16 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.559

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00020

Titres et sommaires

PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT

Texte de la décision

N° F 22-81.559 FP-B

N° 00020


GM
16 JANVIER 2024


REJET


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024


M. [S] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 12 janvier 2022, qui, pour infractions au code de l'environnement, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, 35 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [S] [E], les observations de Me Haas, avocat de l'association pour [1], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de l'association [2], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, Piazza, MM. Maziau, Turbeaux, Mme Goanvic, MM. Seys, de Lamy, Laurent, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Joly, Mallard, Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Divers contrôles effectués par des agents de l'agence française de la biodiversité, sur des terres où M. [S] [E], agriculteur, avait effectué des opérations de girobroyage, ont permis de constater notamment la destruction de nombreuses tortues d'Hermann, espèce protégée.

3. M. [E] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour destruction non autorisée et mutilation d'espèce animale non domestique protégée ainsi que pour altération ou dégradation non autorisée de son habitat.

4. Le premier juge l'a déclaré coupable de ces faits et a prononcé sur les intérêts civils.

5. Le prévenu, le ministère public et une partie civile ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité visant les procès-verbaux des 10 janvier, 8 mai, 4 juin et 4 juillet 2019, a déclaré M. [E] coupable de destruction non autorisée d'espèce animale non domestique protégée, d'altération ou dégradation non autorisée de l'habitat d'une espèce animale non domestique protégée et de mutilation non autorisée d'espèce animale non domestique protégée, l'a condamné à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis, à une peine d'amende de 35 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que les agents de l'Agence française de la biodiversité ne peuvent, dans le cadre de leurs constatations, pénétrer dans les lieux revêtant un caractère professionnel qu'après en avoir informé le procureur de la République ; qu'en l'espèce, M. [E] faisait valoir que les agents avaient pénétré sur son exploitation, entièrement close et raccordée à l'eau courante, sans en avoir préalablement informé le procureur de la République de sorte que les procès verbaux de constatations ainsi établis étaient nuls qu'en retenant, pour rejeter ce moyen de nullité, que « les terrains agricoles destinés à l'élevage, quand bien même ils auraient été totalement clos, ne constituent pas un établissement, local, ou installation professionnels tels que visés par [l'article L. 172 5 du code de l'environnement] », quand la protection offerte par ce texte s'étend à tout lieu qui revêt un caractère professionnel, ce qui comprend les exploitations agricoles, la cour d'appel a violé les articles L. 172 5 du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les agents de l'Agence française de la biodiversité ne peuvent, dans le cadre de leurs constatations, pénétrer dans les domiciles qu'avec l'assentiment de l'occupant ou, à défaut, en présence d'un officier de police judiciaire qu'en l'espèce, M. [E] faisait valoir que les agents avaient pénétré sur son exploitation, entièrement close et raccordée à l'eau courante, sans obtenir ni son assentiment en tant que preneur à bail des parcelles, ni l'assentiment du propriétaire des lieux, de sorte que les procès verbaux de constatations ainsi établis étaient nuls qu'en retenant, pour rejeter ce moyen de nullité, que « les terrains agricoles destinés à l'élevage ne comportent aucune installation propre à l'habitation et ne constituent pas non plus un domicile », quand la notion de domicile, qui s'étend à tout lieu clos, ne se limite pas aux seuls locaux à usage d'habitation, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 172 5 et L. 172 6 du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale.

3°/ que les agents de l'Agence française de la biodiversité peuvent recueillir sur place les déclarations de toute personne susceptible d'apporter des éléments utiles à leurs constatations que ces déclarations sont retranscrites dans un procès verbal et relues par leur auteur qui peut y faire consigner ses observations et y appose sa signature qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que les procès verbaux des 4 juin et 4 juillet 2019 retranscrivaient des propos qui étaient attribués à M. [E] et M. [I], son ouvrier, sans que leur signature ne figure sur ces procès verbaux qu'en retenant toutefois, pour dire ces procès verbaux valables, qu'ils ne faisaient que rapporter « en garde partie en style indirect » des propos spontanément tenus par MM. [E] et [I] et ne constituaient pas des auditions au sens de l'article L. 172 8 du code de l'environnement, quand ce texte vise indifféremment le recueil des déclarations de toute personne susceptible d'apporter des éléments utiles à leurs constatations, qu'elles soient retranscrites en style direct ou indirect, la cour d'appel a violé l'article L. 172-8 du code de l'environnement, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

