14 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-20.257

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300824

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Bail à ferme - Sortie de ferme - Indemnité au bailleur - Dégradation du fonds - Travaux en cours de bail - Accord du bailleur (non)

Si des travaux ont été réalisés par le preneur en violation des dispositions de l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime et ont entraîné une dégradation du fonds, le bailleur ne peut réclamer, en cours d'exécution du bail, la condamnation du preneur à remettre en état les lieux. Il peut cependant demander, à l'expiration du bail, l'allocation d'une indemnité dans les conditions de l'article L. 411-72 du même code


BAIL RURAL - Bail à ferme - Résiliation - Causes - Manquements - Manquements antérieurs au renouvellement du bail - Effet et persistance sous l'empire du nouveau bail

Le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité d'en demander la résiliation, sur le fondement de l'article L. 411-31, I, 2°, du code rural et de la pêche maritime, lorsque les effets sur la bonne exploitation du fonds d'agissements du fermier, même antérieurs à ce renouvellement, se sont produits ou prolongés au cours du bail renouvelé

BAIL RURAL - Bail à ferme - Résiliation - Causes - Agissement du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds - Manquements antérieurs au renouvellement du bail - Effet et persistance sous l'empire du nouveau bail

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 décembre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 824 FS-B

Pourvoi n° Y 22-20.257




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2023

1°/ M. [D] [V], domicilié [Adresse 2],

2°/ Mme [U] [V], épouse [R], domiciliée [Adresse 5],

3°/ Mme [Z] [V], épouse [L], domiciliée [Adresse 3],

4°/ M. [M] [V], domicilié [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° Y 22-20.257 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2022 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale et baux ruraux), dans le litige les opposant à M. [A] [O], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [B] [V], Mme [U] [V] et de M. [M] [V], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [O], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 juin 2022), par acte du 2 décembre 2005, [F] [V], aux droits duquel viennent MM. [D] et [M] [V], Mmes [Z] et [U] [V] (les bailleurs), a donné à bail rural à M. [O] (le preneur) des parcelles.

2. Le 21 août 2020, invoquant notamment la suppression de haies implantées sur les parcelles, réalisée par le preneur sans leur accord, les bailleurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail et en remise en état des lieux.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le troisième moyen et le quatrième moyen, pris en sa troisième branche


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. Les bailleurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de remise en état des haies et des bornes, alors :

« 1°/ que tout créancier d'une obligation peut en poursuivre l'exécution en nature, et le preneur doit répondre des dégradations qui arrivent pendant sa jouissance ; qu'en l'espèce, les consorts [V] demandaient la condamnation de M. [O] à remettre en état des haies arasées sur la parcelle cadastrée [Cadastre 6] et à réimplanter des bornes sur la même parcelle ; qu'en rejetant ces demandes au seul motif que le bail conclu avec M. [O] est toujours en cours, quand cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le bailleur demande et obtienne la remise en état par le preneur d'un terrain qui, donné à bail, avait subi des dégradations, la cour d'appel a violé les articles 1221 et 1732 du code civil, ensemble l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que le droit du bailleur d'obtenir, en fin de bail, une indemnité égale au montant du préjudice subi s'il apparaît une dégradation du bien loué n'exclut pas qu'il puisse obtenir, en cours de bail, la remise en état des lieux loués lorsqu'il est constaté qu'ils ont été dégradés ; qu'en l'espèce, la cour a elle-même constaté que le bail entre les consorts [V] et M. [O] est toujours en cours ; qu'en rejetant la demande des consorts [V] tendant à obtenir la remise en état des haies arasées sans autorisation des bailleurs et la réimplantation des bornes sur la parcelle louée au seul motif qu'ils pourront prétendre, à l'expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice subi, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 411-72 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime, pendant la durée du bail et sous réserve de l'accord du bailleur, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d'améliorer les conditions de l'exploitation. Le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour s'opposer à la réalisation des travaux, à compter de la date de l'avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l'absence de réponse écrite du bailleur vaut accord.

6. Aux termes de l'article L. 411-72 de ce code, s'il apparaît une dégradation du bien loué, le bailleur a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice subi.

7. Il en résulte que, si des travaux ont été réalisés par le preneur en violation des dispositions de l'article L. 411-28 susmentionné et ont entraîné une dégradation du fonds, le bailleur ne peut réclamer, en cours d'exécution du bail, la condamnation du preneur à remettre en état les lieux. Il peut cependant demander, à l'expiration du bail, l'allocation d'une indemnité dans les conditions de l'article L. 411-72 précité.

8. Dès lors, après avoir constaté que le bail était toujours en cours, la cour d'appel a, à bon droit, retenu qu'il ne pouvait y avoir de condamnation relative à des remises en état.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Les bailleurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en résiliation du bail du fait de l'arrachage des haies, alors « que le renouvellement du bail par le seul effet de la loi, en l'absence de congé, ne prive pas le bailleur de la possibilité de demander sa résiliation pour des manquements du fermier antérieurs à ce renouvellement si les effets de ces manquements se sont poursuivis au cours du bail renouvelé ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande de résiliation du bail, qu'il n'est ni soutenu ni justifié que l'arrachage par le preneur, sans autorisation ni notification aux bailleurs, des haies implantées sur la parcelle louée, aurait entraîné des conséquences révélées au cours du nouveau bail, quand suffit que les effets de ces manquements se soient poursuivis au cours du bail renouvelé pour permettre au bailleur de demander la résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles L. 411-28 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-28, L. 411-31, I, 2°, et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime :

11. Selon le premier de ces textes, pendant la durée du bail et sous réserve de l'accord du bailleur, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d'améliorer les conditions de l'exploitation. Le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour s'opposer à la réalisation des travaux, à compter de la date de l'avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l'absence de réponse écrite du bailleur vaut accord.

12. Selon le deuxième, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.

13. Selon le dernier, à défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans et, sauf conventions contraires, aux clauses et conditions du bail précédent.

14. Il s'en déduit que le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité d'en demander la résiliation, sur le fondement de l'article L. 411-31, I, 2°, précité, lorsque les effets sur la bonne exploitation du fonds d'agissements du fermier, même antérieurs à ce renouvellement, se sont produits ou prolongés au cours du bail renouvelé.

15. Pour rejeter la demande en résiliation du bail, l'arrêt constate, d'abord, que le bailleur reprochait dès 2010 au preneur l'arrachage des haies et retient, ensuite, que le bailleur ne peut se prévaloir de ce motif, antérieur au renouvellement du 15 décembre 2014, pour demander la résiliation du bail renouvelé. Il ajoute, enfin, qu'il n'est aucunement soutenu, ni de surcroît justifié, que les faits reprochés, à savoir l'arrachage des haies, auraient eu des conséquences révélées au cours du nouveau bail.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en résiliation du bail du fait de l'arrachage des haies, l'arrêt rendu le 16 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne M. [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [O] à payer à MM. [D] et [M] [V], Mmes [Z] et [U] [V] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-trois.

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