23 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.307

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C300767

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 767 F-D

Pourvoi n° B 22-22.307




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2023

La société Maretom, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 22-22.307 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Capa promotion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La société Capa promotion a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Maretom, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Capa promotion, après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 31 mars 2022) et les productions, la société Capa promotion, souhaitant faire l'acquisition de deux terrains contigus pour procéder à une opération de construction, a conclu, le 9 mars 2016, une promesse unilatérale de vente avec M. [M], devant être réitérée par acte authentique le 10 juin 2016 au plus tard, avec une possibilité de prorogation jusqu'au 1er février 2017 si la bénéficiaire justifiait du dépôt d'une demande de permis de construire le 10 juin 2016.

2. Par acte du 29 juillet 2016, la société Capa promotion a conclu avec la société Maretom une promesse synallagmatique de vente portant sur un autre terrain, sous condition suspensive d'obtention d'un permis de construire au plus tard le 30 avril 2017, cette vente devant être réitérée par acte authentique le 15 juin 2017 au plus tard.

3. Cette promesse synallagmatique de vente stipulait une « condition essentielle et déterminante » tenant à l'acquisition, par la bénéficiaire, du bien ayant donné lieu à la promesse du 9 mars 2016, ainsi qu'une clause pénale, applicable d'une part en cas de non réitération de la vente par acte authentique après réalisation de toutes les conditions, d'autre part à titre de sanction du comportement de l'une des parties qui n'aurait pas permis de remplir toutes les conditions de la vente.

4. Estimant que la non réalisation des conditions était imputable à la société Capa promotion (la bénéficiaire), la société Maretom (la promettante) l'a assignée aux fins de paiement du montant de la clause pénale et en dommages-intérêts pour perte de chance de conclure avec un tiers.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La promettante fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une somme de 70 000 euros en application de la clause pénale prévue par le compromis de vente du 29 juillet 2016, alors « que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; qu'en retenant, pour juger que le compromis de vente du 29 juillet 2016 conclu entre la SCI Maretom et la société Capa promotion était dépourvu d'effet, que la clause y figurant conditionnant la réalisation du contrat définitif à l'acquisition par la société Capa promotion d'un bien appartenant à M. [M] n'était assortie « d'aucune obligation à la charge de l'acquéreur en vue de sa réalisation », cependant que la société Capa promotion, acquéreur, avait nécessairement l'obligation générale d'agir de bonne foi, la cour d'appel a encore violé l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction, applicable en la cause, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La bénéficiaire conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, mélangé de droit et de fait.

7. Cependant, la promettante, a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'inexécution de la promesse n'était due qu'aux manquements de la société Capa promotion, que sa mauvaise foi était caractérisée du fait de l'absence de dépôt d'une demande de permis de construire avant le 30 octobre 2016, de l'absence de preuve du refus « oral » de la mairie et de son abandon du projet avant sa demande officielle du 14 novembre 2016, de sorte que le moyen était inclus dans le débat.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Selon ce texte, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

10. Pour rejeter la demande formée par la promettante au titre de cette clause, la cour d'appel, après avoir constaté que les parties avaient fait de la réitération de la promesse conclue avec un tiers une condition essentielle et déterminante de leur consentement, a relevé que l'absence de réalisation de ladite condition privait le compromis de vente du 29 juillet 2016 de tout effet, sans qu'il y ait lieu de rechercher si ce défaut était imputable à la bénéficiaire.

