23 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-18.514

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C300760

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2023




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 760 F-D

Pourvoi n° D 22-18.514




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2023

1°/ Le fonds de dotation Passerelles, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ M. [R] [U], domicilié [Adresse 5],

ont formé le pourvoi n° D 22-18.514 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [K] [L], domiciliée [Adresse 7], prise en sa qualité de liquidateur du fonds de dotation Passerelles,

2°/ à M. [B] [G], domicilié [Adresse 4],

3°/ à la Préfecture de la région d'Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 8],

4°/ à la société Avicenne, société civile immobilière, dont le siège est chez Mosquée de [9], [Adresse 6],

5°/ au fonds de dotation Diversité éducation et culture, dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à l'association de la réforme sociale Hautepierre, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du fonds de dotation Passerelles et de M. [U], après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2022), sur assignation de la préfecture de la région Ile-de-France délivrée au visa de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, un tribunal judiciaire a prononcé, avec exécution provisoire, la dissolution du fonds de dotation Passerelles (le fonds de dotation) et a désigné un liquidateur aux fins de procéder aux opérations de liquidation.

2. La dissolution a été déclarée en préfecture le 16 février 2021 et publiée au Journal officiel de la République française le 23 février suivant.

3. Le 26 janvier 2021, le fonds de dotation, représenté par son président, M. [U], a fait appel de cette décision.

4. Une ordonnance d'un conseiller de la mise en état a déclaré nulle la déclaration d'appel du fonds de dotation, représenté par M. [U], au motif que celui-ci était dépourvu de ce pouvoir.

5. Un arrêt, statuant sur déféré, a dit nulle, pour défaut de pouvoir, la requête en déféré.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses quatrième à septième branches


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le deuxième moyen, pris en ses première à troisième branches

Enoncé du moyen

7. Le fonds de dotation et M. [U] font grief à l'arrêt de dire le déféré nul pour défaut de pouvoir, alors :

« 1°/ que le droit d'accès à un tribunal commande d'admettre que les dirigeants d'un fonds de dotation conservent leur fonction malgré la décision judiciaire de dissolution du fonds afin de leur permettre d'interjeter appel, au nom du fonds, du jugement prononçant la dissolution ; qu'en retenant à l'inverse que le jugement du 14 janvier 2021 ayant prononcé la dissolution du fonds de dotation et désigné Mme [L] en qualité de liquidateur du fonds de dotation Passerelles « ne laisse pas subsister au profit du dirigeant du fonds de dotation le pouvoir de le représenter en justice », la cour d'appel a violé l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantit le droit de libre association est applicable aux fonds de dotation ; qu'en effet, au sens de la Convention, la notion d'association est autonome et vise un regroupement volontaire de personnes privées poursuivant un but commun ; que le principe de liberté d'association, qui implique le droit des associations d'élaborer leurs propres règles et d'administrer elles-mêmes leurs affaires, commande d'admettre que les dirigeants d'un fonds de dotation conservent leur fonction malgré la décision judiciaire de dissolution du fonds afin de leur permettre d'interjeter appel, au nom du fonds, du jugement prononçant la dissolution ; qu'en retenant à l'inverse que le jugement du 14 janvier 2021 ayant prononcé la dissolution du fonds de dotation et désigné Mme [L] en qualité de liquidateur du fonds de dotation Passerelles « ne laisse pas subsister au profit du dirigeant du fonds de dotation le pouvoir de le représenter en justice » , la cour d'appel a violé l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ensemble l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le principe de non-discrimination interdit que, dans l'exercice des droits protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des personnes placées dans une situation objectivement analogue soient traitées différemment ; qu'en principe les personnes morales de droit privé disposent du droit d'interjeter appel, en étant représentées par leur dirigeant, de la décision qui prononce leur dissolution ; qu'ainsi, notamment, une association, représentée par son dirigeant, est régulièrement en droit d'interjeter appel de la décision civile ou pénale qui prononce sa dissolution à titre de sanction ; qu'un fonds de dotation désirant interjeter appel de la décision qui prononce sa dissolution pour dysfonctionnement grave est objectivement dans une situation analogue celle d'une association interjetant appel d'une décision judiciaire prononçant sa dissolution à titre de sanction ; qu'en conséquence, le principe de non-discrimination commande que le fonds de dotation et l'association soient traités identiquement, de sorte qu'il implique que les dirigeants d'un fonds de dotation conservent leur fonction malgré la décision judiciaire de dissolution du fonds afin de leur permettre d'interjeter appel, au nom du fonds, du jugement prononçant la dissolution ; qu'en retenant à l'inverse que le jugement du 14 janvier 2021 ayant prononcé la dissolution du fonds de dotation et désigné Mme [L] en qualité de liquidateur du fonds de dotation Passerelles « ne laisse pas subsister au profit du dirigeant du fonds de dotation le pouvoir de le représenter en justice », la cour d'appel a violé l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ensemble les articles 6, 11 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, selon l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 le fonds de dotation est une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d'une œuvre ou d'une mission d'intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses œuvres et de ses missions d'intérêt général.

