6 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.179

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300531

Titres et sommaires

VENTE - Garantie - Eviction - Charges non déclarées - Servitudes non apparentes - Effet

L'importance de la servitude occulte exigée par l'article 1638 du code civil ne conditionne que la résiliation de la vente, et non l'indemnisation du préjudice pouvant résulter pour l'acquéreur de toute servitude non apparente non déclarée lors de la vente

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 531 FS-B

Pourvoi n° E 22-13.179







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

1°/ Mme [C] [O],

2°/ M. [B] [I],

domiciliés tous deux [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° E 22-13.179 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [E] [V],

2°/ à M. [J] [V],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

3°/ à Mme [K] [T], veuve [V], domiciliée [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O] et de M. [I], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de MM. [E] et [J] [V] et de Mme [T], veuve [V], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Delbano conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 13 janvier 2022), M. [I] et Mme [O] (les acquéreurs) ont acquis de Mme [V], ainsi que de MM. [E] et [J] [V] (les vendeurs), la propriété d'une maison édifiée sur une parcelle dans le sous-sol de laquelle ils ont découvert, à l'occasion de la réalisation d'un projet d'extension, l'existence d'une canalisation enterrée faisant partie du réseau public des eaux usées empêchant la réalisation des travaux tels qu'envisagés.

2. Ils ont assigné les vendeurs en indemnisation de leur préjudice sur le fondement de la garantie de l'article 1638 du code civil au titre des servitudes non apparentes non déclarées et pour manquement du vendeur à son devoir d'information.

Examen des moyens

Sur le premier moyen , pris en sa seconde branche


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen

4. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que l'acquéreur d'un immeuble grevé d'une charge occulte a droit à une indemnité équivalente à la diminution de la valeur du terrain qui en résulte, quand bien même il n'établit pas qu'il n'aurait pas acquis s'il en avait eu connaissance ; qu'en déboutant les demandeurs de leur demande d'indemnisation en raison de l'existence d'un réseau public d'eaux usées traversant leur terrain, au motif qu'il était nécessaire que la servitude occulte soit d'une importance telle que le bien n'aurait pas été acquis si l'acheteur en avait eu connaissance et partant que la servitude occulte ne revêt pas le critère d'importance exigé par l'article 1638 du code civil pour l'obtention de la résiliation du contrat ou d'une indemnité, sans établir que cette charge ne diminuait en rien la valeur du bien acquis, la cour d'appel a violé l'article 1638 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1638 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité.

6. Cette disposition, qui figure au nombre des articles régissant la garantie en cas d'éviction, est une application du principe général posé par l'article 1626 du même code selon lequel le vendeur, dont l'obligation légale est d'assurer à l'acquéreur la possession paisible de la chose vendue, est obligé de droit à le garantir de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu ou des charges prétendues sur cet objet et non déclarées lors de la vente.

7. Il s'ensuit que l'importance de la servitude occulte exigée par l'article 1638 précité ne conditionne que la résiliation de la vente, et non l'indemnisation du préjudice pouvant résulter pour l'acquéreur de toute servitude non apparente non déclarée lors de la vente.

8. L'indemnisation est alors appréciée par le juge en fonction de l'existence et de l'importance du préjudice en résultant pour l'acquéreur.

9. Pour rejeter la demande d'indemnisation des acquéreurs, l'arrêt retient que l'acquisition du tènement immobilier n'était pas conditionnée à la possibilité de réalisation d'une extension du bâtiment et que la présence de la servitude occulte ne revêtait pas le critère d'importance exigé par l'article 1638 du code civil pour l'obtention de la résiliation du contrat ou d'une indemnité.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle n'était saisie que d'une demande de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;

Condamne Mme [K] [T], veuve [V], MM. [E] et [J] [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [K] [T], veuve [V], MM. [E] et [J] [V] et les condamne à payer à Mme [O] et à M. [I] la somme globale de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.

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