24 novembre 2023
Cour d'appel de Colmar
RG n° 22/00521

Chambre 4 A

Texte de la décision

KD/KG



MINUTE N° 23/888



















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 24 NOVEMBRE 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/00521

N° Portalis DBVW-V-B7G-HYMP



Décision déférée à la Cour : 17 Janvier 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANTE :



Madame [I] [P]

[Adresse 1]



Représentée par Me Sandrine FRANCOIS, avocat au barreau de STRASBOURG

bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/000274 du 22/02/2022



INTIMEE :



Association CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 4] EUROPE

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 778 846 949

[Adresse 2]



Représentée par Me Sébastien BENDER, avocat au barreau de STRASBOURG



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.



Greffier, lors des débats : Mme ARMSPACH-SENGLE



ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


FAITS ET PROCÉDURE



Madame [I] [P], née le 20 juillet 1995, de nationalité marocaine, a été engagée, le 1er octobre 2019, par la Caisse du CRÉDIT MUTUEL [Localité 4] EUROPE (ci-après dénommée CCM), dans le cadre d'un contrat d'apprentissage, en vue de préparer un Master 2 " conseiller clientèle de professionnels " au CFA des métiers de la banque et de la finance d'Alsace.



Le contrat d'apprentissage a été conclu pour la période du 1er octobre 2019 au 31 août 2020.



Le 24 décembre 2019, la CCM [Localité 4] EUROPE a mis fin au contrat d'apprentissage de Mme [P].



Contestant la rupture qu'elle estime discriminatoire, et sollicitant diverses indemnités et la production de documents de fin de contrat, Madame [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg, le 04 février 2020.



Par un jugement du 17 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Strasbourg a :

- dit et jugé que la rupture du contrat d'apprentissage n'est pas discriminatoire ;

- débouté Madame [P] de sa demande au titre de la nullité de la rupture du contrat d'apprentissage ;

- débouté Mme [P] de l'intégralité de ses fins et prétentions à ce titre ;

- débouté Mme [P] de sa demande au titre de la délivrance des documents de fin de contrat ;

- dit et jugé que chaque partie conservera la charge de l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné Madame [P] aux entiers frais et dépens de la procédure.



Madame [P] a interjeté appel de la décision le 02 février 2022.



Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 1er juin 2023, Madame [P] demande à la cour d'infirmer le jugement contesté et, en conséquence, de :

- dire et juger que la rupture du contrat d'apprentissage est discriminatoire, et nulle ;

- condamner la CCM [Localité 4] EUROPE à lui régler les montants de :

* 11.689,36 € au titre du rappel des salaires bruts dus entre le 1er janvier 2020 et le 31 août 2020 ;

* 1.168,94 € au titre des congés payés sur le rappel de salaire ;

* 659,89 € au titre de l'arrêté de compte ;

* 3.000 € au titre du préjudice subi ;

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonner à la CCM [Localité 4] EUROPE la délivrance des documents suivants, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir :

- le certificat de travail

- l'arrêté de compte

- condamner la CCM [Localité 4] EUROPE aux entiers frais et dépens ;

- " ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ".













Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 31 mai 2022, la CCM [Localité 4] EUROPE demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 17 janvier 2022 ;

- condamner Madame [P] au paiement de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et frais.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juillet 2023.



Il est, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.




MOTIFS





1. Sur la rupture en période d'essai



À la suite de la rupture, Mme [P] a début janvier 2020 adressé un courrier (non daté) à la CCM par lequel elle indiquait que la rupture de son contrat était intervenue hors délai.



Aux termes de l'article L.6222-18 du code du travail, " le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties jusqu'à l'échéance des quarante cinq premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l'apprenti".



En l'espèce le contrat d'apprentissage a été conclu pour la période du 1er octobre 2019 au 31 août 2020, et a été rompu par l'employeur le 24 décembre 2019.



L'objectif de la période d'essai étant de permettre à l'employeur de prendre la mesure réelle de l'aptitude de l'apprenti à occuper le poste pour lequel il a été embauché, et à l'apprenti de s'assurer de son choix et de son orientation professionnelle ; ne sont pris en compte, pour la computation du délai de 45 jours, que les jours de formation pratique au sein de l'entreprise, et sont exclus notamment les jours de formation théorique au CFA, ainsi que les jours de repos.



Par conséquent le contrat a, en l'espèce, bien été rompu durant la période d'essai de 45 jours.



Le contrat d'apprentissage peut, durant cette période, être librement rompu sans besoin de motivation, sans cependant que cette rupture ne dégénère en abus.





