30 août 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-12.307

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Rapport - Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00513

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Redressement et vérifications (règles communes) - Redressement contradictoire - Notification - Débiteurs solidaires - Défaut de notification d'un acte à tous les redevables solidaires - Sanction - Portée

Le respect de la procédure contradictoire et la loyauté des débats impliquent que les actes suivants la proposition de rectification soient notifiés par l'administration fiscale dès leur établissement au cours de la procédure administrative à tous les débiteurs solidaires afin que ceux-ci puissent participer de façon utile à la procédure. L'irrégularité résultant du défaut de notification d'un acte de la procédure administrative à tous les redevables solidaires n'atteint la procédure, à quelque stade que celle-ci se trouve, qu'après l'acte qui n'a pas fait l'objet d'une notification régulière. Il s'ensuit que le défaut de notification des actes de la procédure administrative à tous les redevables solidaires n'est pas susceptible d'être régularisé par une notification en cours d'instance et que, faute de notification à l'un des codébiteurs de la dette fiscale de la décision rejetant la réclamation contentieuse formée par l'un d'entre eux, la notification de cette décision est irrégulière et les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant cette notification

IMPOTS ET TAXES - Redressement et vérifications (règles communes) - Redressement contradictoire - Notification - Débiteurs solidaires - Défaut de notification d'un acte à tous les redevables solidaires - Régularisation par une notification en cours d'instance - Possibilité (non)

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 août 2023




Cassation partielle sans renvoi


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 513 F-B+R

Pourvoi n° M 21-12.307




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023

1°/ M. [S] [C],

2°/ Mme [D] [C],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° M 21-12.307 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre civile TGI), dans le litige les opposant au directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de La Réunion, domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de M. et Mme [C], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de La Réunion, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mme Lion, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 18 décembre 2020) et les productions, [O] [I] [K] [M] [B] est décédée le [Date décès 1] 2007, en laissant pour lui succéder ses deux enfants, M. et Mme [S] et [D] [C].

2. La déclaration de succession a été déposée le 6 mai 2011 et enregistrée au service des impôts des entreprises le 17 mai 2011.

3. Le 30 janvier 2013, soutenant que certaines sommes avaient été portées à tort au passif successoral, l'administration fiscale a notifié à M. [C] une proposition de rectification au titre des droits d'enregistrement.

4. Le 26 décembre 2013, l'administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement (AMR) des suppléments de droits réclamés.

5. Le 31 décembre 2016, M. [C] a formé une réclamation, qui a été rejetée par l'administration fiscale le 9 mars 2017.

6. M. [C] a assigné l'administration fiscale en annulation de la décision de rejet de sa réclamation et en décharge des droits mis en recouvrement.

7. Mme [C] est intervenue volontairement à l'instance en cause d'appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

8. M. [C] et Mme [C] font grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité de la procédure de rectification pour défaut de notification à Mme [C] et, confirmant le jugement, de dire qu'il appartiendra à la direction régionale des finances publiques de La Réunion d'adresser à M. [C] un AMR prenant en compte la somme de 1 972 210,30 euros au titre du passif déductible de droits de succession, et non la somme de 2 036 947,17 euros, et de maintenir l'imposition relative aux sommes de 675 596 euros et 184 832 euros, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 1705 du code général des impôts et R.* 256-2 du livre des procédures fiscales que, si l'administration fiscale peut choisir de notifier les redressements à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure suivie ensuite doit être contradictoire, la loyauté des débats l'obligeant à notifier les actes de la procédure à tous ces redevables au cours de la phase précontentieuse comme de la phase contentieuse, afin que chacun soit en mesure de les contester ou de faire valoir ses observations ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt que, depuis la décision de rejet de la réclamation de M. [C] en date du 9 juin 2017, qui a conduit celui-ci à introduire une procédure contentieuse, jusqu'aux actes subséquents intervenus au cours de la procédure de première instance, à laquelle Mme [C] n'a pas été partie, cette dernière n'a été personnellement destinataire d'aucun acte de procédure ; qu'en jugeant néanmoins la procédure régulière aux motifs que cette irrégularité ne lui avait causé aucun grief puisqu'elle était "représentée par un avocat" et qu'elle avait été destinataire, le 30 janvier 2013, "de l'intention de l'administration de procéder à un redressement", motifs impropres à justifier la validité d'une procédure atteinte d'une nullité substantielle que l'intéressée pouvait invoquer sans qu'il lui soit besoin d'établir un grief, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble le principe du contradictoire et des droits de la défense ;

