1 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.537

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00408

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juin 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 408 F-D

Pourvoi n° U 21-21.537




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUIN 2023

La société Boissiere expertise audit (BEA), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-21.537 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société Trimast Holding, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2] (Iles Caïmans), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Boissiere expertise audit, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2021), la société Kertel, filiale du groupe Iliad-Free, a été cédée en février 2007 à la société Proximania. Elle avait pour commissaire aux comptes la société Boissière expertise audit (la société BEA), laquelle a certifié sans réserve les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2007.

2. En octobre 2008, la société Proximania a obtenu un concours auprès de la société Goldman Sachs Bank garanti par le nantissement avec pacte commissoire des participations de la société Proximania dans ses principales filiales, dont la société Kertel. Les fonds ont, en réalité, été versés par la société Trimast Holding, la société Goldman Sachs ayant, entre-temps, décidé de se rétracter.

3. La société Proximania n'ayant que partiellement honoré l'échéance de juin 2009 du prêt, la société Trimast Holding a prononcé la déchéance du terme et mis en œuvre le pacte commissoire sur l'ensemble des titres donnés en garantie, notamment les titres Kertel.

4. La société Kertel puis la société Proximania ayant été mises en liquidation judiciaire, la société Trimast Holding a assigné la société BEA en responsabilité pour avoir certifié sans réserve les comptes de la société Kertel pour l'exercice 2007.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société BEA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'irrecevabilité, et de dire, en conséquence, infirmant le jugement, qu'elle avait commis une faute consistant à certifier les comptes de l'année 2007 de la société Kertel comprenant un avoir envers la société Free pour un montant de 4 139 000 euros contribuant de façon importante à donner une image inexacte des comptes, désigné un expert judiciaire en lui confiant la mission de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et de rechercher tous éléments permettant d'éclairer la cour pour chiffrer le préjudice subi par la société Trimast Holding résultant de la perte de chance de ne pas avoir financé le prêt de 20 millions d'euros, et de ne pas avoir acquis la créance en résultant et de ne pas prendre les décisions en résultant inéluctablement, et de surseoir à statuer sur les demandes principales et incidentes et renvoyer l'affaire à une prochaine audience après dépôt du rapport de l'expert, alors :

« 1°/ qu'un créancier d'un débiteur en procédure collective est irrecevable à agir en réparation de la perte de sa créance, de même qu'un associé ou actionnaire de la société en procédure collective est irrecevable à agir en réparation de la perte de ses apports à la société ou la perte de valeur des parts ou actions acquises, qui sont la conséquence de la faillite de la société débitrice et ne sont qu'une fraction du préjudice subi collectivement et indistinctement par tous ses créanciers, dont la défense relève du monopole d'action du mandataire judiciaire ; que, par jugement définitif du 16 mai 2013, le tribunal de commerce de Paris avait dit la société Trimast Holding recevable à agir uniquement en réparation de la perte de chance de ne pas consentir le prêt Goldman Sachs et de ne pas investir dans la société Proximania, mais l'avait jugée irrecevable à agir en réparation des préjudices résultant de la perte de sa créance sur la société Proximania au titre du prêt, du fait de s'être fait remettre, en septembre 2009, les titres des filiales, dont ceux de la société Kertel, en exécution du pacte commissoire, et de ses décisions d'investissements ultérieures dans Kertel prises en sa qualité de nouvel actionnaire, et de perte des sommes alors investies ; que la société BEA se prévalait de l'autorité de la chose jugée par cette décision pour faire juger irrecevables les demandes de la société Trimast Holding dès lors que la société Goldman Sachs n'était intervenue que comme prête-nom et que c'était la société Trimast Holding qui avait directement prêté la somme de 20 millions d'euros à la société Proximania, et que, sous couvert de demander réparation de la perte de chance de ne pas consentir le prêt Goldman Sachs et de ne pas investir dans la société Proximania, la société Trimast Holding demandait, en réalité, à la cour d'appel, de l'indemniser des autres chefs de préjudices écartés par le jugement du 16 mai 2013 ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter ce moyen, que le jugement du 16 mai 2013 avait déjà définitivement statué sur la recevabilité des demandes de la société Trimast Holding, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les préjudices invoqués par la société Trimast Holding devant la cour d'appel correspondaient bien à la perte de chance de ne pas consentir le prêt Goldman Sachs et de ne pas investir dans la société Proximania, seuls recevables, et s'ils ne tendaient pas, en réalité, à l'indemniser de la perte de sa créance sur la société Proximania au titre du prêt, du fait de s'être fait remettre en paiement de cette créance, en septembre 2009, les titres des filiales, dont ceux de la société Kertel, en exécution du pacte commissoire, et de ses décisions d'investissements ultérieures dans Kertel prises en sa qualité de nouvel actionnaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-20 du code de commerce ;

