19 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.952

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00855

Texte de la décision

N° V 22-82.952 F-D

N° 00855


RB5
19 SEPTEMBRE 2023


SURSIS A STATUER


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 SEPTEMBRE 2023



Mme [J] [I] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 20 avril 2022, qui, dans la procédure d'exécution d'une décision d'enquête européenne émanant des autorités espagnoles, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [J] [I] [F], après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 1er mars 2021, les autorités judiciaires espagnoles ont émis à destination des autorités françaises une décision d'enquête européenne sollicitant que soit notifiée à Mme [J] [I] [F], détenue en France en exécution de peine, une ordonnance de mise en accusation rendue le 30 septembre 2009 par le tribunal central d'instruction de Madrid afin qu'elle puisse, en présence de son avocat, « manifester ce que de droit sur les faits concernés. »

3. Le 19 juillet 2021, le juge d'instruction a, par procès-verbal, notifié à l'intéressée, en présence de son avocat, ladite ordonnance de mise en accusation, lui a remis ainsi qu'à son avocat une copie de cette décision en langue espagnole et a recueilli ses déclarations.

4. Le 20 juillet suivant, Mme [I] [F] a déposé une requête en annulation de cette audition devant la chambre de l'instruction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation du procès-verbal d'audition judiciaire en exécution d'une demande d'entraide pénale internationale en date du 19 juillet 2021, alors :

« 1°/ que la notification d'une ordonnance de mise en accusation emportant ordre de placement en détention provisoire et de dépôt d'une caution dans les vingt-quatre heures de la notification de celle-ci, sous peine de saisie des biens de la personne accusée à hauteur de cette somme, en ce qu'elle ne constitue pas la réalisation d'investigations tendant à l'obtention d'éléments de preuve relatifs à une infraction pénale, ne peut pas être sollicitée dans le cadre d'une décision d'enquête européenne ; qu'elle ne peut pas l'être, fut-ce dans l'hypothèse dans laquelle les autorités de l'Etat d'émission demandent également à ce que la personne puisse formuler des observations concernant les faits mentionnés dans l'ordonnance ainsi notifiée ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu l'article premier de la directive 2014/41/UE et l'article 694-16 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la demande des autorités espagnoles n'entre pas dans le champ d'application des décisions d'enquête européenne défini à l'article 694-16 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué énonce notamment que les autorités espagnoles n'ont pas uniquement sollicité que l'ordonnance de mise en accusation soit notifiée à Mme [I] [F] mais également que celle-ci puisse « manifester ce que de droit sur les faits concernés ».

7. Les juges ajoutent, d'une part, qu'il est précisé à la rubrique « Motifs de l'émission de la décision d'enquête européenne » que les actes sollicités s'inscrivent « dans le cadre de la vérification de la commission des faits avec toutes les circonstances qui peuvent influer sur sa qualification et la culpabilité des délinquants », d'autre part, que bien qu'elles n'aient pas coché la case « audition d'un suspect ou d'une personne poursuivie » dans le formulaire correspondant, les autorités espagnoles ont clairement sollicité que le juge d'instruction français recueille par procès-verbal les déclarations de Mme [I] [F] sur les faits qu'elle est suspectée d'avoir commis.

8. Ils en concluent qu'en demandant que l'intéressée précise, en présence de son conseil et dans le respect des droits de la défense, son positionnement sur les faits, les autorités espagnoles ont ainsi sollicité la réalisation d'investigations tendant à l'obtention d'éléments de preuve relatifs à un infraction pénale.

9. Aux termes de l'article premier de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale, un tel acte est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d'un État membre (ci-après dénommé «État d'émission») afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d'enquête spécifiques dans un autre État membre (ci-après dénommé «État d'exécution») en vue d'obtenir des preuves conformément à la présente directive.

10. L'article 3 de la directive prévoit que la décision d'enquête européenne couvre toute mesure d'enquête, à l'exception de la création d'une équipe commune d'enquête et de l'obtention de preuves dans le cadre de cette équipe.

11. La directive susvisée a été transposée par les articles 694-15 et suivants du code de procédure pénale, l'article 694-16 dudit code définissant la décision d'enquête européenne comme étant une décision judiciaire émise par un Etat membre, appelé Etat d'émission, demandant à un autre Etat membre, appelé Etat d'exécution, en utilisant des formulaires communs à l'ensemble des Etats, de réaliser, dans un certain délai, sur son territoire, des investigations tendant à l'obtention d'éléments de preuve relatifs à une infraction pénale ou à la communication d'éléments de preuve déjà en sa possession.

12. La partie demanderesse relève qu'aux termes de la décision d'enquête européenne contestée, les autorités espagnoles sollicitaient la notification à Mme [I] [F] d'une ordonnance de mise en accusation emportant ordre de placement en détention provisoire et de dépôt par l'intéressée d'une caution d'un montant de 30 000 euros dans les vingt-quatre heures de sa notification, sous peine de saisie de ses biens à hauteur de cette somme, lesdites autorités ajoutant qu'à la suite de cette notification, Mme [I] [F] pouvait, en présence de son conseil, « manifester ce que de droit concernant les faits mentionnés dans l'ordonnance de mise en accusation ».

13. Elle soutient que l'émission d'une décision d'enquête européenne ne peut pas avoir pour objet « de faire connaître les charges retenues et de notifier la saisine d'une juridiction de jugement », une telle notification relevant d'autres instruments de coopération, particulièrement de l'article 696-44 du code de procédure pénale.

14. L'avocat général près la Cour de cassation considère, en revanche, que la décision d'enquête européenne, qui contient en l'occurrence des mesures d'enquête portant de manière indissociable sur la notification de l'ordonnance de mise en accusation de Mme [I] [F] et le recueil de ses observations par un magistrat en présence d'un avocat afin de respecter les droits de la défense, constitue la réalisation d'investigations tendant à l'obtention d'éléments de preuve relatifs à une infraction pénale.

15. A ce jour, la Cour de justice de l'Union européenne ne s'est jamais prononcée sur le champ d'application matériel de la décision d'enquête européenne et spécifiquement sur le point de savoir s'il inclut ou non la notification d'un acte de mise en accusation, comportant un ordre d'incarcération et un ordre de dépôt d'une caution.

16.Il ne paraît pas possible de considérer que l'application correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. Il y a donc lieu de transmettre la question préjudicielle suivante.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

Les articles 1er et 3 de la directive 2014/41 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent à l'autorité judiciaire d'un Etat membre d'émettre ou de valider une décision d'enquête européenne visant, d'une part, à la notification à la personne mise en cause d'une ordonnance de mise en accusation, comportant de surcroît un ordre d'incarcération et de dépôt d'une caution, d'autre part, à son audition afin qu'elle puisse, en présence de son avocat, faire toutes observations utiles sur les faits énoncés dans ladite ordonnance ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi de Mme [J] [I] [F] jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE l'affaire à l'audience du 25 juin 2024 ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-trois.

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