11 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.400

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00333

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Impôt de solidarité sur la fortune - Assiette - Exclusion - Biens professionnels - Titres de placement et liquidités d'une société holding animatrice de son groupe - Présomption de biens professionnels pouvant être écartée par la preuve contraire à la charge de l'administration fiscale

Pour l'application de l'article 885 O ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988, les liquidités et titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés, l'administration fiscale pouvant renverser cette présomption en démontrant que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social. Est assimilée à une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale une société holding qui a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une telle activité opérationnelle et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Les liquidités et titres de placement figurant au bilan d'une société holding animatrice de son groupe sont ainsi présumés constituer des actifs nécessaires à son activité professionnelle, cette présomption pouvant cependant être écartée par la preuve contraire à la charge de l'administration fiscale

Texte de la décision

COMM.

CH.B


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 333 F-B

Pourvoi n° Y 21-15.400



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2023

M. [U] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-15.400 contre l'arrêt rendu le 19 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant :

1°/ au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2],

2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [M], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 2021), le 27 mars 2014, l'administration fiscale a notifié à M. [M] une proposition de rectification portant rappel d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les années 2010 à 2013, remettant en cause la qualification de biens professionnels d'une fraction du portefeuille de valeurs mobilières et des liquidités qu'il détenait dans la société en nom collectif Financière [U] [M] (la SNC), dont l'unique filiale était la société Cabinet [U] [M] (la société CMK), au motif que cette fraction correspondait à des liquidités et titres de placement inscrits au bilan de la SNC qui n'étaient pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social de la SNC et devait donc être réintégrée dans l'assiette taxable de l'ISF.

2. Après rejet de sa réclamation, M. [M] a assigné l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge des impositions supplémentaires réclamées.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de confirmer la décision de rejet de réclamation du 13 avril 2015 et l'avis de mise en recouvrement du 11 septembre 2015 et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :


« 1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions réciproques des parties, telles qu'elles ressortent de leurs conclusions ; qu'il résulte tant de la proposition de rectification du 27 mars 2014 fixant les termes du débat contradictoire que des conclusions de l'ensemble des parties, que le statut de société holding animatrice de la SNC était acquis, de sorte qu'elle utilisait sa participation dans sa filiale dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale qui mobilisait des moyens spécifiques ; qu'en retenant cependant que la participation financière de la SNC dans le capital de son unique filiale ne suffisait pas à rendre sa propre activité professionnelle, et que la logique financière poursuivie par le groupe [U] [M] ne suffisait pas à conférer un caractère professionnel à la totalité de la trésorerie, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il résulte de l'article 885 O bis du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, tel qu'interprété par une instruction administrative publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-PAT-ISF-30-30-40-10, que les sociétés holdings qui sont animatrices de leur groupe, participent activement à la conduite de sa politique et au contrôle des filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne au groupe, des services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers ou immobiliers, utilisent ainsi leur participation dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale qui mobilise des moyens spécifiques ; qu'en retenant que la participation financière de la SNC dans le capital de son unique filiale, dont l'activité professionnelle n'était pas discutée, ne suffisait pas à rendre sa propre activité professionnelle, tandis que le statut de société holding animatrice de la SNC était acquis aux termes tant de la proposition de rectification en cause que des conclusions de l'ensemble des parties, et qu'elle avait constaté que la SNC venait au soutien de l'activité de sa filiale en effectuant pour elle différentes prestations de service en matière financière, commerciale et de direction de missions, la cour d'appel a violé les articles 885 N et 885 O bis, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, et 885 O ter, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, du code général des impôts, ensemble l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ;

3°/ que la constitution de réserves dans le but, expressément mis en œuvre d'acquérir les locaux dans lesquels sera exercée l'activité professionnelle du groupe auquel appartient la société holding ayant constitué les réserves, établit le caractère exclusivement professionnel des liquidités mises en réserve le temps de trouver les locaux finalement acquis ; qu'en retenant que la trésorerie conservée par la SNC pendant les exercices fiscaux de la cause, entre 2010 et 2013, dans le but d'acquérir un bien immobilier pour héberger sa filiale, finalement réalisé le 30 septembre 2014, n'avait pas un caractère professionnel, la cour d'appel a violé les articles 885 N et 885 O bis du code général des impôts, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, et l'article 885 O ter du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 ;

