13 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-25.557

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100667

Titres et sommaires

MAJEUR PROTEGE - Dispositions générales - Actes - Nullité - Action en nullité - Action intentée par un héritier - Prescription - Point de départ - Détermination - Portée

Il résulte des articles 489, 489-1 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, que l'action en nullité d'un acte à titre onéreux pour insanité d'esprit intentée par un héritier sur le fondement du deuxième de ces textes est celle qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement du premier et doit être soumise à la même prescription. Selon l'article 2252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription extinctive ne court pas contre les majeurs en tutelle. Viole les dispositions de ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes en annulation d'actes à titre onéreux formées, après le décès de leur auteur, par l'ayant de droit de celui-ci, retient que la prescription a commencé à courir dès le placement sous tutelle de l'auteur des actes, dès lors qu'à cette date, le demandeur était, en sa qualité de tuteur, en mesure d'agir, alors que la prescription n'avait pu courir à l'encontre du majeur en tutelle, de sorte que le demandeur, agissant en qualité d'héritier, ne pouvait se voir opposer l'écoulement du délai de prescription à compter du jugement de tutelle jusqu'au décès

MAJEUR PROTEGE - Tutelle - Actes antérieurs - Nullité - Action en nullité - Action intentée par un héritier - Prescription - Suspension - Durée de la tutelle

PRESCRIPTION CIVILE - Suspension - Majeurs en tutelle - Action en nullité de l'article 489 ancien du code civil - Durée de la tutelle

Texte de la décision

CIV. 1

IJ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 décembre 2023




Cassation partielle


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 667 FS-B

Pourvoi n° B 18-25.557




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 DÉCEMBRE 2023

M. [T] [O], domicilié, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 18-25.557 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (4e chambre civile A), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [F] [E], domicilié [Adresse 4],

2°/ à Mme [G] [Y], épouse [J], domiciliée [Adresse 3],

3°/ à la société les Mimosas, société civile immobilière (SCI), dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

4°/ à Mme [L] [K], épouse [U], domiciliée AM Driesch [Localité 5] (Allemagne),

5°/ à la société Not@zur, société civile professionnelle (SCP), dont le siège est [Adresse 1], notaires associés, successeur de la société Giannini Caramagnol Combe Ghio Peron, société civile professionelle (SCP), prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, plusieurs moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [O], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Not@zur, de Me Laurent Goldman, avocat de Mme [K], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [E], Mme [Y] et de la société les Mimosas, et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Dard, Mme Beauvois, Mme Agostini, conseillers, M. Buat-Ménard, Mme Lion, Mme Daniel, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 septembre 2018), [A] [O] est décédé le 13 août 2008, en laissant pour lui succéder ses deux fils, issus de deux premières unions, M. [C] [O], qui a renoncé à la succession, et M. [T] [O].

2. Un jugement du 3 février 2004 avait placé [A] [O] sous tutelle et désigné M. [T] [O] en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire.

3. Par actes des 19 décembre 2012, 3 et 31 janvier et 12 juillet 2013, celui-ci a assigné M. [E], Mme [U], fille d'une précédente union de la troisième épouse séparée de biens de [A] [O], [R] [X], prédécédée, la société les Mimosas prise en la personne de son représentant légal (la société) et la société Combe, Carrier, Cottarelk, Jurion, Giannini, Caramagnol, devenue la société Not@zur (la société notariale) aux fins d'annulation de divers actes notariés conclus par son père, soit une vente immobilière du 22 novembre 2001 au profit de M. [E], un partage du 6 septembre 2002 de divers biens indivis avec [R] [X] et une vente immobilière du 18 octobre 2002 au profit de la société, ainsi que d'une donation consentie le 21 octobre 2002 par [R] [X] à Mme [U], portant sur des biens immobiliers servant au logement de la famille qui lui avaient été attribués lors du partage, et à laquelle [A] [O] était intervenu.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. [T] [O] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes en nullité des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002, 18 et 21 octobre 2002, alors « que le délai de prescription de l'action exercée par les héritiers d'un majeur sous tutelle, en nullité des actes passés par celui-ci avant son placement sous tutelle, ne court contre les héritiers de l'incapable que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant ; que la prescription ne court pas contre les majeurs en tutelle ; qu'en affirmant néanmoins que le délai de prescription des actions en nullité exercées par M. [T] [O], en sa qualité d'héritier de M. [A] [O], avait commencé à courir lorsque la mesure de tutelle avait été ouverte par le jugement du 3 février 2004, et que ces actions, engagées plus de cinq ans après la mise sous tutelle de M. [A] [O] étaient donc atteintes par la prescription, quand aucune prescription n'avait pu courir à compter du jugement décidant la mise sous tutelle de M. [A] [O], cette mesure s'étant au demeurant poursuivie jusqu'à son décès, la cour d'appel a violé les articles 489 et 489-1 du code civil, ensemble les articles 1304 et 2252 du même code, dans leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 489, 489-1 et 1304, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, et l'article 2252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

5. L'action en nullité d'un acte à titre onéreux pour insanité d'esprit intentée par un héritier sur le fondement du deuxième de ces textes est celle qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement du premier et doit être soumise à la même prescription.