11. En statuant ainsi, alors que la clause pénale stipulée dans la promesse de vente, dont la force exécutoire, qui n'était pas atteinte par la caducité de la promesse de vente, avait pour but de sanctionner le comportement de l'une des parties qui aurait empêché la réalisation de ses conditions, la cour d'appel, qui devait rechercher, comme elle y était invitée, si la bénéficiaire avait agi de bonne foi, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. La promettante fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la perte de chance de vendre à un tiers, alors « que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; qu'engage sa responsabilité le bénéficiaire d'une promesse synallagmatique de vente par la faute duquel la promesse se trouve dépourvue d'effet ; qu'en retenant, pour débouter en l'espèce la SCI Maretom de sa demande tendant à voir la société Capa promotion condamnée à lui verser des dommages et intérêts au titre de la perte de chance de vendre le bien à un tiers, que la promesse synallagmatique de vente du 29 juillet 2016 était dépourvue d'effet tout en refusant de rechercher si le défaut de réalisation de la promesse était imputable à la société Capa promotion, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. La bénéficiaire conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, mélangé de droit et de fait.

14. Cependant, la promettante a, dans ses conclusions d'appel, demandé réparation du préjudice de perte de chance de conclure le contrat de vente avec un tiers durant l'immobilisation du bien, laquelle aurait dû permettre à la bénéficiaire de réaliser les conditions de la vente, de sorte que le moyen était inclus dans le débat.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

16. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

17. Selon le second, le débiteur est condamné au paiement de dommages-intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

18. En matière de promesse de vente, sauf stipulation contraire, l'expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit, pour chacune des parties, soit d'agir en exécution forcée de la vente, soit d'en demander la résolution et l'indemnisation de son préjudice.

19. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la promettante au titre d'une perte de chance de vendre son bien pendant la période d'exécution de la promesse de vente, la cour d'appel a retenu que cette promesse étant dépourvue d'effet, il ne pouvait être reproché à la bénéficiaire d'avoir, par sa faute, entraîné l'immobilisation du bien.

20. En statuant ainsi, après avoir constaté que la bénéficiaire ne justifiait d'aucun avenant à la promesse du 9 mars 2016 tendant à proroger les dates de dépôt et d'obtention de permis de construire, et n'avait déposé aucune demande en vue d'obtenir une telle autorisation, conformément à la condition suspensive stipulée dans la promesse de vente du 29 juillet 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le pourvoi incident

Enoncé du moyen

21. La bénéficiaire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors :

« 1°/ que dans ses dernières conclusions, pour soutenir que « la procédure initiée par la SCI Maretom [était] un montage délibéré », la société Capa promotion invoquait l'absence de réponse à « un mail [par lequel elle] lui précisait la position négative de la Mairie sur le projet de construction », lui soumettait une contreproposition afin d'adapter leurs engagements contractuels à cette position et lui demandait « [s'ils devaient] arrêter là [leurs] discussions, [de vouloir] bien [le] le faire savoir de façon à ce [qu'ils en rendent] compte aux notaires signataires de la promesse de Juillet 2017 » ; qu'en s'abstenant de toute réponse à ce moyen péremptoire, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que l'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'ester en justice ; que pour rejeter la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient que « l'action en justice a été diligentée par la SCI Maretom sur le fondement du compromis de vente passé avec la SAS Capa promotion et le caractère erroné des droits dont elle a sollicité la mise en oeuvre ne confère pas pour autant un caractère abusif à son action en justice » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la mauvaise foi de la société Maretom n'était pas caractérisée par son absence de réponse à la contreproposition de la société Capa promotion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

22. La cour d'appel ayant relevé que l'action en justice de la promettante avait été engagée sur le fondement du compromis de vente conclu avec la bénéficiaire, dont la légitimité avait été reconnue par les juges de première instance, a pu, sans avoir à suivre la bénéficiaire dans le détail de son argumentation relative au silence gardé par la promettante suite à sa contre-proposition, que ses constatations rendaient inopérante, en déduire que le caractère erroné des droits dont elle a sollicité la mise en oeuvre ne lui conférait pas un caractère abusif.

23. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Maretom en paiement d'une somme de 70 000 euros au titre de la clause pénale et en paiement de dommages-intérêts au titre d'une perte de chance, l'arrêt rendu le 31 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;

Condamne la société Capa promotion aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Capa promotion et la condamne à payer à société civile immobilière Maretom la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-trois.

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