8 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.080

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO02021

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 2021 F-D

Pourvoi n° U 22-19.080




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

Mme [J] [W], divorcée [D], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 22-19.080 contre l'arrêt rendu le 28 avril 2022 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, Section 2), dans le litige l'opposant à la société Colruyt retail France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [W], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Colruyt retail France, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 28 avril 2022) et les productions, Mme [W], engagée en qualité d'employée boucherie le 1er novembre 1999 par la société Colruyt retail France, occupait en dernier lieu les fonctions de responsable de boucherie.

2. Licenciée le 17 octobre 2017, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de différentes sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect des seuils horaires, alors « que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ; qu'en l'espèce, [elle] faisait valoir [...], en versant aux débats son attestation Pôle emploi, qu'elle avait effectué un volume d'heures supplémentaires excédant la durée maximum hebdomadaire de travail ; qu'en se bornant, pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts, à retenir que celle-ci " ne justifi[ait] d'aucun préjudice sur le plan de la santé qu'elle aurait subi au titre des heures supplémentaires réalisées " sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, que la salariée avait effectué un volume d'heures supplémentaires portant sa durée de travail au-delà de la durée maximum hebdomadaire, constat qui lui ouvrait droit à réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-35, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l'article 6 b) de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3121-35, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article L. 3121-20 du code du travail, tous deux interprétés à la lumière de l'article 6 b) de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 :

5. Selon ces textes, au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l'article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu'il soit besoin de démontrer en outre l'existence d'un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53). Cette directive poursuivant l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant, le législateur de l'Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu'il prive le travailleur d'un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu'il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé (CJUE,14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 54). La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que c'est au droit national des États membres qu'il appartient, dans le respect des principes d'équivalence et d'effectivité, d'une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l'octroi de temps libre supplémentaire ou d'une indemnité financière et, d'autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation (CJUE, 25 novembre 2010, Fuß c. Stadt Halle, C-429/09, point 94).

7. Pour débouter la salariée de sa demande en dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait effectué des heures supplémentaires, retient que celles-ci ont été intégralement réglées. Il ajoute que la salariée ne justifie d'aucun préjudice sur le plan de sa santé qu'elle aurait subi au titre des heures supplémentaires réalisées.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y été invitée, si la réalisation d'heures supplémentaires n'avait pas eu pour effet d'entraîner un dépassement de la durée maximale de travail dont le seul constat ouvre droit à réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [W] de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect des seuils horaires, la condamne aux dépens et la déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Colruyt retail France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Colruyt retail France et la condamne à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.

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