6. Selon le dernier de ces textes, la prescription extinctive ne court pas contre les majeurs en tutelle.

7. Pour déclarer irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre et 18 octobre 2002, l'arrêt retient que la prescription a commencé à courir avant le décès de [A] [O], lorsque la mesure de tutelle a été ouverte par jugement du 3 février 2004, dès lors qu'à compter de cette date, M. [T] [O], qui n'ignorait ni l'état de démence sénile dont son père était atteint, ni les actes faits par celui-ci, pouvait, en sa qualité d'administrateur légal du majeur protégé, agir en annulation des actes précités.

8. En statuant ainsi, alors que la prescription n'avait pu courir à l'encontre de [A] [O], majeur en tutelle, de sorte que M. [T] [O], qui agissait en annulation des actes litigieux en sa qualité d'ayant droit de [A] [O], ne pouvait se voir opposer l'écoulement du délai de prescription à compter du jugement de tutelle jusqu'au décès, peu important l'action qu'il aurait pu exercer durant la mesure de protection en sa qualité de représentant légal, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. M. [T] [O] fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout jugement doit être motivé ; que M. [T] [O] sollicitait notamment la nullité des actes litigieux sur le fondement de l'article 503 du code civil, aux termes duquel les actes antérieurs au jugement d'ouverture de la tutelle à l'égard de leur auteur peuvent être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où ils ont été faits ; qu'en déclarant irrecevables les actions en nullité formées par M. [T] [O], sans répondre à ses conclusions fondées sur ces dispositions spécifiques, applicables aux faits de la cause, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre et 18 octobre 2002, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions des articles 489, 489-1 et 1109 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause, retient que l'action engagée par M. [T] [O], fondée tant sur l'insanité d'esprit de [A] [O] que sur le dol dont celui-ci aurait été victime, est prescrite.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [T] [O] qui fondait sa demande, non seulement sur les dispositions des articles 489, 489-1 et 1109 anciens du code civil, mais également sur celles de l'article 503 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. M. [T] [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts contre la société notariale, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, dans ses conclusions, M. [T] [O] exposait que les notaires ne pouvaient que se convaincre de l'état de vulnérabilité et de l'insanité d'esprit de M. [A] [O], au moment de la signature des actes litigieux en 2001 et 2002, en se fondant sur de nombreux éléments du dossier médical de M. [A] [O], ainsi que sur des comptes-rendus d'audition de l'enquête pénale et des attestations et sur le jugement rendu le 20 octobre 2011 par le tribunal correctionnel de Draguignan ; qu'en se bornant, pour débouter M. [T] [O] de sa demande contre les notaires, à analyser le seul rapport du docteur [P], expert désigné dans le cadre de l'instruction pénale, qui avait, au demeurant, conclu que [A] [O] présentait, dès décembre 2001, une détérioration de ses capacités physiques et intellectuelles, pour affirmer qu'il ne pouvait être reproché au notaire de n'avoir pas, lors de l'établissement de l'acte de partage du 6 septembre 2002, décelé la faiblesse psychique dont il se trouvait atteint, sans examiner, même succinctement, tous les autres éléments de preuve concordants susvisés, invoqués par M. [T] [O], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Il résulte de ce texte que le juge doit procéder à l'examen, même sommaire, des pièces produites par les parties.

15. Pour rejeter la demande en paiement de dommages et intérêts formée par M. [T] [O] contre la société notariale, l'arrêt retient que si le médecin expert désigné pendant l'information judiciaire a conclu que [A] [O] présentait, dès le mois de décembre 2001, une détérioration de ses capacités physiques et intellectuelles, il ne peut être reproché au notaire de ne pas avoir décelé la faiblesse psychique dont celui-ci se trouvait atteint, lors de l'établissement de l'acte de partage du 6 septembre 2002.

16. En statuant ainsi, par simple affirmation, sans examiner, même sommairement, les autres pièces médicales, les pièces pénales et les attestations produites par M. [T] [O], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002 et 18 octobre 2002 entraîne la cassation du chef de dispositif déclarant irrecevable la demande en nullité de l'acte du 21 octobre 2002 qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société notariale, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes en nullité des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002, 18 octobre 2002 et 21 octobre 2002, en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages et intérêts formée par M. [T] [O] contre la société Giannini, Caramagnol, Combe, Ghio et Peron, devenue la société Not@zur et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Not@zur ;

Condamne in solidum Mme [U], la société Les Mimosas, Mme [J], M. [E] et la société Not@zur aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par Mme [U], la société Les Mimosas, Mme [J], M. [E] et la société Not@zur et les condamne in solidum à payer à M. [T] [O] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille vingt-trois.

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