12 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-84.854

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01495

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, HYGIENE ET SECURITE

1.) La cour d'appel qui a constaté que le salarié d'une société de transport concourait habituellement, dans l'enceinte d'une autre société, au chargement, dans son camion, des marchandises qu'il était chargé par son employeur de transporter vers un lieu extérieur à cette enceinte, a caractérisé l'existence de circonstances rendant obligatoire l'établissement, entre ces deux sociétés, du protocole de sécurité prévu par les dispositions des articles R. 4515-1 et suivants du code du travail. 2.) Selon l'article 464 du code de procédure pénale, lorsqu'il statue sur l'action civile, le juge répressif a la faculté, s'il ne peut se prononcer en l'état sur la demande en dommages-intérêts, d'accorder à la partie civile une provision, exécutoire nonobstant opposition ou appel. Il s'en déduit qu'il ne peut accorder une provision que dans le cas où, saisi d'une demande de dommages-intérêts sur lesquels il ne peut se prononcer en l'état, il a déclaré le prévenu civilement responsable d'un préjudice dont il a reconnu le principe

Texte de la décision

N° N 22-84.854 F-B

N° 01495


MAS2
12 DÉCEMBRE 2023


CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 DÉCEMBRE 2023



La société [1] a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 1er juin 2022, qui, pour infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'a condamnée à 4 000 euros d'amende dont 2 000 euros avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de la société [1], les observations de SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [E] [M], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Lors d'une opération de chargement de sacs dans l'enceinte de la société [1], l'un d'eux a heurté M. [E] [M], chauffeur de poids lourd employé par la société de transports [2], entraînant sa chute au sol et la fracture de ses deux poignets.

3. Les sociétés [1] et [2] ont été condamnées par le tribunal correctionnel pour réalisation d'opération de chargement sans respect des règles relatives au protocole de sécurité et la constitution de partie civile de M. [M] a été déclarée recevable.

4. Les sociétés [1] et [2], M. [M] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 7 juin 2022


5. La demanderesse ayant épuisé, par l'exercice qu'elle en avait fait le 3 juin 2022, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision.

6. Seul est recevable le pourvoi formé le 3 juin 2022.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches

7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable des faits de réalisation d'une opération de chargement ou de déchargement en l'absence de protocole de sécurité, alors :

« 1°/ que l'obligation d'établir un protocole de sécurité s'applique aux opérations de chargement ou de déchargement réalisées par des entreprises extérieures transportant des marchandises, en provenance ou à destination d'un lieu extérieur à l'enceinte de l'entreprise utilisatrice, dite « entreprise d'accueil » ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer la société [1] coupable d'avoir réalisé une opération de chargement ou de déchargement en l'absence de protocole de sécurité, que la société [2] lui avait commandé le chargement de sa benne pour le compte d'une société tierce, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, comme n'étant pas de nature à établir que la société [2] avait, en qualité d'entreprise extérieure, réalisé le chargement des marchandises au sein de la société [1], a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4741-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016, L. 4511-1, R. 4511-1 et R. 4515-1, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017, du code du travail ;

2°/ que l'obligation d'établir un protocole de sécurité s'applique aux opérations de chargement ou de déchargement réalisées par des entreprises extérieures transportant des marchandises, en provenance ou à destination d'un lieu extérieur à l'enceinte de l'entreprise utilisatrice, dite « entreprise d'accueil » ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer la société [1] coupable d'avoir réalisé une opération de chargement ou de déchargement en l'absence de protocole de sécurité, que Monsieur [D] [W] avait reconnu qu'au cours des opérations de chargement, une personne pouvant être le chauffeur du camion de l'entreprise de transport ou un salarié de l'entreprise devait nécessairement descendre dans la benne pour ouvrir les big-bags contenant les pommes de terre, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, comme n'étant pas de nature à établir que la Société [2] avait, en qualité d'entreprise extérieure, réalisé le chargement des marchandises au sein de la société [1], a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4741-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016, L. 4511-1, R. 4511-1 et R. 4515-1, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017, du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Pour déclarer la société [1] coupable des faits de réalisation d'une opération de chargement ou de déchargement en l'absence de protocole de sécurité, l'arrêt attaqué énonce que l'accident s'est produit lors du chargement de pommes de terre dans le véhicule de transport de la société [2] par un salarié de la société [1], dans l'enceinte de cette dernière, avec l'aide de M. [M].

