12 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-20.361

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100532

Titres et sommaires

DONATION-PARTAGE - Définition - Portée

Il résulte des articles 1075 et 1076, alinéa 2, du code civil que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours

DONATION-PARTAGE - Définition - Actes séparés - Possibilité - Condition

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 juillet 2023




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 532 FS-B


Pourvois n°
R 21-20.361
W 21-23.425 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023


I - 1°/ M. [Y] [P],

2°/ M. [I] [P],

domiciliés tous deux [Adresse 3] (Belgique),

ont formé le pourvoi n° R 21-20.361 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [G] [P], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à Mme [X] [O], veuve [P], domiciliée [Adresse 2],

3°/ à la société HSBC Continental Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.



II - Mme [G] [P], a formé le pourvoi n° W 21-23.425 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [P],

2°/ à M. [I] [P],

3°/ à Mme [X] [O], veuve [P],

4°/ à la société Maray, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à la société HSBC continental Europe, société anonyme,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs au pourvoi n° R 21-20.361 invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° W 21-23.425 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de MM. [Y] et [I] [P], de Mme [O], veuve [P] et de la société Maray, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme [G] [P], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mmes Azar, Daniel, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 21-20.361 et W 21-23.425 sont joints.



Désistement partiel

2. Il est donné acte à Mme [G] [P] du désistement de son pourvoi n° W 21-23.425 en ce qu'il est dirigé contre la société HSBC continental Europe.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2021) et les productions, [K] [P] est décédé le 14 mars 2013, en laissant pour lui succéder sa fille [G], née d'une première union, ses fils [Y] et [I], nés d'une deuxième union, et Mme [X] [O], son épouse.

4. Par acte authentique reçu le 7 novembre 1995, [K] [P] avait consenti à ses trois enfants une « donation-partage anticipée », avec attribution, à sa fille, de la pleine propriété de quatre biens mobiliers, et à chacun de ses fils, de la nue-propriété de la moitié indivise d'un bien immobilier.

5. Par acte authentique reçu le 17 janvier 2008, auquel [K] [P] était intervenu en sa qualité de donateur, M. [I] [P] avait cédé à son frère sa quote-part indivise en nue-propriété du bien immobilier.

6. Des difficultés étant survenues au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, Mme [G] [P] a assigné ses cohéritiers en partage judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi n° R 21-20.361 et sur les premier, deuxième et troisième moyens, celui-ci pris en sa seconde branche, du pourvoi n° W 21-23.425


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° R 21-20.361 et sur les premier, deuxième et troisième moyens, celui-ci pris en sa seconde branche, du pourvoi n° W 21-23.425, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le second moyen du pourvoi n° R 21-20.361, qui est irrecevable.


Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi n° R 21-20.361

Enoncé du moyen

8. MM. [I] et [Y] [P] font grief à l'arrêt de dire que la donation-partage du 7 novembre 1995 est une donation simple, que cette donation devra être rapportée à la succession de [K] [P] et que la valeur de cette donation devra être appréciée au moment du partage, conformément à l'article 860 du code civil, alors :

« 1°/ que toute personne peut faire entre ses héritiers présomptifs, sous forme de donation-partage, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits ou de partie d'entre eux ; que la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que par acte de donation-partage consenti par [K] [P] le 7 novembre 1995, MM. [I] et [Y] [P] avaient reçu de leur père la moitié chacun de la nue-propriété "de lots immobiliers (jugement, p. 7 al. 9) et que par acte en date du 17 janvier 2008, M. [I] [P] a vendu à son frère sa quote-part indivise en nue-propriété", la cour d'appel a constaté qu'en sa qualité de donateur, il [[K] [P]] était présent et a donné son consentement à la vente entre les deux frères et renoncé à sa clause révocatoire en déclarant « donner son consentement à la présente vente à titre de licitation, et ce, conformément au terme de l'acte de donation-partage ci-après visé », et « renoncer purement et simplement (...) à l'action révocatoire, légale ou conventionnelle, dont il pourrait se prévaloir en cas d'inexécution des charges et conditions de ladite donation-partage et à l'exercice du droit de retour »" (arrêt, p. 9 al. 1er et 4) ; qu'il en résultait que le disposant était intervenu aux deux actes de donation et de partage, de sorte que l'opération constituait une donation-partage ; qu'en disant pourtant que la donation-partage du 7 novembre 1995 est une donation simple, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1076, alinéa 2, du code civil ;

2°/ que toute personne peut faire entre ses héritiers présomptifs, sous forme de donation-partage, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits ou de partie d'entre eux ; que la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes ; qu'en l'espèce, pour dire que la donation-partage du 7 novembre 1995 est une donation simple, la cour d'appel a retenu qu' il n'apparaît pas qu'il [[K] [P]] ait été à l'initiative de l'acte [du 17 janvier 2008] ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation" (arrêt, p. 9 al. 5) ; qu'en ajoutant ainsi à la loi des conditions qu'elle ne prévoit pas, la cour d'appel a violé l'article 1076, alinéa 2, du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 1075 du code civil, toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits sous forme de donation-partage.

