6 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-10.419

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00845

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 septembre 2023




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 845 F-D

Pourvoi n° E 22-10.419




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 SEPTEMBRE 2023

M. [D] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 22-10.419 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société BM chimie Martigues, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de M. [P], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société BM chimie Martigues, après débats en l'audience publique du 14 juin 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2021) et les pièces de la procédure, M. [P] a été engagé en qualité de conducteur poids-lourd le 1er septembre 2003 par la société BM chimie, devenue BM chimie Martigues. Il a été élu membre titulaire de la délégation unique du personnel le 7 janvier 2013.

2. Son contrat de travail a été suspendu à trois reprises pour maladie non professionnelle en 2009, 2011 et 2013. Le salarié a été déclaré invalide, catégorie 1, par décision de la caisse primaire d'assurance maladie (la caisse) du 8 avril 2011. Il a été en arrêt de travail du 7 avril 2013 au 31 décembre 2014. Il a été classé invalide, catégorie 2, à compter du 1er janvier 2015.

3. Le 21 janvier 2015, lors de la seconde visite médicale de reprise, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude du salarié à son poste en précisant qu'il serait apte à un poste de type administratif à temps partiel.

4. Par lettre du 5 février 2015, le salarié a indiqué à son employeur qu'il imputait sa pathologie et son inaptitude à son emploi de chauffeur et à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et lui a demandé de procéder à une déclaration d'accident du travail, ce que l'employeur a refusé.

5. Le 11 avril 2015, le salarié a formulé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse.

6. Le 23 juillet 2015, l'employeur a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder au licenciement du salarié, autorisation qui lui a été accordée le 17 août 2015.

7. Le 26 août 2015, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

8. Le 7 octobre 2015, la caisse a pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle.

9. Le 11 mars 2019, le salarié a introduit devant le pôle social un recours afin de reconnaître que la faute inexcusable de l'employeur est à l'origine de sa maladie professionnelle et a demandé, notamment, le paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur l'ensemble des préjudices subis, comprenant l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, la perte d'emploi, la perte de chance d'être rémunéré à 100 % et la perte de droit à la retraite.

10. Par jugement prononcé le 7 septembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a, notamment, ordonné une expertise médicale et alloué une indemnité provisionnelle au salarié.
11. Auparavant, le 23 mars 2017, invoquant le caractère professionnel de sa maladie, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de diverses sommes.

Recevabilité du mémoire en défense examinée d'office

Vu l'article 982 du code de procédure civile :

12. Le mémoire en défense, qui n'a été ni remis au greffe ni notifié à l'avocat du demandeur dans le délai de deux mois à compter de la signification du mémoire du demandeur, est irrecevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, en ce qu'il reproche à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande au titre des congés payés afférents à la prime de treizième mois


13. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le deuxième moyen en ce qu'il reproche à l'arrêt de renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en réparation du préjudice pour perte de chance d'être rémunéré à 100 % de son salaire

Enoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l'arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice pour perte de chance d'être rémunéré à 100 % de son salaire, alors « que si l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l'employeur de son obligation de sécurité, le juge prud'homal est compétent ; que la cour d'appel qui a décidé qu'elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d'être rémunéré à 100 % constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l'emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s'expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 1242-1 du code de sécurité sociale et de l'article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte des articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale que si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle, qu'elle soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

16. Ayant constaté que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la perte de chance d'être rémunéré à 100 % de son salaire était un préjudice résultant non pas de la rupture abusive mais de la maladie professionnelle et que cette demande relevait de la compétence du pôle social du tribunal judiciaire.

17. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il reproche à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande à titre de rappel de treizième mois

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande à titre de rappel de 13ème mois, alors « que lorsqu'il résulte d'une disposition conventionnelle, ou d'un accord d'entreprise, qu'une prime est versée au salarié sans condition de durée effective de présence dans l'entreprise, l'employeur ne peut décider de modalités d'attribution moins favorables au salarié ; que la cour d'appel qui a retenu que le contrat de travail prévoyait une rémunération versée sur 13 mois selon les règles en usage de l'entreprise et que le salarié ne démontrait pas que selon l'usage de l'entreprise la prime de treizième mois était accordée sans condition de présence effective dans l'entreprise mais qui ne s'est pas expliquée sur les modalités de l'accord NAO 2013 fixant l'attribution de cette prime, invoqué par le salarié, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 2 du chapitre V de l'accord d'entreprise relatif à la NAO 2013 concernant les règles sociales et les rémunérations de l'ensemble des salariés :

19. Aux termes de l'article 1134 susvisé, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

20. Aux termes de l'article L. 2254-1 susvisé, lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables.

21. Aux termes du dernier texte visé, les salariés entrés dans l'entreprise avant le 1er octobre 2007 bénéficient d'un 13ème mois dont le versement s'effectue avec la paye de décembre, soit entre le 20 et le 25 décembre de chaque année. Le 13ème mois sera payé ancienneté incluse.

22. Pour débouter le salarié de sa demande de paiement de rappel de treizième mois, l'arrêt retient que, selon le contrat de travail, la rémunération mensuelle brute pour 180 heures sera versée sur treize mois selon les règles en usage dans la société pour les personnes ayant acquis une ancienneté de neuf mois minimum et calculé au prorata du temps de présence, que le salarié ne démontre pas que, selon l'usage en vigueur dans l'entreprise, la prime de treizième mois était accordée sans condition de présence effective dans l'entreprise, et que la fiche de règles de paie de la société fait ressortir l'existence d'un abattement en cas d'absence, sauf maternité, accident du travail et accident de trajet.

23. En statuant ainsi, alors que l'accord collectif applicable, dont les dispositions sur ce point sont plus favorables que les stipulations du contrat de travail, n'exige pas d'autre condition au versement de la prime de treizième mois qu'une entrée dans l'entreprise antérieure au 1er octobre 2007, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen relevé d'office

24. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale :

25. Il résulte de ces articles que si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle, qu'elle soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

26. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que celui-ci n'expose pas la nature et l'étendue du préjudice qu'il aurait subi à raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en sorte que malgré la reconnaissance de la maladie professionnelle du salarié, la cour d'appel ne peut que garder sa compétence et le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

27. En statuant ainsi, alors qu'il résultait d'une part des conclusions du salarié que celui-ci invoquait, au titre des préjudices subis, les souffrances endurées, la dégradation de son état de santé et son inaptitude, d'autre part des constatations de l'arrêt que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, et que, sous le couvert d'une action en responsabilité contre l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité, le salarié demandait en réalité la réparation d'un préjudice né de la maladie professionnelle dont il avait été victime, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, en ce qu'il reproche à l'arrêt de renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l'emploi

Enoncé du moyen

28. Le salarié fait grief à l'arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l'emploi, alors « que si l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l'employeur de son obligation de sécurité, le juge prud'homal est compétent ; que la cour d'appel qui a décidé qu'elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d'être rémunéré à 100 % constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l'emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s'expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 1242-1 du code de sécurité sociale et de l'article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1411-1 du code du travail et les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale :

29. D'une part il résulte des textes susvisés que, si l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle, qu'elle soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

30. D'autre part, est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

31. Pour renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l'emploi, après avoir constaté que le lien de causalité, au moins partiel, entre le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui a consisté à ne pas réduire le temps de conduite poids-lourd après l'avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011 et la maladie professionnelle du salarié ayant abouti à son inaptitude, est avéré, l'arrêt retient que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprennent le préjudice lié à la perte de l'emploi et que cette demande d'indemnisation de la perte de l'emploi, même consécutive au licenciement pour inaptitude, correspond à une demande en réparation d'un préjudice né de la maladie professionnelle, du ressort de la juridiction des affaires de sécurité sociale saisie.

32. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié demandait la réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et faisait valoir que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

33. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction judiciaire, dans le cadre d'un licenciement autorisé par l'inspecteur du travail, d'accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement et du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, alors « que l'autorisation de licenciement pour inaptitude donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations et le juge judiciaire doit se prononcer sur les demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison des manquements de l'employeur ; que la cour d'appel qui s'est déclarée incompétente pour se prononcer sur la régularité de la procédure et le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à ce titre, sans s'expliquer sur la demande formulée au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16 et 24 août 1790, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, l'article L. 2421-3 alors applicable et l'article L. 4121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le principe de séparation des pouvoirs, l'article L. 2421-3, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, et l'article L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, du code du travail :

34. Il résulte des textes et du principe susvisés que, dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

35. Pour dire qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction judiciaire dans le cadre du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail d'accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le lien de causalité, au moins partiel, entre le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui a consisté à ne pas réduire le temps de conduite poids-lourd après l'avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011 et la maladie professionnelle du salarié ayant abouti à son inaptitude, était avéré, mais que son licenciement a été autorisé par l'inspecteur du travail par décision du 17 août 2015, en sorte que la juridiction judiciaire ne saurait, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

36. En statuant ainsi, sans examiner la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fondée sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé les textes et le principe susvisés.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

37. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des indemnités prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail, alors « que les règles protectrices applicables aux victimes d'accident du travail ou d'une maladie professionnelle, s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a été portée à la connaissance de l'employeur au moment du licenciement ; qu'il suffit que l'employeur ait été informé de la volonté du salarié de faire reconnaître l'origine professionnelle de sa maladie à la date du licenciement ; que la cour d'appel qui a constaté que le lien de causalité entre le manquement à son obligation de sécurité et la maladie professionnelle était avéré, que l'employeur avait eu connaissance dès le 5 février 2015 de la volonté d'imputer sa maladie à son emploi et qui a considéré que l'employeur n'avait pas connaissance de l'origine professionnelle de la maladie au jour du licenciement le 26 août 2015, a violé l'article L. 1226-14 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-10, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, et L. 1226-14 du code du travail :

38. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.

39. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de l'article L. 1226-14 du code du travail, l'arrêt retient que ce n'est que par courrier du 5 février 2015 que le salarié a indiqué à son employeur qu'il imputait sa pathologie et son inaptitude à son emploi de chauffeur et à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et demandait à l'employeur de déclarer un accident du travail, ce qu'il avait refusé, que le salarié avait alors procédé à la déclaration de maladie professionnelle le 11 avril 2015, postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement le 3 février 2015, que les relevés de paiement des indemnités journalières de sécurité sociale pour les années 2013 et 2014 versés aux débats ne font état que d'indemnités journalières normales et non pas d'indemnités journalières pour accident du travail ou maladie professionnelle, que ce n'est qu'en octobre 2015 que le caractère professionnel de la maladie du salarié a été reconnu par la caisse et que ces éléments ne permettent pas de considérer que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude lors du licenciement le 26 août 2015.

40. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que l'inaptitude du salarié était imputable au manquement de l'employeur qui n'avait pas réduit le temps de conduite du poids-lourd du salarié après l'avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011, que celui-ci avait informé son employeur le 5 février 2015 qu'il imputait sa pathologie à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et lui avait demandé de déclarer un accident du travail, ce que l'employeur avait refusé, que le salarié avait procédé à la déclaration de maladie professionnelle le 11 avril 2015 et que le licenciement avait été notifié le 26 août 2015, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

41. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

42. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sans renvoi sur la juridiction compétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

43. Cette demande d'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire et il y a lieu de renvoyer le salarié devant le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, déjà saisi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande de paiement des congés payés afférents à la prime de treizième mois, en ce qu'il renvoie M. [P] à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne sa demande de réparation du préjudice pour perte de chance d'être rémunéré à 100 % de son salaire et en ce qu'il condamne la société BM chimie Martigues à verser à M. [P] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens d'appel, l'arrêt rendu le 25 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi devant la cour d'appel sur le chef de dispositif ayant débouté M. [P] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Renvoie, sur la demande de M. [P] de condamnation de la société BM chimie Martigues au paiement d'une somme de 25 000 euros nets de CSG à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille déjà saisi ;

Remet, sur les points restant en litige, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société BM chimie Martigues aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société BM chimie Martigues à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six septembre deux mille vingt-trois.

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