26 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-25.745

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300707

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Statut du fermage et du métayage - Bail à long terme - Conclusion - Conditions - Preneur à moins de neuf ans de l'âge de la retraite - Possibilité - Portée

L'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime ne fait pas obstacle à la conclusion d'un bail à long terme par un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l'âge de la retraite, un tel bail est d'une durée minimale de dix-huit ans

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 707 FS-B

Pourvoi n° T 21-25.745




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023

M. [Z] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-25.745 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, civile), dans le litige l'opposant à M. [I] [D], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [J], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [D], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, MM. Bosse-Platière, Pety, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 12 octobre 2021), par acte du 11 mars 2005, M. [J] (le bailleur) a donné à bail rural à l'exploitation agricole à responsabilité limitée [I] [D] (l'EARL), dont M. [D] est le gérant, des parcelles agricoles.

2. Par acte du 7 avril 2015, il a donné à bail rural à long terme les mêmes parcelles, diminuées de l'emprise d'une ligne ferroviaire nouvellement construite, à M. [D] (le preneur), celui-ci acceptant de régler personnellement un arriéré locatif dû par l'EARL.

3. Le 2 novembre suivant, le preneur, ayant atteint l'âge de la retraite, a libéré les lieux, après avoir délivré un congé.

4. Le 22 mars 2018, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du bail du 7 avril 2015 et en remboursement d'une somme recouvrée, au moyen de mesures d'exécution forcée mises en oeuvre sur ses biens, par le bailleur en vertu de ce bail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le bailleur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du bail rural à long terme, alors « que les nullités sont d'interprétation stricte ; qu'aucune disposition ne sanctionne de nullité le bail rural à long terme dont le preneur est à moins de neuf ans de la retraite, la loi se bornant à imposer une durée minimale de 18 ans ; qu'en accueillant le moyen invoqué par M. [D], pris de la nullité du bail rural authentique à long terme du 7 avril 2015 sur le fondement de l'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime, après avoir constaté que le preneur était alors âgé de 61 ans, au motif erroné ''qu'un bail à long terme ne peut valablement être consenti à un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite, étant rappelé que la faculté pour les parties de mettre fin au bail à l'expiration de chaque période annuelle à partir de celle où le preneur a atteint l'âge de la retraite ne peut être exercée pendant la période initiale de neuf ans du bail à long terme'', la cour d'appel a violé les articles L. 416-1 et L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 416-1 et L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime :

6. Selon le premier de ces textes, le bail à long terme est conclu pour une durée d'au moins dix-huit ans. Il est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions prévues à l'article L. 411-46 du code rural et de la pêche maritime et sans préjudice, pendant lesdites périodes, de l'application des articles L. 411-6, L. 411-7 et L. 411-8, alinéa 1er, du même code. Le bailleur qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur dans les conditions prévues à l'article L. 411-47 de ce code. Toutefois, lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut, par avis donné au moins dix-huit mois à l'avance, refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l'expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre Ier du titre Ier de ce code.

7. Selon le second, un preneur qui est à plus de neuf ans et à moins de dix-huit ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme d'une durée égale à celle qui doit lui permettre d'atteindre l'âge de la retraite.

8. Le moyen pose la question de savoir si un bail à long terme peut être conclu par un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite.

9. Aucun texte ne l'interdit ou ne l'autorise expressément.

10. L'article L. 416-4 précité peut recevoir deux interprétations différentes.

11. Selon une interprétation a contrario, il faut considérer qu'en spécifiant que le preneur qui est à plus de neuf ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme, l'article L. 416-4 exclut la possibilité de consentir un tel bail à un preneur qui atteindra plus tôt cet âge.

12. La seconde interprétation retient que l'article L. 416-4 se borne à déroger, dans l'hypothèse d'un preneur qui est à plus de neuf ans et à moins de dix-huit ans de l'âge de la retraite, à la durée minimale de dix-huit ans fixée à l'article L. 416-1. Il s'en déduit alors que, si un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme, la durée du bail ne peut, dans ce cas, être inférieure à dix-huit ans, sans possibilité au surplus d'y mettre fin avant le terme en usant de la faculté de résiliation annuelle prévue, lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite, par l'article L. 416-1 (3e Civ., 5 avril 1995, pourvoi n° 93-16.260, Bulletin 1995, III, n° 96).

13. Cette seconde interprétation doit être retenue.

14. En premier lieu, dans sa version issue de la loi n° 70-1298 du 31 décembre 1970, ayant créé les baux à long terme, l'article 870-25 du code rural, devenu l'article L. 416-1, précisait que la durée minimale du bail à long terme était fixée à dix-huit ans « sous réserve des dispositions de l'article 870-26 » de ce code, qui correspond désormais à l'article L. 416-4.

15. En second lieu, interdire la conclusion d'un bail à long terme lorsque le preneur est proche de l'âge de la retraite priverait les parties de la faculté de bénéficier de cet outil renforçant la stabilité de l'exploitation et offrant des avantages au bailleur, alors qu'une cession de bail au profit d'un membre de la famille du preneur, en application de l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, peut, sous réserve des dispositions de l'article L. 416-2, alinéa 3, de ce code, permettre d'atteindre la durée de dix-huit ans prévue au contrat, un fermier n'étant par ailleurs pas tenu de cesser son activité lorsqu'il atteint l'âge légal de la retraite.

16. Il y a donc lieu de juger que l'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime ne fait pas obstacle à la conclusion d'un bail à long terme par un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l'âge de la retraite et qu'un tel bail est d'une durée minimale de dix-huit ans.

17. En l'espèce, pour prononcer la nullité du bail à long terme, l'arrêt retient qu'un tel bail ne peut valablement être consenti à un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le tribunal paritaire des baux ruraux de La Flèche compétent pour trancher le litige, l'arrêt rendu le 12 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne M. [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] et le condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

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