7. Pour écarter l'exception de nullité prise de l'absence tant de l'information du procureur de la République sur les visites effectuées par les agents de l'agence française de la biodiversité sur les terres exploitées par M. [E] que de l'assentiment de ce dernier à ces mesures, l'arrêt attaqué énonce que ces terres destinées à l'élevage, même closes, ne constituent pas un établissement, local ou installation professionnels au sens de l'article
L. 172- 5 du code de l'environnement.

8. Le juge ajoute que ces terrains ne comportent aucune installation propre à l'habitation et ne constituent pas non plus un domicile.

9. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

10. D'une part, les terres agricoles ne bénéficient pas de la protection offerte par l'alinéa 2 de l'article L. 172-5 précité, laquelle s'étend non à tout lieu à usage professionnel, mais seulement à ceux entrant dans les prévisions du 1° de ce texte, c'est-à-dire aux établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.

11. D'autre part, la seule circonstance qu'un terrain agricole est clos et raccordé à l'eau courante ne suffit pas à lui conférer le caractère d'un domicile.

12. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

13. Pour écarter l'exception de nullité prise d'une violation de l'article L. 172-8 du code de l'environnement, en ce que les procès-verbaux des 4 juin et 3 juillet 2019 retranscrivent des déclarations attribuées respectivement à M. [E] et à M. [L] [I], qui lui apportait de l'aide, sans que ces derniers les aient relus et signés, l'arrêt attaqué énonce que ces procès-verbaux se bornent à rapporter, d'une part, des propos spontanément tenus par le prévenu, d'autre part, des propos prêtés à M. [I], en grande partie en style indirect.

14. Le juge en conclut que ces procès-verbaux ne constituent pas des auditions soumises aux dispositions de l'article L. 172-8 précité, qu'ils ne valent qu'à titre de simples renseignements conformément aux dispositions de l'article 430 du code de procédure pénale et qu'ils seront appréciés au regard des auditions des intéressés régulièrement effectuées par la suite dans les formes légales.

15. En l'état de ces énonciations, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués, pour les motifs qui suivent.

16. D'une part, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, dans le procès-verbal du 4 juin 2019, dont elle a le contrôle, les agents de la biodiversité se sont bornés à transcrire les propos sommaires de M. [E] sur les travaux dont ils observaient, sur place, l'exécution. Le recueil de tels propos échappe aux formalités prévues à l'article L. 172-8 du code de l'environnement.

17. D'autre part, M. [E] a qualité pour solliciter la nullité du procès-verbal du 3 juillet 2019 relatant des propos prêtés à M. [I], dès lors que la formalité de la signature du procès-verbal par la personne entendue, prévue à l'article L. 172-8 précité et dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet d'authentifier les déclarations de l'intéressé.

18. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les agents de la biodiversité ne se sont pas bornés à consigner des propos sommaires. Ils ont, au regard de leurs précédentes constatations, interrogé M. [I] sur le déroulement d'opérations réalisées pendant plusieurs mois, les modalités de leur exécution, leurs conséquences sur la faune et le rôle qu'y a tenu M. [E]. Ils ont ainsi, même en les transcrivant en style indirect, recueilli ses déclarations sur l'ensemble de ces points et devaient, dès lors, respecter les formalités prévues par l'article L. 172-8 précité.

19. Toutefois, M. [E] n'a pas contesté, dans ses conclusions, l'exactitude de la transcription des déclarations de M. [I], de sorte qu'il n'a pas invoqué un grief de nature à conduire à l'annulation du procès-verbal, grief qui ne saurait résulter de sa seule mise en cause par cet acte.

20. Ainsi, le moyen doit être écarté.

21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2500 euros la somme que M. [S] [E] devra payer à l'association [2], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2500 euros la somme que M. [S] [E] devra payer à l'association pour [1], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-quatre.

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