12 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-20.212

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300665

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Bail à ferme - Résiliation - Sous-location ou cession illicite - Mise à disposition d'une société d'exploitation agricole - Participation aux travaux de façon effective et permanente du preneur - Défaut - Effets - Action en résiliation - Conditions - Détermination

Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, du code rural et de la pêche maritime, sans être tenu de démontrer un préjudice

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 octobre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 665 FS-B

Pourvoi n° D 21-20.212







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023

1°/ M. [H] [F],

2°/ Mme [R] [F], épouse [M],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° D 21-20.212 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Rennes (chambre des baux ruraux), dans le litige les opposant à Mme [U] [L], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Mme [L] a formé, par un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation, un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [F] et de Mme [F], épouse [M], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [L], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, MM. Bosse-Platière, Pety, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 mai 2021), M. [F] (le preneur) a mis à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée Univers Ponies (l'EARL), dont il est associé, des parcelles données à bail rural par Mme [L] (la bailleresse).

2. Le 16 novembre 2015, le preneur a demandé à la bailleresse l'autorisation de céder le bail à sa fille, Mme [F], associée exploitante de l'EARL.

3. Le 25 novembre 2015, la bailleresse a délivré au preneur un congé pour reprise aux fins d'exploitation personnelle à effet au 31 mars 2018.

4. Le 15 mars 2016, le preneur a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du congé. La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, la résiliation du bail.

5. Le 1er mars 2017, M. [F] et Mme [F] (les consorts [F]) ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en autorisation de cession du bail.

6. Les instances ont été jointes.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. Les consorts [F] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'autorisation de cession du bail, alors « que la seule option pour le statut d'associé non exploitant dans la société bénéficiaire de la mise à disposition du bail ne suffit pas à établir l'absence de participation effective et permanente du preneur à l'exploitation des parcelles louées ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de la cour que M. [H] [F] est toujours associé de l'EARL Univers Ponies, bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles louées dont il est désormais salarié ; qu'en déduisant cependant du seul fait qu'il avait pris sa retraite et n'avait plus la qualité d'associé exploitant de ladite EARL un défaut de participation de M. [F] à l'exploitation des terres louées sans vérifier, comme elle y était expressément invitée par les conclusions des exposants faisant valoir et témoignages à l'appui s'il n'était pas le seul à s'occuper des cultures qui était sous sa responsabilité, s'il était toujours affilié à la MSA ; s'il ne participait pas encore de manière effective aux activités équestres de l'EARL et donc à la mise en valeur des biens donnés à bail et si durant l'arrêt maladie de Mme [R] [F], il ne s'était pas occupé seul de la gestion de l'exploitation, ce dont il se déduisait qu'il participait toujours effectivement à la mise en valeur des terres loués même s'il n'avait plus la qualité d'associé exploitant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a, d'abord, constaté que le preneur avait pris sa retraite à compter du 1er mai 2012 et était devenu à cette date salarié de l'EARL en qualité d'enseignant à temps partiel, ensuite, relevé que seule sa fille figurait dans les statuts en qualité d'associé exploitant, enfin, retenu que les attestations produites par les consorts [F] étaient insuffisantes pour démontrer que le preneur se consacrait à l'exploitation effective et permanente des biens donnés à bail.

9. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, que le preneur avait manqué à son obligation de participer aux travaux de façon effective et permanente au sens de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime et a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail, alors « que constitue une cession illicite du bail à un tiers, sanctionnée par sa résiliation, la cessation par le preneur, associé d'une société au profit de laquelle les parcelles données à bail ont été mises à disposition, de leur exploitation effective et permanente ; qu'en refusant de prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée à l'EARL Univers Ponies, motif pris qu'elle n'était pas établie, après avoir pourtant constaté que M. [F], preneur retraité, salarié et associé non exploitant de l'Earl Univers Ponies, bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, avait cessé de se consacrer à leur exploitation effective et permanente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-31 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime :

11. Selon le deuxième de ces textes, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.

12. Selon le dernier, le preneur, associé d'une société à objet principalement agricole qui met à la disposition de celle-ci tout ou partie des biens dont il est locataire, doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.

13. Selon le premier, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.

14. Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit.

15. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, sans être tenu de démontrer un préjudice.

16. Pour rejeter la demande de résiliation formée par la bailleresse pour cession prohibée, l'arrêt retient que, si le preneur ne participe plus aux travaux de façon effective et permanente, l'existence d'une cession prohibée du bail au profit de l'EARL n'est pas établie.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de résiliation du bail, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne M. [F] et Mme [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [F] et Mme [F] et les condamne à payer à Mme [L] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois.

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