13 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.288

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00904

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Impôts directs et taxes assimilées - Procédure - Action publique - Mise en mouvement - Plainte préalable de l'administration - Annexion de l'avis de mise en recouvrement - Défaut - Effet

L'absence d'annexion de l'avis de mise en recouvrement à la dénonciation de faits de fraude fiscale au procureur de la République par l'administration fiscale ne constitue pas une cause de nullité de la procédure. Lorsque la juridiction est saisie d'une demande d'annulation des poursuites tirée du non-respect des critères légaux pour procéder à la dénonciation obligatoire, la nullité n'est pas encourue dès lors que les juges sont en mesure, à partir des pièces de la procédure, notamment la proposition de rectification définitive notifiée au contribuable et la réponse de l'administration fiscale aux observations de celui-ci, de s'assurer, d'une part, que le montant des droits éludés est supérieur à 100 000 euros, d'autre part, que les majorations appliquées, appréciées au stade de la mise en recouvrement, entrent dans les catégories visées par l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales. Les mentions de l'avis de mise en recouvrement ne peuvent être analysées indépendamment des documents auxquels il fait référence, conformément à l'article R. 256-1 du même livre. Encourt la censure l'arrêt qui, pour constater l'irrégularité de la dénonciation obligatoire de l'administration fiscale au procureur de la République et prononcer l'annulation des pièces de la procédure, énonce que seul l'avis de mise en recouvrement permet d'apprécier l'existence des deux critères cumulatifs nécessaires à la mise en oeuvre du mécanisme de dénonciation obligatoire et relève, d'une part, que l'administration fiscale n'a pas joint cet avis à sa lettre de dénonciation et ne l'a produit que devant le tribunal correctionnel, d'autre part, que ledit avis ne mentionne pas expressément les droits et majorations retenus

Texte de la décision

N° Y 22-82.288 FS-B

N° 00904


MAS2
13 SEPTEMBRE 2023


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2023



Le procureur général près la cour d'appel de Versailles et le directeur général des finances publiques ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 9e chambre, en date du 10 mars 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [S] [G] des chefs de fraude fiscale et omission d'écritures comptables, a prononcé la nullité des poursuites.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S] [G], et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, conseillers référendaires, M. Courtial, avocat général référendaire, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite d'une dénonciation de l'administration fiscale au procureur de la République, sur le fondement de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales, M. [S] [G], gérant de la société Bistro le Sancerre, a comparu devant le tribunal correctionnel pour s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la TVA en omettant volontairement de faire ses déclarations dans les délais prescrits et pour avoir sciemment omis de passer des écritures au livre journal ou au livre d'inventaire.

3. Par jugement du 2 juillet 2021, le tribunal correctionnel a fait droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu, a annulé les actes d'enquête et a dit n'y avoir lieu à statuer sur la constitution de partie civile de l'administration fiscale.

4. Le procureur de la République et l'administration fiscale ont interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens proposés par le procureur général et le moyen proposé pour l'administration fiscale

Enoncé des moyens

5. Le premier moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles 385, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale, 1141, 1741, 1743 et 1750 du code général des impôts, L. 47 et L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'irrégularité de la dénonciation de l'administration fiscale au procureur de la République de Nanterre et annulé tous les actes de la procédure alors que la méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, qui impose que le contribuable soit informé de son droit d'être assisté d'un conseil, et l'absence de débat oral et contradictoire au cours de la vérification fiscale, ayant porté atteinte aux droits de la défense, sont les seules irrégularités affectant les opérations administratives préalables à l'engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale pouvant conduire à l'annulation de la procédure par le juge répressif ; dès lors, est irrecevable l'exception présentée devant le juge correctionnel par le prévenu, qui soutenait que la dénonciation des faits par l'administration fiscale au procureur de la République, en application de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales, étant irrégulière devait conduire à l'annulation des actes de la procédure pénale.

7. Le deuxième moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles 385, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale, 1141, 1741, 1743 et 1750 du code général des impôts, L. 47 et L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'irrégularité de la dénonciation de l'administration fiscale au procureur de la République de Nanterre et annulé tous les actes de la procédure, alors que l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales n'impose pas à l'administration de joindre l'avis de mise en recouvrement à sa dénonciation pour justifier du montant des droits éludés et des majorations retenues et que l'action publique est régulièrement exercée, en application de l'article L. 228 précité, au vu de la seule dénonciation des faits par l'administration, sans plainte préalable.

9. Le troisième moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles 111-5 du code pénal, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale, 1141, 1741, 1743 et 1750 du code général des impôts, L. 47 et L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

10. Le moyen critique l'arrêt en qu'il a constaté l'irrégularité de la dénonciation de l'administration fiscale au procureur de la République de Nanterre et annulé tous les actes de la procédure, alors que la solution du procès pénal ne dépend pas de la légalité de l'avis de mise en recouvrement pris en application des dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales qui ne constitue pas un acte administratif individuel dont la légalité serait susceptible d'être contestée par voie d'exception devant le juge répressif et que la dénonciation des faits par l'administration fiscale au procureur de la République n'est pas un acte administratif dont dépend la solution du procès pénal ; que, par ailleurs, le juge pénal n'a pas compétence pour apprécier si les conditions prévues à l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales sont réunies pour contraindre l'administration à dénoncer les faits au procureur de la République.





