL Distribution Service à payer à M. [Y] [H] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;



Condamne la SARL Distribution Service aux entiers dépens.



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.









Le greffier, Le président,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.