8 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.713

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00804

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 novembre 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 804 F-D


Pourvois n°
A 22-22.789
T 22-22.713 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023

I - La société U-Web, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-22.789 contre un arrêt rendu le 14 septembre 2022 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société U10 Corp, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [M] [P], domicilié [Adresse 4],

3°/ à M. [D] [J], domicilié [Adresse 3], administrateur judiciaire, pris en qualité de mandataire ad hoc de la société U-Web,

défendeurs à la cassation.


II - la société U10 Corp, société anonyme, a formé le pourvoi n° T 22-22.713 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [M] [P],

2°/ à la société U-Web, société à responsabilité limitée,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° A 22-22.789 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° T 22-22.713 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société U-Web, de la SCP Duhamel, avocat de la société U10 Corp, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-22.789 et n° 22-22.713 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon,14 septembre 2022), le capital de la société U-Web est réparti entre la société U10 Corp, qui a pour associé majoritaire M. [F], et M. [P].

3. Contestant les tarifs pratiqués par les sociétés L3C et Fred Olivier, filiales de la société U10 Corp, qui étaient alors ses fournisseurs exclusifs, la société U-Web, représentée par son gérant, M. [P], les a assignées ainsi que la société U10 Corp et M. [F] en indemnisation du préjudice subi, cette procédure étant toujours pendante devant un tribunal de commerce.

4. La société U-Web a été mise sous sauvegarde par un jugement du 24 novembre 2016.

5. Par un arrêt irrévocable du 23 janvier 2020, une cour d'appel a désigné un mandataire ad hoc aux fins de convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec pour ordre du jour la révocation du mandat de gérant de M. [P] et la nomination d'un nouveau gérant.

6. Lors de l'assemblée générale de la société U-Web du 25 septembre 2020, M. [P] a été révoqué de son mandat de gérant et M. [F] a été désigné en cette qualité.

7. Par un arrêt du 20 octobre 2020, une cour d'appel a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de M. [P] tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter les intérêts de la société U-Web dans la procédure au fond diligentée par cette dernière contre les sociétés L3C, Fred Olivier et U10 Corp. Cet arrêt a été cassé de ce chef par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 septembre 2022.

8. Les 8, 11 et 12 janvier 2021, M. [P] a assigné en référé devant le président d'un tribunal de commerce les sociétés U10 et U-Web, ainsi que le mandataire judiciaire de la société U-Web et le commissaire à l'exécution de son plan de sauvegarde, aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de représenter la société U-Web dans la procédure au fond.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen du pourvoi n° 22-22.789


9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.


Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° 22-22.789 et le premier moyen du pourvoi n° 22-22.713, réunis

Enoncé des moyens

10. Par son premier moyen, pris en sa seconde branche, la société U-Web fait grief à l'arrêt de déclarer M. [P] recevable en sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, de désigner M. [J], administrateur judiciaire, en cette qualité avec pour mission de la représenter dans le cadre de la procédure au fond pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et d'organiser la défense de ses intérêts conformément à l'intérêt social, de dire que la mission du mandataire ad hoc sera étendue aux incidents ayant trait à ladite procédure et aux voies de recours appelées à être diligentées à l'encontre du jugement au fond qui serait rendu par le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et qu'elle prendra fin dès lors qu'une décision irrévocable aura été rendue, et de dire que la rémunération du mandataire ad hoc sera à la charge définitive de la société U-Web, alors « que l'ordonnance de référé ne peut être modifiée ou rapportée qu'en cas de circonstances nouvelles ; que ne constituent pas une circonstance nouvelle autorisant la rétractation d'une ordonnance de référé des faits dont le premier juge des référés avait connaissance ou dont il ne pouvait ignorer les conséquences raisonnablement prévisibles ; qu'en l'espèce, le juge des référés, lorsqu'il a rendu son arrêt du 20 octobre 2020, n'ignorait pas que la désignation le 25 septembre 2020 de M. [F] en qualité de gérant de la société U-Web ne pouvait qu'avoir des conséquences sur la procédure pendante au fond devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare opposant les sociétés U10 Corp et U-Web ; que l'arrêt attaqué a au demeurant constaté que "l'arrêt de la cour d'appel du 20 octobre 2020, pour écarter la demande de désignation d'un administrateur ad hoc, a évoqué : – la désignation de Maître [K] comme mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée générale de la société U-Web en vue de prendre une décision concernant la révocation éventuelle du gérant et désigner en ce cas un nouveau gérant, ce qui constituait un fait certain ; – le fait que la société U10 Corp envisageait de désigner son propre gérant, M. [F], comme gérant de la société U-Web en lieu et place de M. [P], gérant alors en place, ce qui ne constituait qu'une éventualité ; – le fait que la nomination envisagée pouvait avoir une influence sur les choix procéduraux de la société U-Web et plus précisément sur son choix de ne pas poursuivre la procédure contre la société U10 Corp et ses filiales, ce qui ne constituait là encore qu'une simple éventualité" ; que l'influence procédurale de la désignation probable de M. [F] en qualité de gérant de la société U-Web, si elle n'était pas encore avérée, constituait des conséquences prévisibles expressément prises en compte par le juge des référés ; qu'en qualifiant pourtant de circonstances nouvelles le fait que "la procédure au fond pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, dans le cadre de laquelle la société U-Web sollicite que la société U10 Corp l'indemnise à hauteur de 10 millions d'euros, oppose en demande, d'une part, la société U-Web, dont le gérant est désormais M. [F], d'autre part, en défense et notamment, la société U10 Corp, dont le dirigeant est également M. [F], et que c'est donc ce dernier qui a en charge, en sa qualité de gérant, la défense des intérêts de la société U-Web dans une action indemnitaire pour un montant extrêmement conséquent diligentée à l'encontre de la société U10 Corp, dont il assure par ailleurs la direction et la défense des intérêts", la cour d'appel a violé l'article 488, alinéa 2, du code de procédure civile. »

