11 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-15.726

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO01029

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 octobre 2023




Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1029 F-D

Pourvoi n° Y 22-15.726




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 OCTOBRE 2023

La société Prisma média, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-15.726 contre l'arrêt rendu le 3 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles (6echambre), dans le litige l'opposant à Mme [L] [R], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Mme [R] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Prisma média, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 mars 2022), Mme [R] a été engagée en qualité de rédacteur photo par la société Prisma média (la société) suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée à compter du 18 juillet 2011 jusqu'au 26 mai 2018.

2. Le 27 juillet 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, en paiement d'un rappel de salaire, en réintégration au sein de la société et, à défaut, en paiement d'indemnités de rupture.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 2 avril 2012 et de le condamner à verser à la salariée certaines sommes à titre d'indemnité de requalification, de préavis, outre congés payés afférents, de licenciement, de rappel de salaire au titre des périodes intercalaires et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que l'accroissement temporaire d'activité de l'entreprise permettant de recourir au contrat de travail à durée déterminée peut résulter de variations cycliques de production, sans qu'il soit nécessaire ni que cet accroissement présente un caractère exceptionnel, ni que le salarié recruté soit affecté à la réalisation même de ces tâches ; qu'en l'espèce, la société Prisma média soutenait que les contrats à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité conclus avec la salariée étaient liés à la rédaction des hors-séries ou dossiers spéciaux du magazine ''Capital'', laquelle génère un surcroît, cyclique mais temporaire, de l'activité de l'entreprise ; qu'en retenant, pour affirmer que les contrats à durée déterminée de Mme [R] ont eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de la société Prisma média, que l'employeur ne justifie par aucune des pièces versées aux débats que les tâches confiées à la salariée résultaient d'un accroissement temporaire d'activité tandis que celle-ci produit différents éléments établissant que la rédaction du magazine ''Capital'' publie chaque année 12 numéros mensuels mais aussi 6 hors-séries ou dossiers spéciaux, ce qui témoigne du caractère récurrent de ces publications et qu'en outre le seul nom de Mme [R] apparaît dans l'Ours des hors-séries sous la mention ''photo'', la cour d'appel, qui a exclu qu'un accroissement temporaire d'activité puisse résulter des variations cycliques de production de l'entreprise, a violé les articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail ;

2°/ que ni le nombre de contrats à durée déterminée conclus pour des motifs différents et sur des emplois différents, ni le temps de travail accompli dans le cadre des différents contrats ne suffisent à faire ressortir que le salarié a occupé durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que Mme [R] a été employée, dans le cadre de 29 contrats à durée déterminée distincts sur sept années, tantôt pour assurer le remplacement d'un salarié absent, tantôt en raison d'un accroissement temporaire d'activité, sur des postes de ''rédacteur photo'' ou de ''chef de rubrique'' ; qu'en retenant encore, pour requalifier les contrats à durée déterminée conclus par Mme [R], que tous les contrats prévoyaient une durée de travail hebdomadaire de 35 heures, de sorte que la salariée pouvait difficilement travailler pour un autre employeur sur les mêmes périodes, que la durée cumulée de ses différents contrats représentait un temps de travail annuel supérieur à un mi-temps, que sa rémunération annuelle a progressivement augmenté et que les salaires versés représentaient sur les trois dernières années l'essentiel de ses revenus, la cour d'appel s'est fondée sur des constatations impropres à faire ressortir que la succession de contrats à durée déterminée a eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail ;

3°/ qu'en retenant encore, pour affirmer que les contrats de Mme [R] ont eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, qu'il ressort des procès-verbaux des réunions des délégués du personnel et du comité d'entreprise que les élus ont alerté l'employeur sur le recours abusif aux contrats de travail précaire et ont dénombré, pour la seule année 2015, plus de 1 400 CDD toutes raisons et durées confondues, dont 30 % seulement avaient vocation à remplacer des salariés indisponibles, certains salariés employés dans ce cadre travaillant depuis 10 ou 15 ans pour la société Prisma média, la cour d'appel s'est encore fondée sur des constatations générales impropres à faire ressortir l'existence d'un besoin structurel de main d'oeuvre pour le type de fonctions exercées par la salariée, privant encore sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel, qui a constaté qu'aucune des pièces versées aux débats par l'employeur ne justifiait que les tâches confiées à la salariée dans le cadre des vingt-six contrats à durée déterminée résultaient d'un accroissement temporaire d'activité, a pu en déduire que ces contrats avaient pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et devaient être requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée.

5. Le moyen, qui, pris en ses deuxième et troisièmes branches, critique des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une certaine somme à titre de rappel de salaire au titre des périodes intercalaires, alors :