4°/ que, si l'administration peut choisir de notifier les redressements à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure suivie ensuite doit être contradictoire, la loyauté des débats l'obligeant à notifier les actes de procédure à tous les redevables solidaires ; que chacun d'eux peut se prévaloir d'un manquement au principe de loyauté et de la contradiction, y compris commis au préjudice d'un autre codébiteur ; qu'en énonçant que la procédure était régulière à l'égard de M. [C] dès lors qu'il n'avait subi "aucun grief de l'absence de sa sœur à la procédure de contestation", quand ce dernier était fondé à invoquer l'irrégularité d'une procédure atteinte de nullité erga omnes en raison du défaut de notification des actes de la procédure à tous les codébiteurs solidaires, la cour d'appel a violé les articles 1705 du code général des impôts et R.* 256-2 du livre des procédures fiscales, ensemble le principe du contradictoire et des droits de la défense. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1705 et 1709 du code général des impôts :

9. Selon le premier de ces textes, les droits des actes à enregistrer ou à soumettre à la formalité fusionnée sont acquittés par les parties, pour les actes sous signature privée qu'elles ont à faire enregistrer. Selon le second, les droits des déclarations des mutations par décès sont payés par les héritiers, donataires ou légataires et les cohéritiers sont solidaires.

10. La Cour de cassation juge, depuis 2008, de manière constante, que, si l'administration fiscale peut choisir d'adresser la proposition de rectification à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l'oblige à notifier les actes de celle-ci à tous les redevables (Com. 18 novembre 2008, pourvoi n° 07-19.762, Bull. 2008, IV, n° 195 ; Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-30.396, Bull. 2012, IV, n° 119), à moins que ces derniers ne se soient donné mandat exprès de représentation (Com., 7 avril 2010, pourvoi n° 09-14.516) et pour autant qu'elle ait pu en découvrir l'identité ou que celle-ci lui ait été révélée (Com., 6 novembre 2019, pourvoi n° 17-26.985).

11. Cette jurisprudence, initialement applicable à la procédure de rectification visée aux articles L. 54 B à L. 64 C du livre des procédures fiscales a été étendue à la phase contentieuse préalable auprès de l'administration, visée à l'article L. 198 A du même livre (Com., 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-11.861, publié) et à la procédure de recouvrement visée aux articles L. 252 à L. 283 F de ce livre (Com. 25 mars 2014, pourvoi n° 12-27.612, Bull. 2014, IV, n° 60).

12. Prenant en compte le caractère contradictoire de la procédure fiscale et l'obligation de loyauté qu'il incombe à l'administration de respecter à l'égard de chaque contribuable, cette jurisprudence aménage le régime de la solidarité fiscale. Elle contribue, par ailleurs, à favoriser la sécurité juridique, sans porter atteinte à la garantie de recouvrement de la créance de l'Etat, car elle permet, d'une part, à l'administration d'agir en paiement de l'intégralité de sa créance contre n'importe lequel des débiteurs solidaires, d'autre part, à chaque codébiteur, solidaire de la dette fiscale, de participer à la procédure administrative et de s'y défendre.

13. Ainsi, l'obligation de notification des actes par l'administration fiscale à tous les redevables solidaires, tout au long de la procédure suivant la notification de la proposition de rectification, les met chacun en mesure d'opposer à celle-ci les exceptions personnelles dont ils sont susceptibles de se prévaloir et les exceptions communes à tous les codébiteurs, assurant ainsi une protection effective des droits de la défense.

14. En outre, la Cour de cassation juge que l'irrégularité tirée du non-respect de cette exigence peut être soulevée par l'un quelconque des débiteurs solidaires, y compris par celui qui a été effectivement destinataire des actes, sans qu'il lui soit besoin d'établir un grief (Com., 26 février 2013, pourvoi n° 12-13.877, Bull. 2013, IV, n° 30).

15. En effet, chaque acte de la procédure fait nécessairement grief à chaque codébiteur solidaire en raison des risques d'une action récursoire ultérieure et de sa répercussion sur son patrimoine. L'absence de notification des actes aux codébiteurs solidaires fait grief également à celui contre lequel la procédure est menée, dès lors qu'il est privé, d'une part, des moyens de défense portant sur la régularité de la procédure ou le bien-fondé de l'imposition que les autres auraient pu invoquer au cours de la procédure, d'autre part et indépendamment de son fait, de l'exercice loyal d'une action récursoire.

16. Par ailleurs, le respect de la procédure contradictoire et la loyauté des débats impliquent que les actes soient notifiés dès leur établissement au cours de la procédure administrative à tous les débiteurs solidaires afin que ceux-ci puissent participer de façon utile à la procédure. C'est en ce sens que la Cour juge que la notification de l'AMR à un débiteur solidaire au cours de l'instance d'appel est tardive (Com., 18 mars 2020, pourvoi n° 17-31.233).