2. Sur la rupture discriminatoire



Madame [P] soutient que la rupture du contrat d'apprentissage est discriminatoire, en ce qu'elle a été motivée par son état de santé, et sa nationalité.



















L'article L.1132-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article premier de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en raison de son état de santé, son origine, de son appartenance, ou non appartenance, vraie, ou supposée, à une ethnie, une nation, ou une prétendue race.



Par ailleurs, selon l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige au sujet d'une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, et au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



Il y donc lieu d'examiner la matérialité des éléments invoqués par la salariée, d'apprécier ensuite si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe, ou indirecte et, dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



En l'espèce Madame [P] déclare que son supérieur hiérarchique aurait remis en doute la réalité de son arrêt travail, qu'il aurait affirmé qu'il était exceptionnel d'engager des étudiants d'origine étrangère sur ce poste, qu'il avait un doute sur son niveau de formation, qu'elle devait se réorienter vers un métier de vendeuse, ou employée de ménage, et qu'elle n'avait pas le niveau pour étudier en France etc. Elle poursuit qu'elle n'a pas été conviée aux entretiens avant les clients, et devait faire la vaisselle, préparer des cafés, ou réaliser des photocopies, sans jamais avoir été formée sur son futur métier. Afin de prouver son professionnalisme, l'appelante produit des attestations et des lettres de recommandation rédigées par d'anciens professeurs, ou formateurs et soutient que la CCM [Localité 4] EUROPE ne se fonde, à cet égard, que sur des échanges de mails exprimant des ressentis, subjectifs, sans appréciation objective de son travail, et portant sur des sujets futiles.



Force est cependant de constater, qu'il ne s'agit que de simples affirmations qui ne sont étayées par aucune pièce, et que l'ensemble de ces affirmations est vivement contesté par l'employeur qui met en avant sa lutte active contre toutes formes de discrimination, notamment via la formation des managers, et de l'ensemble des collaborateurs. Il déclare que les propos prêtés au directeur n'ont jamais eu lieu, et qu'ils ne relèvent que de l'imagination de l'appelante.



À l'inverse la CCM établit que des éléments objectifs ont conduit à la décision de rupture du contrat d'apprentissage. En effet sont versées aux débats des écrits émanant de la directrice du centre de formation qui déplore l'attitude de l'apprentie :

-Le 24 octobre 2019 elle relève son comportement non professionnel et réclame une attitude irréprochable alliant implication, respect, politesse, ponctualité, et tenue professionnelle, (pièce 6)





















-Le 28 novembre 2019 elle indiquait avoir été alertée par les intervenants et par les apprenants de l'attitude de l'apprentie déplorant sa non intégration au groupe de 21 apprentis, son attitude dérangeante et très pesante, voire menaçante pour certains. Elle ajoute avoir eu un entretien avec l'intéressée qui ne se remet absolument pas en question. Les retours très circonstanciés de 4 intervenants sont joints au message. Ils dénoncent des soucis de concentration, d'écoute, des prises de parole indépendantes ou dissociées du groupe, de réponses incomplètes, ou hors propos, une attitude générale en décalage, des perturbations par ses demandes, son absence d'équipement soit durant deux jours un ordinateur sans batterie, l'absence de papier, voire l'absence de stylo, la consultation de son téléphone portable pendant les cours, sa faible motivation lors des exercices préparatoires sans aucune prise de notes etc., (pièce 7)



Elle produit également :

-Un courriel de Monsieur [N] directeur du crédit mutuel [Localité 4] Europe du 03 décembre 2019 énonçant les principaux griefs, ou remarques concernant l'appelante à savoir : un manque d'entrain et d'intérêt pour l'activité, l'absence de prise de notes sur les explications du tuteur, ou de l'équipe pro, l'incapacité à faire une analyse financière simple, l'incapacité de rendre un document rédigé. Il écrit encore " lorsque les collègues lui expliquent un dossier, une transaction, elle affirme comprendre, mais va consulter l'une ou l'autre personne pour se faire réexpliquer, elle préfère même que les personnes qui lui expliquent fassent le boulot à sa place. (') Elle ne donne pas le sentiment de vouloir apprendre grand-chose, et nous donne l'impression de ne pas être motivée, elle est passive et semble dans un autre monde (') Nous nous posons de sérieuses questions sur son niveau de Master ('). Il n'y a absolument aucune comparaison possible entre les deux jeunes stagiaires que nous avions au premier semestre 2019 (') j'ai vu beaucoup de choses mais un stagiaire aussi transparent et incompétent c'est la première fois " (pièce 8).

