15 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-85.667

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01347

Texte de la décision

N° W 22-85.667 F-D

N° 01347


ECF
15 NOVEMBRE 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2023


M. [D] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 15 septembre 2022, qui, pour escroquerie, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 25 000 euros d'amende, trois ans d'inéligibilité et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [D] [P], les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [D] [P], médecin cardiologue, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie pour avoir facturé des consultations ou des actes techniques à des dates erronées, afin de contourner la minoration prévue pour le deuxième acte pratiqué le même jour, ou les avoir surcotés en actes urgents permettant une majoration, dont ils ne relevaient pas.

3. Les juges du premier degré ont déclaré M. [P] coupable et l'ont condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis, 25 000 euros d'amende avec exclusion de la peine d'inéligibilité. Sur l'action civile, ils ont reçu la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), ont déclaré M. [P] responsable du préjudice subi et l'ont condamné à lui payer la somme de 85 763,58 euros à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de procédure.

4. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches


5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable d'escroquerie au préjudice d'un organisme de protection sociale pour l'obtention d'une allocation ou prestation indue, et l'a condamné pénalement et civilement, alors :

« 1°/ que, la loi pénale étant d'interprétation stricte, le délit d'escroquerie exige que soit établi que le prévenu, a soit fabriqué un faux, soit utilisé des manoeuvres frauduleuses, soit abusé d'une qualité vraie, pour déterminer la partie civile à consentir à son préjudice, à des actes, ou à des remises fonds auxquels elle n'aurait pas consenti sans ces manoeuvres frauduleuses ; que le faux n'est pas constitué par une fausse déclaration du prévenu en sa faveur qui ne représente que ses affirmations sujettes à vérification et discussion, mais uniquement, aux termes de l'article 441-1 du code pénal, par une « altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice... qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait qui a des conséquences juridiques » ; que n'est constitutif ni d'un faux, ni d'une manoeuvre frauduleuse, le fait pour un médecin de transmettre à une CPAM des actes médicaux postdatés pour éluder la règle du non cumul prévue par la classification des actes médicaux ou d'avoir appliqué un code de majoration d'urgence à certains actes ; ces transmissions ne comportant aucune mention ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, l'organisme social disposant d'un pouvoir de vérification et de discussion de ces actes ; qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a méconnu les articles 111-4, 313-1, 441-1 du code pénal, 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour dire établi le délit d'escroquerie et en déclarer le prévenu coupable, l'arrêt attaqué énonce les trois règles de facturation sur lesquelles portent les anomalies établies par le contrôle administratif entrepris par la CPAM, qui a également relevé une suractivité très importante en comparaison avec la moyenne régionale, portant sur un chiffre d'affaires deux fois supérieur, une facturation d'actes techniques médicaux deux fois et demi supérieur, un nombre absolu de trois mille cent trente-six actes techniques médicaux contre mille quatre cent cinquante-quatre et un nombre de consultations de neuf cent quatre-vingt-dix-sept contre sept cent quarante-sept.

8. Les juges précisent que M. [P] a partiellement reconnu la matérialité des irrégularités de facturations, qui, au regard de leur nombre, ne peuvent ressortir d'une erreur de sa part, mais qu'il a, pour partie, imputées au logiciel de gestion et à sa secrétaire.

9. Les juges ajoutent que les témoignages des patients entendus par sondage dans le cadre du supplément d'information ordonné par le tribunal ont, en très grande majorité, confirmé la fausseté des dates et nature des prestations réalisées.

10. Ils en déduisent que l'utilisation simultanée par M. [P] de sa carte professionnelle et de la carte vitale des patients pour transmettre les facturations ainsi irrégulièrement établies caractérise les manoeuvres frauduleuses qui ont déterminé la CPAM à payer.

11. En l'état de ces énonciations et dès lors que la télétransmission à la CPAM a été rendue possible par le recours à la carte vitale de l'assuré social présentée par le patient, donnant force et crédit aux dates et nature d'actes irrégulièrement cotés ou facturés, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen.

12. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant condamné civilement M. [P] à payer à la CPAM du Morbihan la somme de 85 763,5 euros à titre de dommages et intérêts, alors :

« 1°/ que si les juges du fond apprécient souverainement le montant des réparations alloué à la victime d'une infraction, les dommages et intérêts alloués à une partie civile ne peuvent excéder la réparation intégrale du préjudice qui lui a été causé ; que cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisant, contradictoires ou erronés ; qu'en l'espèce, la CPAM reprochait au docteur [P] d'avoir éludé la règle de l'abattement de 50 % sur le second acte technique facturé lorsqu'il est réalisé le même jour que le premier acte technique et d'avoir fait application d'une majoration d'urgence pour d'autres actes pour percevoir des honoraires plus importants ; que le préjudice de la CPAM ne pouvait être supérieur à l'excès de rémunération ou de prestation indument versée par l'organisme social ; qu'en se contentant de retenir qu'il convenait de faire droit à l'intégralité de la demande de la CPAM au regard des pièces produites par elle aux débats, la Cour d'appel a méconnu le principe sus rappelé et les articles 1242 du code civil, 2, 3, 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le docteur [P] faisait valoir que « ... si par impossible la cour trouvait dans le dossier trace d'une ou de quelques infractions, seules ces infractions pourraient ouvrir droit à réparation d'un préjudice, et non la totalité des actes comme revendiqués par la CPAM, qui sur la base de 20 prétendues infractions non avérées, remettait en cause tous les actes réalisés sur 4 années ; pour le 3eme chef de poursuite, l'utilisation à tort du code « U » la constitution de partie civile n'est recevable que dans la limite des infractions relevées, soit 47 et non sur 691 revendiquées par la CPAM » ; qu'en s'abstenant de répondre à ce cette articulation essentielles de la défense, la Cour d'appel a privé méconnu l'article 593 du code procédure pénale. »

Réponse de la Cour

14. Pour allouer à la CPAM du Morbihan, sur sa demande, la somme de 85 763,58 euros en réparation de son préjudice, la cour d'appel énonce s'être fondée sur l'analyse de l'activité du médecin comparée à la facturation appliquée à chacun des actes de la prévention, et s'être prononcée au regard des pièces produites aux débats par la partie civile, comportant une analyse de l'activité du prévenu et de sa facturation détaillée et faisant apparaître, pour chaque acte, son caractère dû ou indu.

15. Les juges ajoutent que M. [P] n'a produit aucun élément sérieux de nature à remettre en cause ce décompte.

16. En se déterminant ainsi et dès lors qu'il ressort de l'arrêt attaqué que les juges ont, dans la limite des demandes des parties, apprécié dans son intégralité le préjudice de la partie civile, la cour d'appel a justifié sa décision.

17. Le moyen qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, doit, en conséquence, être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [P] devra payer à la CPAM du Morbihan en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois.

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