10. Les juges ajoutent que le responsable de la société [1] a reconnu qu'au cours de ces opérations, une personne pouvant être le chauffeur du camion de la société [2] ou un salarié de son entreprise devait nécessairement descendre dans la benne pour ouvrir les ficelles du sac contenant les pommes de terre au moment des manœuvres et qu'en l'espèce, la partie civile était là pour le guider et lui indiquer où il fallait mettre la marchandise dans la remorque, qu'il pensait ne pas l'avoir touchée, mais qu'elle était à même de le dire.

11. Ils retiennent qu'il ne peut pas être soutenu que la société [1] assurait seule le chargement de la marchandise et que M. [M] n'avait aucune vocation à participer aux opérations de chargement, alors même que le représentant de la société en charge de celles-ci affirme le contraire, corroborant ainsi les déclarations du salarié blessé, lequel a indiqué que ce fait était une habitude de fonctionnement.

12. Ils en déduisent que les sociétés [1] et [2] étaient soumises aux dispositions des articles R. 4515-1 et suivants du code du travail et qu'aucune des deux sociétés ne rapportant la preuve de l'existence d'un protocole de sécurité, conformément aux constatations faites par l'inspection du travail aux termes de son rapport, leur responsabilité pénale doit être retenue.

13. En l'état de ces seules énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

14. En effet, dès lors qu'elle a constaté que le salarié de la société de transport concourait habituellement au chargement, dans son camion, des marchandises de la société [1], qu'il était chargé par son employeur de transporter vers un autre site, la cour d'appel a caractérisé l'existence de circonstances rendant obligatoire l'établissement du protocole de sécurité prévu par les dispositions des articles R. 4515-1 et suivants du code du travail.

15. Ainsi, le moyen, qui en sa première branche critique des motifs surabondants, doit être écarté.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, sur l'action civile, jugé recevable la constitution de partie civile de M. [M], puis a condamné la société [1] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de provision, alors :

« 2°/ que seul celui qui a été déclaré responsable du dommage subi par la victime peut être condamné au paiement d'une provision ; qu'en condamnant néanmoins la Société [1] à payer à Monsieur [M] la somme de 20 000 euros à titre de provision, sans avoir préalablement jugé, dans le dispositif de sa décision, qu'elle était responsable du dommage subi par Monsieur [M], la Cour d'appel a violé les articles 2, 3 et 464 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 464 du code de procédure pénale :

17. Selon ce texte, lorsqu'il statue sur l'action civile, le juge pénal a la faculté, s'il ne peut se prononcer en l'état sur la demande en dommages-intérêts, d'accorder à la partie civile une provision, exécutoire nonobstant opposition ou appel.

18. Il s'en déduit qu'il ne peut accorder une provision que dans le cas où, saisi d'une demande de dommages-intérêts sur lesquels il ne peut se prononcer en l'état, il a déclaré le prévenu civilement responsable d'un préjudice dont il a reconnu le principe.

19. Pour condamner la société [1] à verser une provision, l'arrêt attaqué, après avoir confirmé le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [M] et ordonné le renvoi de l'affaire à une audience statuant sur intérêts civils, énonce que l'ancienneté de l'affaire le justifie.

20. En statuant ainsi, alors que les premiers juges ne s'étaient pas prononcés sur la responsabilité civile de la société [1], mais s'étaient bornés à renvoyer l'affaire sur intérêts civils, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé le 7 juin 2022 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé le 3 juin 2022 :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Amiens, en date du 1er juin 2022, mais en ses seules dispositions ayant condamné la société [1] à verser à M. [M] la somme de 20 000 euros à titre provisionnel, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille vingt-trois.

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