-Une note du 07 novembre 2019 de Madame [E] sa tutrice qui liste les très nombreux manquements tels : aucune base en analyse financière, manque de connaissance et de compréhension, difficultés importantes dans la rédaction et la synthèse, très lente, aucune motivation pour comprendre et améliorer, ne prend aucune note ce qui l'oblige à toujours demander de l'aide, conteste régulièrement les erreurs qu'elle a faites, ne fait aucun effort pour apprendre ni travailler, affiche un certain aplomb persistant à affirmer qu'elle a raison, alors que ce n'est pas le cas, en résumé pas à sa place comme stagiaire dans ce domaine. (pièce 9).



Il convient de relever que l'ensemble de ces écrits sont particulièrement circonstanciés, qu'ils émanent de personnes différentes appartenant tant à la CCM, qu'au centre de formation, et qu'enfin quoique provenant de sources différentes, leurs auteurs relèvent souvent les mêmes manquements.



Les lettres de recommandation d'enseignants de l'université de [Localité 3] en avril 2018, les recommandations de l'université de [Localité 5] en mars, et avril 2019, (antérieures à l'apprentissage), ou encore des attestations de septembre, et octobre 2021 (postérieures à l'apprentissage), qui émanent toutes d'organismes autres que la CCM, et le Centre de Formation d'Alsace, et ce pour des périodes autres que le dernier trimestre 2019, ne sont pas de nature à contredire la pertinence des reproches formulés à l'encontre de l'apprentie d'octobre à décembre 2019 dans le cadre de son contrat d'apprentissage.











Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que si l'appelante n'établit pas l'existence de faits qui pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination, en revanche l'employeur établit que sa décision de rompre le contrat d'apprentissage est justifiée par des éléments objectifs, et au demeurant étrangers à toute discrimination.



Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de la rupture du contrat d'apprentissage pour discrimination, et a rejeté les demandes financières qui en découlent.





3. Sur la remise des documents de fin de contrat



L'appelante, sollicite la délivrance du certificat de travail et de l'arrêté de compte sous astreinte de 50 € par jour de retard en écrivant qu'elle " aurait reçu l'attestation destinée à pôle emploi et les bulletins de paye, mais n'a jamais reçu le courrier recommandé incluant le certificat de travail et l'arrêté de compte ".



Si la cour ne peut que s'étonner de l'utilisation du conditionnel quant à la réception des documents, elle rappelle que les documents de fin de contrat sont quérables, et non pas portables.



C'est par ailleurs à fort juste titre que la société intimée souligne la mauvaise foi de Madame [P]. En effet l'employeur justifie avoir envoyé les documents de fin de contrat par courrier recommandé du 30 janvier 2020, courrier non réclamé par l'appelante.



L'appelante écrivait par mail du 04 février 2020 à 16 heures 21 avoir reçu l'attestation pôle emploi, mais non le certificat de travail et le dernier bulletin de paye de décembre. L'employeur lui répondait immédiatement que ces trois documents lui ont été envoyés par courriers simple, et recommandé. Le 05 février 2020 il l'invitait à retirer la lettre recommandée au bureau de poste en joignant les référence. L'appelante écrivait le 11 février 2020 un courriel sous une forme peu usitée: " je vous informe que le certificat de travail et mon dernier bulletin de salaire de décembre et toujours pas été transmis. Alors,,''' ". L'employeur répondait le 13 février à ce message en rappelant les envois précédents, l'absence de retrait du courrier recommandé, et joignait le bulletin de paye au courriel.



Compte tenu de ces éléments c'est à fort juste titre que le conseil des prud'hommes a rejeté ce chef de demande. Le jugement ne peut-être que confirmé.





4. Sur les demandes annexes



Le jugement sera également confirmé s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.



À hauteur d'appel, l'appelante qui succombe en l'intégralité de ses prétentions est condamnée aux dépens de la procédure, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles ne peut-être que rejetée.













Nonobstant son admission à l'aide juridictionnelle, compte-tenu de la solution litige, et de la motivation de l'arrêt, l'équité commande de condamner l'appelante à payer à la CCM une somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,



CONFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Strasbourg le 17 janvier 2021 en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant,



CONDAMNE Madame [I] [P] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;



CONDAMNE Madame [I] [P] à payer à la Caisse du CRÉDIT MUTUEL [Localité 4] EUROPE la somme de 300 € (trois cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



DEBOUTE Madame [I] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023, signé par Madame Christine DORSCH, Président de Chambre et Madame Martine THOMAS Greffier.





Le Greffier, Le Président,

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