17 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-12.283

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00078

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement et liquidation judiciaires - Créances - Assurance contre le risque de non-paiement - Subrogation de l'AGS - Domaine d'application - Créances garanties par le superprivilège

Il résulte du 2° de l'article L. 3253-16 du code du travail, que, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie contre le non-paiement des salaires mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances, pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code. Cette subrogation ayant pour effet d'investir ces institutions de garantie de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, qui n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l'AGS, qui bénéficie, en application de l'article L. 625-8 du code de commerce, du droit à recevoir un paiement opéré sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective. Doit, en conséquence, être censuré l'arrêt qui refuse ce droit à l'AGS, au motif que seul le salarié bénéficie d'un privilège spécifique et attaché à sa personne, dérogeant au principe d'interdiction des paiements instauré à l'ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures, dont l'institution de garantie ne peut bénéficier sans remettre en cause les distributions de l'actif distribuable dans l'ordre défini par l'article L. 643-8 du code de commerce

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Redressement et liquidation judiciaires - Créances des salariés - Assurance contre le risque de non-paiement - Garantie - Domaine d'application - Créances garanties par le superprivilège - Privilège exclusivement attaché à la personne du salarié (non)

Texte de la décision

COMM.

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 janvier 2024




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 78 F-B+R

Pourvoi n° B 23-12.283









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JANVIER 2024

1°/ L'UNEDIC, association déclarée, agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, dont le siège est [Adresse 3], élisant domicile au Centre de gestion et d'études AGS (CGEA) de [Localité 4], [Adresse 1], représentée par la directrice nationale de la DUA, Mme [J] [N],

2°/ l'AGS, dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° B 23-12.283 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2023 par la cour d'appel de Toulouse (4ème chambre section 1), dans le litige les opposant à la société BDR et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [M] [C], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Sigfox, défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'UNEDIC, agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, et de l'AGS, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société BDR et associés, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 20 janvier 2023), le 26 janvier 2022, la société Sigfox a été mise en redressement judiciaire. Par deux jugements du 21 avril 2022, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de la société Sigfox au bénéfice de la société Unadiz Holdings Pte, puis a converti la procédure collective en liquidation judiciaire, la société BDR et associés étant désignée en qualité de liquidateur.

2. Le 26 avril 2022, le liquidateur a saisi le Centre de gestion et d'études AGS (CGEA) de [Localité 4] d'une demande par l'Association de garantie des salaires (l'AGS) pour assurer le paiement des salaires dus pour la période du 1er au 21 avril 2022 et des congés payés dus entre le 1er juin 2020 et le 21 avril 2022.

3. Le CGEA lui ayant opposé un refus en faisant valoir que, la cession de l'entreprise étant définitive, le liquidateur disposait du prix de cession et d'une trésorerie suffisante pour assurer le paiement des sommes dont il demandait l'avance, ce dernier l'a assigné devant le tribunal de la procédure collective pour obtenir le versement des sommes portées sur le relevé des créances salariales numéroté 6.

4. L'AGS a alors demandé à recevoir un paiement sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective au titre de sa créance superprivilégiée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'UNEDIC, agissant en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, fait grief à l'arrêt de la condamner au versement d'une somme équivalente au solde du relevé des créances salariales numéro 6, alors :

« 1°/ que ce n'est que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du code du travail, que le mandataire judiciaire peut demander, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à son article L. 3253-14 ; qu'en jugeant qu' en matière de redressement et de liquidation judiciaire, l'insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire" et qu' en présence d'un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l'UNEDIC AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu'à la suite de l'adoption de la décision de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du prix de cession", pour rejeter l'argumentation de la délégation UNEDIC-AGS aux termes de laquelle la garantie de l'AGS ne pouvait être mise en oeuvre dès lors, d'une part, que le liquidateur disposait de 670 000 euros au titre de la trésorerie courante de la société Sigfox, ainsi que du prix de cession de 3 300 000 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-20 du code du travail ;

2°/ que l'AGS a un droit propre pour contester le principe et l'étendue de sa garantie, dans tous les cas où les conditions de celle-ci ne paraissent pas remplies ; qu'en jugeant qu' en matière de redressement et de liquidation judiciaire, l'insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire" et qu' en présence d'un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l'UNEDIC AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu'à la suite de l'adoption de la décision de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du prix de cession", la cour d'appel a violé l'article L. 3253-20 du code du travail, ensemble l'article L. 625-4 du code de commerce ;

3°/ que la charge de la preuve de ce que les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du code du travail repose sur le mandataire judiciaire ; qu'en jugeant qu' en matière de redressement et de liquidation judiciaire, l'insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire" et qu' en présence d'un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l'UNEDIC AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu'à la suite de l'adoption de la décision de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du prix de cession", la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil ;