11. Le moyen proposé pour l'administration fiscale critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'irrégularité de sa dénonciation au procureur de la République de Nanterre et annulé tous les actes de la procédure, alors :

« 1°/ qu'il n'est pas exigé que l'administration produise un avis de mise en recouvrement en annexe de sa dénonciation ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L. 228-1 du Livre des procédures fiscales ;

2°/ que dès lors que le texte vise les majorations retenues « au stade de la mise en recouvrement », l'appréciation de l'administration quant aux majorations qu'appellent les faits, peut résulter de tous documents qui se rapportent à la procédure de mise en recouvrement ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L. 228-1 du Livre des procédures fiscales ;

3°/ qu'à supposer que l'avis de mise en recouvrement soit une pièce indispensable pour le juge, il suffit qu'il soit produit à la suite de la contestation émise par le prévenu quant à la régularité de la procédure comme tel a été le cas en l'espèce ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L. 228-1 du Livre des procédures fiscales ;

4°/ que les juges sont tenus de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en énonçant que « l'avis de mise en [recouvrement du 15 mars 2019] ne fait nullement référence aux majorations » (arrêt, p. 11 alinéa 4) quand il comportait les mentions « majorations : cf. lettre de motivation du 17-12-2018 : 33 814,00 » et « majorations : cf. lettre de motivation du 17-12-2018 : 165 159,00 », les juges du fond ont dénaturé l'avis de mise en recouvrement du 15 mars 2019. »

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales :

13. Il résulte de ce texte que les poursuites du chef de fraude fiscale ne peuvent être régulièrement engagées par le ministère public à la suite d'une dénonciation obligatoire de l'administration fiscale que, d'une part, si le montant des droits éludés est supérieur à 100 000 euros, d'autre part, si les majorations appliquées, appréciées au stade de la mise en recouvrement, sont celles de 100 %, 80 % ou 40 % prévues par les différents textes auxquels il renvoie.

14. Ledit texte ne prévoit pas que la dénonciation obligatoire doive être accompagnée de l'avis de mise en recouvrement des droits, pénalités et intérêts de retard.

15. Lorsque la juridiction est saisie d'une demande d'annulation des poursuites tirée du non-respect des critères légaux pour procéder à la dénonciation obligatoire, la nullité n'est pas encourue dès lors que les juges sont en mesure, à partir des pièces de la procédure et de celles qui leur sont soumises par les parties, de s'assurer que les conditions tenant au montant des droits éludés et aux majorations appliquées telles qu'appréciées au stade de la mise en recouvrement sont réunies.

16. Pour annuler les actes de la procédure, après avoir constaté l'irrégularité de la dénonciation de l'administration fiscale au procureur de la République, l'arrêt énonce qu'il résulte de l'application combinée des articles L. 228 du livre des procédures fiscales et 111-5 du code pénal que l'avis de mise en recouvrement, qui impose à l'administration fiscale de dénoncer au ministère public les faits les plus graves de fraude fiscale, doit expressément mentionner les droits et majorations retenus, à défaut de quoi la dénonciation au ministère public est irrégulière et les poursuites pénales initiées par lui entachées de nullité car non légalement possibles.

17. Les juges relèvent que, pour dénoncer au procureur de la République, pour libre appréciation de la gravité des faits de fraude fiscale et poursuites pénales, la situation fiscale de la société Bistro le Sancerre, l'administration fiscale, après avoir rappelé le montant des droits éludés par la prévenue, évoque dans sa lettre de dénonciation du 2 juin 2020 la majoration de 100 % prévue à l'article 1732 du code général des impôts et la majoration de 40 % prévue par l'article 1728 du même code, sans y adjoindre l'avis de mise en recouvrement ayant permis le déclenchement du mécanisme ci-dessus évoqué.

18. Ils ajoutent que la proposition de rectification du 17 décembre 2018 est basée sur ces mêmes majorations et que cette proposition de rectification ne saurait leur permettre d'apprécier l'existence des deux critères cumulatifs nécessaires à la mise en oeuvre du mécanisme de dénonciation obligatoire, seul l'avis de mise en recouvrement le permettant aux termes de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

19. Les juges retiennent que l'avis de mise en recouvrement du 15 mars 2019, qui n'a été produit par l'administration fiscale que lors de l'audience devant le tribunal correctionnel, soit postérieurement à la citation du prévenu, ne comporte pas de mention explicite des droits éludés ni du taux de majoration appliqué et ne fait nullement référence aux majorations des articles 1728 et 1732 du code général des impôts, mentionnant exclusivement les majorations des articles 1727 et 1729 du même code, lesquelles ne permettent pas à elles seules la mise en oeuvre du mécanisme de dénonciation obligatoire au ministère public de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales.

20. Ils en concluent que la dénonciation de l'administration fiscale étant irrégulière, le procureur de la République ne pouvait valablement engager des poursuites pénales à l'encontre de M. [G], la violation de cette formalité substantielle faisant nécessairement grief au prévenu dans la mesure où les poursuites pour faits de fraude fiscale devant le juge pénal en sus des pénalités administratives doivent être réservées aux cas les plus graves tels que définis par le Conseil constitutionnel.

21. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

22. En premier lieu, l'absence d'annexion de l'avis de mise en recouvrement à la dénonciation de faits de fraude fiscale au procureur de la République par l'administration fiscale ne constitue pas une cause de nullité de la procédure.

23. En second lieu, la cour d'appel ne pouvait constater l'irrégularité de la dénonciation obligatoire et prononcer l'annulation des actes subséquents alors que, d'une part, il lui appartenait de rechercher s'il résultait de l'ensemble des pièces du dossier, notamment la proposition de rectification définitive notifiée au contribuable et la réponse de l'administration fiscale aux observations de celui-ci, que le montant des droits éludés était supérieur à 100 000 euros et que les majorations appliquées, appréciées au stade de la mise en recouvrement, entraient dans les catégories visées par l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales, d'autre part, s'agissant de l'avis de mise en recouvrement, elle ne pouvait analyser ses mentions indépendamment des documents auxquels il faisait référence, conformément à l'article R. 256-1 du même livre.

24. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 10 mars 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;



ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.

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