11. Par son premier moyen, la société U10 Corp fait grief à l'arrêt de déclarer M. [P] recevable en sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc de la société U-Web, de désigner à cette fin M. [J] et de définir sa mission, alors :

« 1°/ que l'ordonnance de référé ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles ; que les circonstances nouvelles se caractérisent par tout changement intervenu dans les éléments de fait ou de droit ayant motivé la décision du juge des référés qui, s'ils avaient été connus du juge, auraient modifié son opinion ; que pour déclarer recevable la nouvelle demande de M. [P] de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans l'instance l'opposant à la société U10 Corp devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, la cour d'appel a jugé que la situation suivant laquelle "M. [F] a en charge, en sa qualité de gérant, la défense des intérêts de la société U-Web dans une action indemnitaire pour un montant extrêmement conséquent diligentée à l'encontre de la société U10 Corp, dont il assure également la direction et la défense des intérêts", "s'est réalisée bien après les débats devant la cour d'appel de Lyon ayant abouti à l'arrêt du 20 octobre 2020", laquelle "n'en ayant, par voie de conséquence, aucune connaissance", de sorte qu' "au regard de la nature même de cette situation, ces circonstances nouvelles étaient de nature à modifier l'opinion de la juridiction qui a statué" ; que la cour d'appel avait pourtant, dans son arrêt du 20 octobre 2020, déjà pris en considération ces circonstances pour rejeter la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web, en tenant compte du changement de gérant envisagé, dont la probabilité était certaine à raison de la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée générale de la société U-Web pour statuer sur la révocation de M. [P] et sur son remplacement annoncé par M. [F] ; qu'il en résultait que la cour d'appel avait parfaitement connaissance, lors de sa décision précédente, de ce que les intérêts des sociétés U-Web et U10 Corp seraient in fine représentés par M. [F] ès qualités dans le litige commercial opposant ces deux sociétés ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 488 du code de procédure civile ;

