19 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.051

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00490

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Harcèlement - Harcèlement moral - Existence - Existence d'un préjudice - Action en réparation - Prescription - Prescription quinquennale - Point de départ - Détermination - Portée

Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 1152-1 du code du travail que, d'une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié a connaissance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du harcèlement moral ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail. Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, retient que le dernier fait de harcèlement allégué par la salariée est constitué par une lettre de l'employeur datée du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis, sans s'expliquer sur la date à laquelle la salariée a pris connaissance de cette lettre

PRESCRIPTION CIVILE - Prescription quinquennale - Article 2224 du code civil - Domaine d'application - Action en réparation de harcèlement moral

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 490 F-B

Pourvoi n° B 21-24.051




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

Mme [O] [D], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-24.051 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [M], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société [M], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

M. [M] et la société [M] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [D], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [M] et de la société [M], après débats en l'audience publique du 22 mars 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), Mme [D] a été engagée le 11 mars 2002 par M. [M], notaire, en qualité d'employée accueil standard qualifiée. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du mois de mars 2008, puis licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 16 juillet 2008.

2. Soutenant notamment avoir subi un harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 16 septembre 2013, de demandes formées à l'encontre de M. [M] et de la société [M], tendant au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, à la nullité de son licenciement, à sa réintégration avec paiement d'une indemnité d'éviction, subsidiairement à défaut de réintégration, au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de rappel de salaire du mois de juillet 2008, de remise tardive des documents sociaux, de garantie d'emploi conventionnelle et du droit à l'information sur la formation.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors, « que les faits dont le salarié a connaissance après la fin du contrat de travail ne sauraient être appréhendés par les dispositions des articles L. 1151-1 et L. 1152-1 du code du travail ; que la cour d'appel qui constate que le courrier litigieux est daté du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis conventionnel, ce dont il s'inférait qu'il n'avait pu être reçu par Madame [D] que postérieurement à la fin de ce préavis et donc à la cessation de la relation de travail la liant à Maître [M], ainsi au demeurant que Mme [D] l'admettait elle-même dans ses écritures d'appel, ne pouvait, sans s'expliquer sur la date à laquelle Mme [D] avait eu connaissance de ce courrier, retenir celui-ci comme point de départ de la prescription de l'action en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral sans priver sa décision de base légale au regard des articles précités, ensemble les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail en sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 1152-1 du code du travail :

5. En application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

6. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

7. Il en résulte que, d'une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié a connaissance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du harcèlement moral ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail.

8. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par l'employeur, l'arrêt retient que le point de départ du délai de prescription est la date du dernier fait de harcèlement allégué par la salariée, de sorte que, celui-ci étant constitué par le courrier de l'employeur du 16 octobre 2008 daté du dernier jour du préavis conventionnel de trois mois, la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, formée le 16 septembre 2013, est recevable.

9. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la lettre de l'employeur était datée du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis, sans s'expliquer sur la date à laquelle la salariée avait pris connaissance de cette lettre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [M] à payer à Mme [D] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et en ce qu'il condamne M. [M] aux dépens, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.

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