17. Enfin, s'agissant des conséquences de cette irrégularité, dans le cas où celle-ci intervient au cours de la procédure de rectification, la Cour de cassation, statuant au fond, a déclaré irrégulière la procédure fiscale, nul l'AMR et ordonné la décharge des droits et pénalités (Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-30.396, Bull. 2012, IV, n° 119 ; Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-30.397 ; Com., 18 mars 2020, pourvoi n° 17-31.233).

18. S'agissant d'une irrégularité concernant la phase contentieuse préalable, elle a approuvé les juges du fond de retenir que, faute de notification à tous les codébiteurs solidaires de la décision de rejet de la réclamation formée par l'un d'eux, la procédure ne pouvait, en l'état, donner lieu à recouvrement (Com., 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-11.861, publié).

19. Lorsque l'irrégularité est commise au cours de la procédure de recouvrement, elle juge que les actes en cause sont inopposables à l'intéressé, faute de notification personnelle régulière (Com. 25 mars 2014, pourvoi n° 12-27.612, Bull. 2014, IV, n° 60).

20. Soutenant que la jurisprudence de la Cour de cassation aboutit à sanctionner de façon excessive, par la décharge totale de la dette fiscale à l'égard de tous les codébiteurs solidaires, le fait que l'un d'entre eux n'ait pas reçu une notification valable de l'administration, l'avocat général est d'avis que le défaut de notification à l'égard de l'un des redevables solidaires de la dette fiscale constitue une exception personnelle, ayant pour effet, non pas d'entraîner la décharge totale de l'imposition à l'égard de tous, mais seulement de libérer le codébiteur solidaire, qui n'a pas reçu notification de sa part dans la dette, les autres codébiteurs solidaires profitant de cette libération à concurrence de cette part.

21. Or, une telle solution porterait atteinte à l'unicité de la dette fiscale, au principe selon lequel l'administration ne peut renoncer à recouvrer l'impôt et à l'exigence du respect du caractère contradictoire de la procédure administrative s'imposant à l'administration à l'égard de chaque contribuable.

22. Toutefois, il apparaît nécessaire de préciser la portée de l'irrégularité résultant du défaut de notification d'un acte de la procédure administrative à tous les redevables solidaires en jugeant désormais qu'une telle irrégularité n'atteint la procédure, à quelque stade que celle-ci se trouve, qu'après l'acte qui n'a pas fait l'objet d'une notification régulière. L'administration fiscale dispose ainsi, tant que la prescription n'est pas acquise, de la faculté de régulariser cette procédure en procédant à une nouvelle notification de l'acte en cause à l'ensemble des redevables solidaires.

23. Il s'ensuit que, lorsque l'irrégularité intervient au cours de la procédure de rectification, le défaut de notification d'un acte à tous les redevables solidaires entraîne l'irrégularité des actes subséquents, l'annulation de l'AMR et la décharge des droits et pénalités.

24. En revanche, lorsque l'irrégularité intervient au cours de la phase contentieuse préalable, celle-ci, postérieure à l'AMR, ne saurait entraîner la décharge des droits et pénalités.

25. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 16 que le défaut de notification des actes de la procédure administrative à tous les redevables solidaires n'est pas susceptible d'être régularisé par une notification en cours d'instance.

26. Pour déclarer régulière la procédure, l'arrêt retient que M. [C] n'a subi aucun grief de l'absence alléguée de sa sœur à la procédure de contestation et que Mme [C] n'a subi aucun grief du défaut de notification directe des actes de la phase contentieuse préalable auprès de l'administration.

27. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme [C] n'avait pas reçu, avant d'intervenir volontairement en cause d'appel, notification de la décision du 9 mars 2017 de rejet de la réclamation contentieuse de M. [C], codébiteur solidaire de la dette fiscale, ce dont il résultait que les parties devaient être replacées dans l'état où elles se trouvaient avant la notification à M. [C] de la décision de rejet de sa réclamation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

28. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

29. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
30. Faute de notification à Mme [C], codébitrice solidaire de la dette fiscale, de la décision du 9 mars 2017 rejetant la réclamation contentieuse de M. [C], il convient de déclarer irrégulière la notification de cette décision à M. [C] et de dire que les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant la notification de cette décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'intervention volontaire de Mme [C], l'arrêt rendu le 18 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement ;

Déclare irrégulière la notification de la décision de rejet du 9 mars 2017 ;

Dit que les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant la notification de cette décision à M. [C] ;

Condamne le directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de La Réunion, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de La Réunion, et le condamne à payer à M. [C] et à Mme [C] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.