2°/ que pour déclarer recevable la nouvelle demande de M. [P] de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans l'instance l'opposant à la société U10 Corp devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, la cour d'appel a jugé que, "si l'éventuelle révocation de M. [P] et son remplacement par M. [F] ont bien été pris en compte par la première cour, pour autant ils ne constituaient à ce stade qu'une simple éventualité, désormais réelle et se traduisant à ce jour par un contexte procédural particulier dans la mesure où (…) il n'est pas contesté par la société U10 Corp que dès sa désignation comme nouveau gérant de la société U-Web, M. [F] a évincé les avocats dits 'historiques' de celle-ci et a procédé à leur remplacement au profit d'un cabinet d'avocat dont M. [P] indique qu'il est le cabinet 'historique' du groupe U10 et de [Y] [F]" ; qu'en déduisant de ce changement d'avocat de la société U-Web un fait nouveau justifiant la modification de la précédente décision rendue en référé, tandis que, comme le soutenait la société U10 Corp, un changement d'avocat, lequel n'est pas partie au procès, n'est pas de nature à constituer une circonstance nouvelle, sauf à permettre aux parties, qui sont libres de changer de conseil à tout moment, de ressaisir à l'infini le juge des référés de la même demande, la cour d'appel a violé l'article 488 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir rappelé qu'aux termes de l'article 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles, et énoncé que les circonstances nouvelles permettant que soit modifié ou rapporté l'arrêt du 20 octobre 2020 supposent un changement intervenu dans les éléments de fait et de droit ayant motivé la décision, éléments qui, s'ils avaient été connus du premier juge, auraient pu modifier son opinion, l'arrêt retient que, bien qu'ayant été pris en compte par cette décision, l'éventuelle révocation de M. [P] de son mandat de gérant de la société U-Web et son remplacement par M. [F] ne constituaient à ce stade qu'une simple éventualité, désormais réelle et se traduisant par un contexte procédural particulier dès lors que la société U-Web n'entend pas se désister de l'instance au fond, hypothèse que le premier arrêt n'a pas évoqué et ne pouvait au demeurant envisager puisque cette décision est intervenue postérieurement et qu'il n'est pas contesté par la société U10 Corp que, dès sa désignation comme nouveau gérant de la société U-Web, M. [F] a évincé les avocats dits « historiques » de celle-ci et a procédé à leur remplacement au profit d'un cabinet d'avocat dont M. [P] indique qu'il est le cabinet « historique » du groupe U10 et de M. [F]. L'arrêt constate que la procédure au fond pendante, à l'occasion de laquelle la société U-Web sollicite que la société U10 Corp l'indemnise à hauteur de dix millions d'euros, oppose, en demande, la société U-Web, dont le gérant est désormais M. [F], et, en défense, la société U10 Corp, dont le dirigeant est également M. [F], de sorte que c'est ce dernier qui a en charge, en sa qualité de gérant, la défense des intérêts de la société U-Web dans une action indemnitaire pour un montant extrêmement conséquent diligentée à l'encontre de la société U10 Corp, dont il assure par ailleurs la direction et la défense des intérêts. L'arrêt relève que cette situation s'est réalisée postérieurement aux débats ayant abouti à l'arrêt du 20 octobre 2020, la cour d'appel n'en ayant, par voie de conséquence, pas eu connaissance, et retient qu'au regard de la nature même de cette situation, ces circonstances nouvelles sont de nature à modifier l'opinion de la juridiction qui a statué.

13. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas considéré que tout changement d'avocat constitue, en soi, une circonstance nouvelle, a pu déduire que M. [P] justifiait de circonstances nouvelles autorisant que soit modifié ou rapporté l'arrêt du 20 octobre 2020 et que sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc de la société U-Web était donc recevable.

14. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur le second moyen du pourvoi n° 22-22.713

Enoncé du moyen

15. La société U10 Corp fait grief à l'arrêt de désigner M. [J] en qualité de mandataire ad hoc de la société U-Web avec pour mission de la représenter dans le cadre de la procédure au fond pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et d'organiser la défense de ses intérêts conformément à l'intérêt social, de juger que la mission du mandataire ad hoc sera étendue aux incidents ayant trait à ladite procédure et aux voies de recours appelées à être diligentées à l'encontre du jugement au fond qui sera rendu par le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et qu'elle prendra fin dès lors qu'une décision irrévocable aura été rendue, et de juger que la rémunération du mandataire ad hoc sera à la charge définitive de la société U-Web, alors « que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ; qu'il ne saurait pour autant intervenir dans les affaires sociales en nommant un mandataire ad hoc à raison d'un conflit entre associés, dès lors que la pérennité de la société n'est pas en péril, sous peine d'excéder ses pouvoirs ; qu'en affirmant que "la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'assurer, avec l'indépendance qui s'impose et dans le seul intérêt social de la société U-Web, la prise en charge des intérêts de la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare est une mesure propre à répondre à ces objectifs, au regard du différend qui oppose les parties", sans justifier son intervention par la nécessité d'assurer la pérennité de la société U-Web, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 872 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

16. La désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 872 du code de procédure civile n'est pas subordonnée à la preuve de l'existence d'un péril menaçant la pérennité de la société, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l'intérêt social.

17. Le moyen qui postule le contraire n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés U-Web et U10 Corp aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés U-Web et U10 Corp et les condamne à payer à M. [P] la somme globale de 4 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.

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