17 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.832

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00552

Texte de la décision

SOC.

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 mai 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 552 F-D

Pourvoi n° R 21-19.832




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MAI 2023

M. [I] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-19.832 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [K]-[H], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de mandataire liquidateur de l'association HAD Martinique soins santé services,

2°/ à l'AGS-CGEA de Fort de France, dont le siège est [Adresse 4],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [N], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société [K]-[H], après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 22 mars 2021) rendu sur renvoi après cassation (Soc., 22 mars 2017, pourvoi n° 15-25.992), M. [N] a été engagé le 1er juillet 2007 en qualité de chef comptable par l'association HAD Martinique soins santé services (l'association).

2. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 11 juillet 2011, l'employeur lui reprochant des faits de dénonciations excédant sa liberté d'expression et en violation de son obligation contractuelle de discrétion.

3. Contestant le motif de cette rupture, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

4. Par un jugement du 21 juillet 2015, le tribunal de commerce de Fort-de-France a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'association, puis cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 20 septembre 2016, la société [K]-[H] (la société) étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement prononcé à son encontre était justifié par une faute grave et, en conséquence, de le débouter de ses demandes tendant à condamner la société, ès qualités, à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire et de salaires pour la période de mise à pied conservatoire, la décision de condamnation devant être déclarée opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 3], alors « que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que le licenciement était fondé sur une faute grave, que si M. [N] n'avait pas abusé de sa liberté d'expression, la lettre du 27 mai 2011 faisait néanmoins état d'informations de l'entreprise auprès de tiers, de sorte que M. [N] avait méconnu son obligation de discrétion, bien que cette obligation ait constitué une restriction disproportionnée à la liberté d'expression de M. [N], la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau.

7. Cependant, le moyen tiré d'une restriction disproportionnée à la liberté d'expression du salarié était inclus dans le débat devant la cour d'appel.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :

9. Il résulte de ce texte que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.

10. Pour dire le licenciement justifié par une faute grave, l'arrêt, après avoir constaté que les termes de la lettre du 27 mai 2011 ne caractérisaient pas un abus par le salarié de sa liberté d'expression, retient que ce même courrier fait notamment état d'informations relatives à l'attribution d'indices de rémunération et de primes à des membres de la structure, en particulier de la direction, de l'équipe médicale et du conseil d'administration. Il ajoute que ces indications présentent un degré de précision concernant le niveau de rémunération dénoncé ainsi que les bénéficiaires.

11. Il retient encore que dans ces conditions, le salarié a diffusé à des tiers des informations détaillées relatives au fonctionnement de l'association dont il avait connaissance dans le cadre de ses fonctions et dont il ne pouvait ignorer leur caractère confidentiel eu égard à l'obligation de discrétion absolue figurant dans son contrat de travail et à son statut de cadre au sein de la structure. Il ajoute que la circonstance qu'il ait communiqué ces éléments à un nombre restreint de personnes, elles-mêmes soumises à un devoir de confidentialité et disposant d'un pouvoir de contrôle, est sans incidence, dès lors qu'il a méconnu l'obligation de discrétion à laquelle il était soumis et que son courrier s'adressait principalement à la directrice de l'association.

12. Il en déduit que la méconnaissance par le salarié de son obligation de discrétion, au demeurant rappelée dans son contrat de travail, justifie, eu égard à leur teneur, son niveau de responsabilité et les destinataires de leur diffusion, son licenciement pour faute grave.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié n'avait divulgué, en des termes qui n'étaient ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, les informations qu'à un nombre limité de personnes, la directrice générale de l'HAD Martinique, le directeur de l'agence régionale de santé, l'inspection du travail et la médecine du travail, elles-mêmes soumises à une obligation de confidentialité et disposant d'un pouvoir de contrôle sur l'association, ce dont il résultait que l'interdiction de leur divulgation n'était ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

14. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [N] est justifié par une faute grave et, en conséquence, le déboute de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité de préavis, d'indemnité de congés payés sur préavis et de versement du salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire, l'arrêt rendu le 22 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;

Condamne la société [K]-[H] en qualité de mandataire liquidateur de l'association HAD Martinique soins santé services aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [K]-[H], ès qualités, et la condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

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