« 1°/ qu'il appartient au salarié qui réclame le paiement d'un rappel de salaire au titre des périodes non-travaillées entre des contrats à durée déterminée requalifiés en contrat à durée indéterminée de démontrer qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pour travailler pendant ces périodes ; que le fait de n'avoir pas travaillé entre deux contrats est insuffisant à caractériser la disponibilité du salarié à l'égard de l'employeur ; qu'en se bornant à relever, en l'espèce, qu'il résulte des déclarations et avis d'imposition de Mme [R] et de ses relevés de situation établis par Pôle emploi que les autres sources de revenus de la salariée provenaient de Pôle emploi et qu'en dehors des périodes où elle était employée par la société Prisma média, Mme [R] n'avait pas d'autre emploi, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres à faire ressortir que la salariée est restée constamment à la disposition de la société Prisma média pour travailler entre ses contrats à durée déterminée, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1245-1 et L. 3123-14 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles 1134 et 1315 (devenus 1103 et 1353) du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que la seule brièveté des périodes intercalaires entre certains contrats à durée déterminée n'impose pas au salarié de rester constamment à la disposition de l'employeur pour travailler ; qu'en l'espèce, la société Prisma média soulignait que les périodes séparant deux contrats à durée déterminée duraient en général entre trois semaines et deux mois et qu'en conséquence, Mme [R] n'était pas tenue de rester à sa disposition permanente pendant ces périodes ; qu'en se bornant à affirmer, pour confirmer que la salariée était restée à la disposition de la société Prisma média pendant ces périodes, que ''les périodes intercalaires ne permetta[ient] (…) pas, compte tenu de leur brièveté, l'exercice d'un autre emploi'', sans faire ressortir en quoi la durée de ces périodes imposait à la salariée de se tenir à la disposition constante de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1245-1 et L. 3123-14 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles 1134 et 1315 (devenus 1103 et 1353) du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la cour

Vu les articles L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail :

7. En application de ces textes, la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat. Réciproquement, la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

8. Il en résulte que le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

9.Pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt, après avoir requalifié les contrats à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, relève qu'il résulte de la production par la salariée de ses déclarations et avis d'imposition depuis 2014 et des relevés de situation établis par Pôle emploi depuis janvier 2015 que ses autres sources de revenus provenaient de Pôle emploi. Il en conclut qu'en dehors des périodes où la salariée était employée par la société, laquelle lui procurait l'essentiel de ses revenus, elle se tenait à sa disposition, n'ayant pas d'autre emploi, les périodes intercalaires ne permettant pas, compte tenu de leur brièveté, l'exercice d'un autre emploi.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que la salariée, sur laquelle pesait la charge de la preuve, établissait s'être effectivement tenue à la disposition de l'employeur durant les périodes non travaillées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen du pourvoi incident de la salariée

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre de la rupture d'égalité de traitement et de condamner l'employeur au paiement de certaines sommes au titre des périodes intercalaires, de l'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que la rémunération perçue par le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être inférieure à celle du salarié bénéficiant d'un contrat de travail à durée indéterminée de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions ; que le juge doit vérifier concrètement, au regard d'une analyse comparée de la situation, des fonctions et des responsabilités réellement exercées par le titulaire du contrat de travail et par les salariées auxquels il se compare pour apprécier si la différence de rémunération est justifiée par des éléments objectifs ; qu'au cas présent, pour fonder la demande de rappel de salaire, Mme [R] faisait valoir qu'elle justifiait d'une ancienneté équivalente à celle de Mme [N] dans les fonctions de chef de rubrique ; que la cour d'appel, pour débouter Mme [R] de ses demandes au titre de la violation du principe d'égalité salariale, a retenu que Mme [N] et Mme [R] ne se trouvaient pas dans une situation identique et comparable compte tenu de l'ancienneté globale de la première dans la société Prisma média ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme [N] et Mme [R] avaient une ancienneté comparable dans des fonctions identiques, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-14, L. 1242-15 du code du travail et du principe "à travail égal, salaire égal" ;

2°/ que la rémunération perçue par le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être inférieure à celle du salarié bénéficiant d'un contrat de travail à durée indéterminée de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions ; que le juge doit vérifier concrètement, au regard d'une analyse comparée de la situation, des fonctions et des responsabilités réellement exercées par le titulaire du contrat de travail et par les salariées auxquels il se compare pour apprécier si la différence de rémunération est justifiée par des éléments objectifs ; qu'au cas présent, pour fonder la demande de rappel de salaire, Mme [R] faisait valoir qu'elle justifiait d'une ancienneté équivalente à celle de Mme [N] dans les fonctions de chef de rubrique ; que la cour d'appel, pour débouter Mme [R] de ses demandes au titre de la violation du principe d'égalité salariale, a retenu que Mme [N] et Mme [R] ne se trouvaient pas dans une situation identique et comparable compte tenu de l'âge respectif des deux salariées à la date de l'audience de la première instance ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier objectivement la différence de rémunération, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-14, L. 1242-15 du code du travail et du principe "à travail égal, salaire égal". »

Réponse de la cour

Vu le principe d'égalité de traitement :

12. En application de ce principe, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables.

13. Pour écarter l'atteinte au principe d'égalité de traitement invoquée par la salariée et condamner l'employeur au paiement de certaines sommes à titre d'indemnités de rupture, l'arrêt retient que l'intéressée, âgée de quarante-neuf ans, et la salariée, âgée de soixante ans, à laquelle elle se compare, respectivement engagées en juillet 2011 et en septembre 2001 et qui percevaient une rémunération s'élevant pour la première à 3 300 euros et pour la seconde à 3 600 euros ne se trouvaient pas dans une situation identique.

14. En se déterminant ainsi, en l'état de ce que l'ancienneté faisait l'objet d'une prime, par des motifs tirés de l'âge impropres à justifier objectivement la différence de rémunération entre des salariées qui exerçaient des fonctions identiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquence de la cassation

15. La cassation prononcée sur le second moyen du pourvoi principal n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Prisma média à payer à Mme [R] la somme de 12 222,66 euros à titre de rappel de salaire au titre des périodes intercalaires et celles de 26 240,76 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et 22 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 3 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.

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