9. Personne morale sui generis, le fonds de dotation est soumis au contrôle de l'autorité administrative qui, devant s'assurer, notamment, que son objet ne méconnaît pas les finalités d'intérêt général qui en justifient la formation et que toutes les activités du fonds relèvent de celles-ci, peut, après une mise en demeure non suivie d'effet, suspendre, par décision motivée, l'activité du fonds pendant une durée limitée et, le cas échéant, saisir l'autorité judiciaire aux fins de sa dissolution. Les décisions de suspension, de levée de suspension et de dissolution font l'objet d'une publication au Journal officiel dans un délai d'un mois.

10. Ces dispositions, propres aux fonds de dotation et que justifient tant l'objectif d'intérêt général qui leur est assigné que le régime fiscal spécifique des libéralités dont ils bénéficient, les distinguent des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.

11. En deuxième lieu, aucun texte de portée générale ne confère au dirigeant d'une personne morale dissoute ou dont la dissolution a été judiciairement prononcée, avec exécution provisoire, le pouvoir de représenter celle-ci en justice.

12. En troisième lieu, il résulte d'une jurisprudence constante qu'une personne morale, dépourvue de dirigeants en exercice pour quelque cause que ce soit, peut exercer le droit d'ester en justice au titre de son droit propre à contester les décisions lui faisant grief par l'intermédiaire d'un mandataire ad hoc, désigné à la requête de tout intéressé y compris de son ancien dirigeant (Com. 16 mars 1999, pourvoi n° 96- 19. 078, Bull. IV, n° 66 ; Com. 2 juin 2004, pourvoi n° 03-11.090, Bull. 2004 IV, n° 113).

13. Il est également jugé, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008- 561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, que l'exercice de l'appel à titre conservatoire par le dirigeant sans pouvoir d'une personne morale peut être régularisé, non seulement durant le délai d'appel mais aussi durant un délai d'égale durée courant à compter de la date à laquelle la juridiction saisie a annulé la déclaration d'appel (2e Civ., 16 octobre 2014, pourvoi n° 13-22.088, Bull. 2014, II, n° 215 ; 2e Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-14.300, Bull 2017, II, n° 116).

14. En outre, en application de l'article 534 du code de procédure civile, la personne physique qui représentait légalement une partie peut, en cas de cessation de ses fonctions et s'il y a un intérêt personnel, exercer le recours en son nom.

15. Il en résulte qu'un fonds de dotation dont la dissolution a été prononcée par une décision judiciaire, assortie de l'exécution provisoire, peut, nonobstant la désignation d'un liquidateur judiciaire aux fins de procéder aux opérations de liquidation, contester la décision de dissolution pendant les délais de recours de droit commun en sollicitant, dans les formes prévues pour la matière gracieuse, la désignation d'un mandataire ad hoc, susceptible de le représenter pour exercer son droit propre.

16. Cette faculté, assortie de la possibilité de régularisation du recours formé à titre conservatoire par le dirigeant en exercice à la date de la dissolution, admise par une jurisprudence établie, constante et diffusée, ne porte pas une atteinte excessive et disproportionnée au droit au recours juridictionnel effectif, ni au droit de libre association respectivement garantis par les articles 6 et 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. En retenant, d'une part, que le jugement ayant prononcé la dissolution du fonds et désigné un liquidateur judiciaire aux fins de procéder aux opérations de dissolution, assorti de l'exécution provisoire, ne laissait pas subsister au profit du dirigeant en exercice à cette date le pouvoir de représenter le fonds de dotation en justice, d'autre part, que celui-ci relevait d'un régime juridique différent de celui des associations, que justifient notamment les avantages, entre autres fiscaux, dont les fonds de dotation bénéficient et, enfin, que M. [U] bénéficiait, en sa qualité de membre du fonds de dotation, de la faculté de solliciter, dans les conditions du droit commun, la désignation d'un mandataire ad hoc aux fins que le fonds de dotation fût légalement représenté dans la procédure d'appel, la cour d'appel n'a méconnu ni les dispositions de l'article 140 de la loi précitée, ni les articles 6, 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

19. Le fonds de dotation et M. [U] font grief à l'arrêt de condamner M. [U] aux dépens, alors « que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; que le changement de qualité équivaut à un changement de partie ; qu'en l'espèce, M. [U] n'a jamais été entendu ou appelé dans la procédure à titre personnel ; qu'il n'a interjeté appel du jugement du 14 janvier 2021 qu'en sa qualité de président du fonds de dotation Passerelles, représentant le fonds ; que c'est au demeurant précisément pour cette raison que l'appel du fonds a été déclaré nul par ordonnance du conseiller de la mise en état ; que c'est encore en sa qualité de représentant du fonds qu'il a déféré l'ordonnance du 7 septembre 2021 et déposé une question prioritaire de constitutionnalité ; qu'en condamnant pourtant M. [U] en son nom personnel aux dépens, quand il n'avait jamais été présent en cette qualité personnelle dans la procédure, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé l'article 14 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 696 et 14 du code de procédure civile :

20. Selon le premier de ces textes, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

21. Aux termes du second, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

22. L'arrêt a condamné M. [U] aux dépens.

23. En statuant ainsi, alors que M. [U] ne figurait au procès qu'en sa qualité de représentant d'une personne morale, de sorte qu'il n'était pas partie à l'instance, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

24. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

25. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

26. Les dépens seront supportés par Mme [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire du fonds de dotation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [U] aux dépens, l'arrêt rendu le 6 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne Mme [L], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire du fonds de dotation Passerelles, aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [L], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire du fonds de dotation Passerelles, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-trois.

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