25 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.307

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C200078

Titres et sommaires

ASTREINTE (LOI DU 9 JUILLET 1991) - Liquidation - Nature - Portée

Il résulte des articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d'exécution que l'astreinte constitue une mesure personnelle qui a pour finalité de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations qu'une décision juridictionnelle lui a imposées et d'assurer le respect du droit à cette exécution. Sa liquidation n'a pas vocation à réparer un préjudice. La créance de liquidation d'une astreinte n'étant pas un droit réel immobilier, ni l'accessoire d'un tel droit, l'acte prévoyant sa cession ne constitue pas un acte soumis à publicité foncière et son opposabilité aux tiers n'est pas régie par le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 mais suppose la signification de sa cession faite au débiteur, ou son acceptation par celui-ci, conformément à l'article 1690 du code civil

CESSION DE CREANCE - Formalités de l'article 1690 du code civil - Signification au débiteur cédé ou son acceptation - Mutation de droits réels immobiliers (non) - Liquidation d'astreinte - Nature - Détermination - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 janvier 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 78 F-B

Pourvoi n° H 22-12.307




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2024

La société Hold-invest, société par actions simplifiée, dont le siège est chez [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-12.307 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2021 par la chambre d'appel de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion à Mamoudzou (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Vinci construction DOM-TOM, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Hold-invest, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Vinci construction DOM-TOM, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (chambre d'appel de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion à Mamoudzou, 30 novembre 2021), un arrêt du 5 octobre 2010 a ordonné l'expulsion de la société Hold-invest et de tous occupants de son chef d'un terrain à usage industriel de carrière, appartenant à M. [N], et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de deux mois à compter de la signification de la décision.

2. Par acte notarié du 15 septembre 2015, ledit terrain a été cédé par M. [N] à la société Vinci construction DOM-TOM (la société Vinci).

3. Invoquant l'inexécution par la société Hold-invest de son obligation, la société Vinci a saisi un juge de l'exécution aux fins de liquidation de l'astreinte provisoire et de fixation d'une astreinte définitive.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Hold-invest fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Vinci la somme de 419 600 euros pour la période du 2 octobre 2015 au 2 juillet 2021 inclus, sur la base d'une astreinte provisoire journalière ramenée à 200 euros et de la condamner à exécuter l'injonction prononcée le 5 octobre 2010 dans le délai de deux mois suivant la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard, durant une période d'un an, alors :

« 1°/ que l'astreinte n'a pas pour objet de réparer un préjudice et que sa liquidation ne constitue pas une indemnisation ; si aucune disposition légale n'a pour effet de rendre l'astreinte incessible et si les parties sont libres de convenir que l'acte de cession d'un droit emportera au bénéfice du cessionnaire la cession de la créance de liquidation de l'astreinte prononcée au profit du cédant, encore faut-il que ce transfert soit prévu par la convention des parties à la cession ; qu'en retenant qu'« il s'ensuit que la société Vinci est habile à se prévaloir de l'arrêt du 5 octobre 2010, titre exécutoire accessoire à son droit de propriété ayant disposé une astreinte à l'encontre de la société Hold-invest », après avoir pourtant constaté que « l'acte de vente du 15 septembre 2015, qui relate le long contentieux avec la société Hold-invest, précise en page 7 que « les frais de procédures et d'expulsions jusqu'à la libération totale des lieux seront, s'il y a lieu, à la charge du nouveau propriétaire auquel reviendra l'indemnisation par tous occupants de ses préjudices résultant de leur occupation », ce dont il résultait que la société Vinci, dont il était stipulé qu'elle pouvait uniquement bénéficier de « l'indemnisation par tous occupants de ses préjudices résultant de leur occupation », ne pouvait se prévaloir de l'astreinte prononcée à l'encontre de la société Hold-invest, laquelle est par nature indépendante de dommages et intérêts, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'article L. 131-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ qu'en retenant que la société Vinci « justifie d'une publication de son acte d'acquisition du 15 septembre 2015 effectuée le 2 octobre 2015 qui constitue donc le point de départ de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'arrêt du 5 octobre 2010 à l'encontre de la société Hold-invest », motifs pris que « si cet article 1690 prévoit en son 1er que « le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur », ces dispositions ne sont pas applicables aux mutations de droits réels immobiliers, par lecture a contrario de l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière », cependant que ce texte, relatif à l'inopposabilité pour défaut de publicité foncière aux tiers ayant acquis des droits concurrents en vertu d'acte soumis à une même obligation de publicité, ne concernait pas la société Hold-invest, qui n'avait acquis aucun droit concurrent de ceux du cessionnaire du terrain, la société Vinci, et que seule était en cause la question de l'opposabilité de la cession du bénéfice de l'astreinte et non de la vente immobilière, la cour d'appel a violé l'article 1690 du code civil applicable à la cause, par refus d'application, et l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, par fausse application ;