10. Aux termes de l'article 1076, alinéa 2, du code civil, la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes.

11. Il résulte de ces textes que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours.

12. La cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'acte du 7 novembre 1995, qui n'attribuait que des droits indivis à MM. [Y] et [I] [P], ne pouvait, à lui seul, opérer un partage.

13. Elle a estimé que, si [K] [P], en sa qualité de donateur, avait donné son consentement à la vente intervenue entre ses fils, en renonçant à l'action révocatoire ainsi qu'à l'exercice du droit de retour, il n'apparaissait pas, pour autant, qu'il ait été à l'initiative de l'acte du 17 janvier 2008 ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation.

14. Elle en a déduit que l'acte n'avait pas résulté de la volonté du donateur de procéder au partage matériel de la donation, mais de celle des copartagés.

15. Ayant ainsi fait ressortir que la répartition des biens n'avait pas été effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'acte du 7 novembre 1995 était une donation rapportable à la succession du donateur.

16. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° W 21-23.425

Enoncé du moyen

17. Mme [G] [P] fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à MM. [Y] et [I] [P] la somme de 8 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts, alors « que la défense à une demande en justice ne peut, sauf circonstances particulières, dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue en première instance ; qu'en retenant en l'espèce, pour accueillir la demande des appelants tendant à voir condamner Mme [G] [P] à leur verser des dommages-intérêts pour résistance abusive à leurs demandes sur l'origine de son patrimoine, que cette dernière n'avait pas déféré à l'ordonnance du juge de la mise en état lui enjoignant de fournir des renseignements sur son patrimoine et son financement ni les annexes du rapport d'expertise à l'occasion de son divorce avec M. [F] [B]", et qu'elle avait ainsi causé un préjudice aux appelants qui n'ont pu vérifier si ses avoirs ont pour origine des oeuvres dont elle a directement ou indirectement pris possession de M. [K] [P] ou si elle a bénéficié de la part de ce dernier de dons manuels", quand les premiers juges avaient retenu que nonobstant la décision du juge de la mise en état (…) l'utilité de la communication de pièces relatives au patrimoine personnel de Mme [G] [P] n'est pas suffisamment démontrée dans le cadre de la demande en partage" et avaient, en conséquence rejeté la demande en dommages et intérêts présentée par MM. [Y] et [I] [P] à l'encontre de leur soeur, pour résistance abusive, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute susceptible de faire dégénérer en abus le droit de Mme [G] [P] de se défendre en justice, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

18. En application de ce texte, la défense à une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient alors au juge de spécifier, dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue par les premiers juges, malgré l'infirmation dont leur décision a été l'objet.

19. Pour condamner Mme [G] [P] à payer à MM. [Y] et [I] [P] la somme de 8 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt retient que, n'ayant pas déféré à l'ordonnance du juge de la mise en état lui enjoignant de fournir des renseignements sur son patrimoine et son financement, ainsi que les annexes d'un rapport d'expertise établi à l'occasion de son divorce, celle-ci n'a pas suffisamment justifié, y compris en cause d'appel, de la provenance et du financement de l'ensemble de son patrimoine.

20. En statuant ainsi, alors que les premiers juges avaient rejeté la demande de dommages-intérêts formée par MM. [Y] et [I] [P] nonobstant la décision du juge de la mise en état, la cour d'appel, qui n'a pas spécifié de circonstances particulières ayant fait dégénérer en abus la défense de Mme [G] [P], a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

21. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

23. La cassation du chef de dispositif condamnant Mme [G] [P] à payer à MM. [Y] et [I] [P] la somme de 8 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts emporte de plein droit obligation de restitution des sommes versées au titre de l'exécution de cette disposition.

24. Elle n'emporte pas la cassation des chefs de dispositifs relatifs aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme [G] [P] à payer à MM. [Y] et [I] [P] la somme de 8 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 26 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande de dommages-intérêts de MM. [Y] et [I] [P] ;

Condamne MM. [I] et [Y] [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-trois.

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