4°/ qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; qu'en jugeant qu' en matière de redressement et de liquidation judiciaire, l'insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire" et qu' en présence d'un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l'UNEDIC AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu'à la suite de l'adoption de la décision de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du prix de cession", la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile ;

5°/ que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi, sont laissées à l'appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen ; qu' en jugeant qu'en matière de redressement et de liquidation judiciaire, l'insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire" et qu' en présence d'un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l'UNEDIC AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu'à la suite de l'adoption de la décision de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du prix de cession", et qu'il ne serait pas possible à l'AGS de rapporter la preuve de l'existence de fonds disponibles, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. D'une part, selon l'article L. 3253-19, 1° et 3°, du code du travail, en cas d'ouverture d'une procédure collective, il incombe au mandataire judiciaire d'établir le relevé des créances mentionnées aux articles L. 3253-2 et L. 3253-4 de ce code dans les dix jours suivant le prononcé du jugement d'ouverture et, pour les salaires et les indemnités de congés payés couvertes en application du 3° de l'article L. 3253-8 et les salaires couverts en application du dernier alinéa de ce même article, dans les dix jours suivant l'expiration des périodes de garantie prévues à ce 3° et ce, jusqu'à concurrence du plafond mentionné aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du même code.

7. D'autre part, l'article L. 3253-20 du code du travail dispose, en son premier alinéa, que si les créances salariales ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code. Le second alinéa de ce texte prévoit pour sa part, qu'en cas d'ouverture d'une sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à ces institutions, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, la réalité de cette insuffisance pouvant être contestée par l'AGS devant le juge-commissaire.

8. Faisant l'exacte application de ces textes, la cour d'appel a retenu, sans instituer une présomption irréfragable ni méconnaître les règles gouvernant l'administration de la preuve, ni la subsidiarité de l'intervention de l'AGS, que l'obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par les institutions de garantie ne sont prévues qu'en cas de sauvegarde et en a déduit qu'en dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'AGS, de sorte que, sur la présentation d'un relevé de créances salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire, et afin de répondre à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances, l'institution de garantie est tenue de verser les avances demandées.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. L'UNEDIC, agissant en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à obtenir la condamnation du liquidateur, ès qualités, à lui rembourser les sommes avancées au titre des créances salariales superprivilégiées, alors « que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; que nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires ; que toutefois, avant tout établissement du montant de ces créances, le débiteur ou l'administrateur s'il a une mission d'assistance doit, avec l'autorisation du juge-commissaire et dans la mesure des fonds disponibles, verser immédiatement aux salariés, à titre provisionnel, une somme égale à un mois de salaire impayé, sur la base du dernier bulletin de salaire, et sans pouvoir dépasser le plafond visé à l'article L. 143-10 du code du travail ; qu'à défaut de disponibilités, les sommes dues en vertu des deux règles précitées doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds ; qu'en jugeant que l'article L. 625-8 du code de commerce instaure, au bénéfice du seul salarié, un privilège spécifique dans les limites de l'article L. 3253-2 du code du travail, par dérogation au principe d'interdiction des paiements instauré à l'ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures, avec versement sur les premières rentrées de fonds. Il s'agit d'un droit attaché à la personne du salarié pour lequel l'AGS ne peut bénéficier d'une subrogation sans remettre en cause les répartitions de l'actif distribuable dans l'ordre défini par l'article L. 643-8 du code de commerce", la cour d'appel a violé l'article L. 3253-16 du code du travail, ensemble l'article L. 625-9 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 625-8 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, alinéa 1er , du même code et L. 3253-16, 2° du code du travail :

11. Selon le premier de ces textes, nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10 [L. 3253-2 et L. 3253-3], L. 143-11 [L. 3253-4], L. 742-6 et L. 751-15 [L. 7313-8] du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires et, qu'à défaut de disponibilités, ces sommes doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds.

12. Il résulte du troisième de ces textes que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

13. Pour rejeter la demande du liquidateur, l'arrêt retient que l'article L. 625-8 du code de commerce institue, au bénéfice du seul salarié et attaché à sa personne, un privilège spécifique par dérogation au principe d'interdiction des paiements instauré à l'ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures avec un versement sur les premières rentrées de fonds dont l'AGS ne peut bénéficier sans remettre en cause les distributions de l'actif distribuable dans l'ordre défini par l'article L. 643-8 de ce code.

14. En statuant ainsi, alors que la subrogation dont bénéficient les institutions de garantie a pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, mais est transmis à l'AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande tendant au remboursement de ses avances au titre des créances salariales superprivilégiées formée par l'UNEDIC en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, l'arrêt rendu le 20 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse autrement composée ;

Condamne la société BDR et associés, en sa qualité de liquidateur de la société Sigfox, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

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