3°/ que le cessionnaire d'un droit ne peut se prévaloir de l'astreinte que pour la période de temps qui a couru depuis le jour où la cession a été notifiée au débiteur ; qu'en retenant que « la société Vinci justifie d'une publication de son acte d'acquisition du 15 septembre 2015 effectuée le 2 octobre 2015 qui constitue donc le point de départ de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'arrêt du 5 octobre 2010 à l'encontre de la société Hold-invest », permettant ainsi au cessionnaire de se prévaloir de la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de la société Hold-invest à compter de la date de publication de l'acte d'acquisition du terrain, la cour d'appel a violé l'article 1690 du code civil applicable à la cause et l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, pris en sa première branche

5. La société Vinci conteste la recevabilité du moyen, pris en sa première branche. Elle soutient qu'il est contraire à la position défendue par la société Hold-invest devant la cour d'appel en ce qu'elle n'avait pas invoqué l'irrecevabilité de sa demande faute de qualité à agir.

6. Cependant, le moyen ne fait pas grief à la cour d'appel d'avoir rejeté une fin de non-recevoir prise d'un défaut de qualité à agir de la société Vinci.

7. Le moyen, est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1690 du code civil, les articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d'exécution et l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière :

8. Il résulte des deuxième et troisième de ces textes que l'astreinte constitue une mesure personnelle qui a pour finalité de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations qu'une décision juridictionnelle lui a imposées et d'assurer le respect du droit à cette exécution. Sa liquidation n'a pas vocation à réparer un préjudice.

9. Il s'ensuit que la créance de liquidation d'une astreinte n'est pas un droit réel immobilier, ni l'accessoire d'un tel droit et que, l'acte prévoyant sa cession ne constituant pas un acte soumis à publicité foncière, son opposabilité aux tiers n'est pas régie par le décret du 4 janvier 1955 susvisé mais suppose la signification de sa cession faite au débiteur, ou son acceptation par celui-ci, conformément à l'article 1690 susvisé.

10. Pour condamner la société Hold-invest à payer à la société Vinci une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte, l'arrêt rappelle les termes de l'acte de vente du 15 septembre 2015, selon lesquels les frais de procédure et d'expulsion jusqu'à libération totale des lieux vendus seront à la charge du nouveau propriétaire, auquel reviendra l'indemnisation par tous occupants de ses préjudices résultant de l'occupation. Il en déduit que la société Vinci est habile à se prévaloir de l'arrêt du 5 octobre 2010 ayant fixé l'astreinte.

11. Il énonce, ensuite, que cet arrêt est un titre exécutoire accessoire au droit de propriété ayant ordonné une astreinte à l'encontre de la société Hold-invest.

12. Il retient, enfin, que l'astreinte a commencé à courir le 2 octobre 2015, date de la publication aux services de la publicité foncière de l'acte de cession du 15 septembre 2015.

13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté des parties à l'acte de cession immobilière du 15 septembre 2015 de céder à la société Vinci la créance de liquidation de l'astreinte, qui n'est pas un droit réel accessoire au droit de propriété du terrain cédé ni l'indemnisation d'un préjudice, et alors que la société Vinci n'aurait pu se prévaloir du bénéfice de cette créance qu'à compter de la signification de sa cession au débiteur, ou de son acceptation par celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de disposition de l'arrêt condamnant la société Hold-invest à payer une somme à la société Vinci au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire entraîne la cassation des autres chefs de dispositif de l'arrêt, lesquels s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2021, entre les parties, par la chambre d'appel de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion à Mamoudzou ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Condamne la société Vinci construction DOM-TOM aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vinci construction DOM-TOM et la condamne à payer à la société Hold-invest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-quatre.

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