2°/ qu'en toute hypothèse, l'autorité de chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en se bornant à affirmer que la recevabilité des demandes de la société Trimast Holding avait été tranchée par le jugement définitif du tribunal de commerce de Paris du 16 mai 2013, sans rechercher, comme elle y était invitée par la société BEA, si un élément nouveau, postérieur au jugement du 16 mai 2013, tiré du fait qu'il s'était avéré que la société Goldman Sachs n'était intervenue que comme prête-nom et que c'était la société Trimast Holding qui avait directement prêté la somme de 20 millions d'euros à la société Proximania, n'avait pas modifié la situation antérieurement reconnue en justice et la cause de la demande de la société Trimast Holding, puisque les préjudices invoqués par cette société s'en trouvaient modifiés, de sorte que sous couvert de demander réparation de la perte de chance de ne pas consentir le prêt Goldman Sachs et de ne pas investir dans la société Proximania, jugée recevable, la société Trimast Holding demandait, en réalité, à la cour d'appel, de l'indemniser des autres chefs de préjudice définitivement écartés par le jugement du 16 mai 2013, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il ressort des constatations de l'arrêt que la société Trimast Holding a été, aux termes du jugement du 16 mai 2013, irrévocablement déclarée recevable, en tant que cessionnaire de la créance prétendument détenue par la société Goldman Sachs sur la société Proximania, à demander réparation de la perte de chance pour cette dernière de ne pas consentir le prêt litigieux assorti de ses accessoires, notamment le nantissement avec pacte commissoire sur les actions de la société Kertel, et de la perte de chance de ne pas acquérir la créance en résultant et de ne pas prendre les décisions en découlant inéluctablement.

7. La circonstance que, postérieurement à ce jugement, il est apparu que la société Goldman Sachs Bank n'avait joué qu'un rôle de prête-nom et que l'intégralité du concours avait, dès l'origine, été consenti pas la société Trimast Holding a seulement pour effet que cette dernière tient directement de sa qualité de prêteur, et non de celle de cessionnaire de créance, qu'elle n'a jamais eue, le droit de demander réparation de la perte de chance de ne pas consentir les concours litigieux.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société BEA fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis une faute consistant à certifier les comptes de l'année 2017 de la société Kertel comprenant un avoir envers la société Free pour un montant de 4 139 000 euros contribuant de façon importante à donner une image inexacte des comptes, et de désigner, en conséquence, un expert judiciaire en lui confiant la mission de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et de rechercher tous éléments permettant d'éclairer la cour pour chiffrer le préjudice subi par la société Trimast Holding résultant de la perte de chance de ne pas avoir financé le prêt de 20 millions d'euros, de ne pas avoir acquis la créance en résultant et de ne pas prendre les décisions en résultant inéluctablement, et de surseoir à statuer sur les demandes principales et incidentes et renvoyer l'affaire à une prochaine audience après dépôt du rapport de l'expert, alors « qu'une certification erronée n'engage la responsabilité du commissaire aux compte que si les comptes objet de cette certification étaient connus par le demandeur à l'action lorsqu'il s'est engagé et qu'ils ont eu une influence sur son engagement ; qu'en se bornant à affirmer, pour estimer que l'absence de réserve sur la comptabilisation de l'avoir Free pour un montant de 4 139 000 euros comme un produit à recevoir dans les comptes de la société Kertel de l'exercice clos le 31 décembre 2007 "a(vait) joué un rôle causal", que "comme l'indiqu(ait) M. [V] [U] expert, l'exercice clos au 31 décembre 2007 enregistrait inexactement un produit à recevoir de 4 139 000 euros, de sorte qu'elle a(vait) contribué de façon importante à donner une image inexacte des comptes, l'existence de cet avoir dans les comptes 2007 constituant une anomalie significative puisqu'elle représent(ait) plus de 10 % du chiffre d'affaires et qu'elle (était) supérieure au résultat de l'exercice", sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sociétés Goldman Sachs et Trimast Holding s'étaient fondés sur ces comptes pour prendre leurs décisions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article L. 822-17 du code commerce. »

Réponse de la Cour

10. Si elle a caractérisé l'existence d'une faute commise par la société BEA pour avoir certifié sans réserve les comptes de la société Kertel, la cour d'appel, qui ne s'est prononcée ni sur le préjudice allégué par la société Trimast Holding ni sur le lien de causalité entre la faute de la société BEA et ce préjudice, n'a pas statué sur la responsabilité de ce commissaire aux compte, s'étant bornée, sur ce point, à ordonner, avant-dire droit, une mesure d'expertise.

11. Le moyen manque donc en fait.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Boissière expertise audit aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Boissière expertise audit ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.

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