4°/ qu'il résulte de la combinaison de l'article 885 O bis du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, tel qu'interprété par une instruction administrative publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-PAT-ISF-30-30-40-10, et de l'article 885 O ter du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, tel qu'interprété par une instruction administrative publiée au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-PAT-ISF-30-30-40-20, que pour réintégrer les valeurs de placement inscrites au bilan d'une société holding animatrice de son groupe, dont les parts ou actions constituent des biens professionnels pour le redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune, il incombe notamment à l'administration d'établir que ces valeurs ne sont pas nécessaires aux investissements envisagés dans le cadre de l'exercice de son activité de société holding animatrice ; qu'en retenant que la présomption du caractère professionnel des liquidités de la SNC était renversée au vu de la nature de son activité de prestation de services, de l'importance des liquidités et valeurs de placement par rapport au volume de cette activité et de ses besoins en trésorerie et de ses charges, tandis qu'il était constant que la SNC était une société holding animatrice de son groupe, et qu'elle constatait que cette société avait envisagé, pendant les exercices fiscaux en cause, un projet d'acquisition d'un bien immobilier pour héberger son unique filiale et que les liquidités et valeurs litigieuses avaient bien été employées à cette fin le 30 septembre 2014, peu important que l'acquisition ait finalement porté sur d'autres locaux, la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à établir que ces liquidités étaient non nécessaires aux investissements envisagés dans le cadre de l'exercice d'activité de société holding animatrice de la SNC, a violé les articles susvisés, ensemble l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 885 A, 885 N et 885 O bis du code général des impôts, alors applicables, que les titres des sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels exclus de l'assiette de l'ISF si leur propriétaire remplit certaines conditions et s'ils sont nécessaires à l'exercice de cette activité.

6. Est assimilée à une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale une société holding qui a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une telle activité opérationnelle et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.

7. Selon les dispositions de l'article 885 O ter du code général des impôts, seule la fraction de la valeur des parts ou actions d'une société correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de cette société est considérée comme un bien professionnel exonéré au titre de l'ISF.

8. Pour l'application de ce texte, les liquidités et titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés, l'administration fiscale pouvant renverser cette présomption en démontrant que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social.

9. Il en résulte que les liquidités et titres de placement figurant au bilan d'une société holding animatrice de son groupe sont présumés constituer des actifs nécessaires à son activité professionnelle, cette présomption pouvant cependant être écartée par la preuve contraire à la charge de l'administration fiscale.

10. Après avoir relevé que le litige porte sur le caractère nécessaire ou non à l'activité de la SNC de la totalité de sa trésorerie, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si la SNC détient la majorité du capital social de son unique filiale, la société CMK, et vient au soutien de l'activité de cette dernière en effectuant différentes prestations de services en matière financière et commerciale ou liées à la direction de missions, dont l'effectivité et l'utilité n'ont pas été remises en cause lors des procédures de vérification de comptabilité, cela ne suffit pas à démontrer que la totalité de la trésorerie de la SNC présente un caractère professionnel.

11. Il retient encore, après avoir analysé dans le détail les caractéristiques de la trésorerie ou des valeurs mobilières de placement de la SNC, que l'activité de cette dernière ne nécessite aucun investissement et que ses titres de placement, qui représentent cinquante fois le montant de son chiffre d'affaires, constituent un actif qui n'est pas utile à son activité de prestations de services, à ses besoins en trésorerie ou à sa politique de rémunération ou de distribution de dividendes.

12. L'arrêt relève, en outre, par motifs propres et adoptés, qu'il n'est pas établi que l'importance des titres de placement détenus par la SNC s'inscrivait dans un projet d'achat de locaux destinés à héberger les activités de la société CMK car, même si l'avocat de M. [M] a attesté avoir été mandaté début 2005 puis en 2014 pour négocier l'acquisition des locaux loués par la société CMK et que M. [M] a affirmé que la SNC avait bloqué une somme nécessaire à la réalisation de cet investissement immobilier depuis 2009, il était constant que la société CMK, locataire de ces locaux depuis 1996, était titulaire d'un bail renouvelé en 2005 et il n'était justifié d'aucune négociation avec leur propriétaire [par la production d'éventuelles offres d'achat qui auraient été présentées] entre 2005 et 2009 voire en 2014. Il relève encore que le congé de renouvellement du bail des locaux occupés par la société CMK lui a été signifié le 27 mars 2014 et que l'achat de locaux que la SNC a mis à sa disposition est intervenu postérieurement, soit après les années d'imposition retenues par la proposition de rectification.

13. De ces énonciations, constatations et appréciations, c'est, dès lors, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'a pas dénié à la SNC la qualité de holding animatrice de son groupe admise par l'administration fiscale, a déduit sans méconnaître l'objet du litige, que l'administration fiscale avait démontré que la trésorerie ou les titres de placement de la SNC ne constituaient pas, dans leur totalité, des actifs nécessaires à son activité professionnelle, en ce compris son activité de soutien à la société CMK, sa filiale, et que seule la fraction des titres de la SNC correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaire à son activité pouvaient être considérés comme biens professionnels exonérés au titre de l'ISF.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [M] et le condamne à payer au directeur général des finances publiques et au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.

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