13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-10.758

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00451

Texte de la décision

SOC.

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Cassation partielle sans renvoi


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 451 F-D

Pourvoi n° Y 22-10.758




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023

La société Soitec, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 22-10.758 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à Mme [L] [D], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Soitec, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [D], après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 18 novembre 2021), Mme [D] a été engagée le 7 février 2012 en qualité de responsable paie et administration par la société Soitec.

2. Elle a été déclarée inapte par le médecin du travail les 12 juillet 2016 et 3 août 2016.

3. La salariée s'était portée candidate le 25 juillet 2016 à l'élection des représentants du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

4. Après autorisation délivrée par l'inspecteur du travail le 28 novembre 2016, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à septième branches


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que ses manquements ont, en tout ou partie, été à l'origine de l'inaptitude physique définitive, qualifiée de professionnelle et fondant le licenciement, et de le condamner à payer à la salariée des sommes à titre d'indemnité d'un montant équivalent à l'indemnité compensatrice de préavis, de reliquat d'indemnité spéciale de licenciement, de dommages-intérêts pour perte injustifiée de l'emploi, outre intérêts au taux légal sur les sommes dues au principal à compter du 15 septembre 2017, date de la saisine, alors « que la consultation des délégués du personnel sur le projet de licenciement d'un salarié déclaré inapte par le médecin du travail constitue une formalité substantielle, dont l'inspecteur du travail doit contrôler le respect avant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé ; que sous l'empire des textes du code du travail relatifs à l'inaptitude antérieurs à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicables jusqu'au 31 décembre 2016, cette formalité n'était imposée qu'en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ; que sous l'empire de ces textes, il appartenait ainsi à l'administration de vérifier si cette formalité était applicable et donc d'apprécier si l'inaptitude avait pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et si l'employeur en avait connaissance ; que dès lors, en l'état d'une autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier pour inaptitude un salarié protégé, et lorsque le litige est soumis aux textes antérieurs à la loi du 8 août 2016, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, rechercher si l'inaptitude a une origine professionnelle et si l'employeur en avait connaissance ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la salariée a été licenciée le 5 décembre 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement après autorisation de l'inspection du travail ; qu'en retenant cependant que le juge judiciaire était compétent pour rechercher si l'inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et en retenant qu'en l'espèce l'inaptitude définitive de la salariée à son poste avait en tout ou partie une origine professionnelle dont l'employeur avait connaissance au moment du licenciement, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, les articles L. 2411-1 et L. 2411-7 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, l'article L. 1226-10 dudit code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article L. 1226-14 du même code. »

Réponse de la Cour

7. Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

8. Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail d'apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. Le juge judiciaire demeure par ailleurs compétent, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs, pour rechercher si l'inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et accorder, dans l'affirmative, les indemnités spéciales prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail.

9. La cour d'appel a estimé, d'une part, que l'employeur avait commis un manquement à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude, et d'autre part, que l'inaptitude avait au moins partiellement pour origine un accident du travail, et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, à bon droit et sans violer le principe de séparation des pouvoirs, condamné l'employeur à payer à la salariée une indemnité pour perte d'emploi injustifiée, ainsi qu'une indemnité spéciale de licenciement et une indemnité d'un montant équivalent à l'indemnité compensatrice de préavis.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée les intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2017, date de la saisine, sur la somme de 61 091 euros net de dommages-intérêts pour perte injustifiée de l'emploi, alors « que le juge ne peut modifier les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la salariée demandait que les intérêts au taux légal sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse courent à compter de la notification du jugement à intervenir ; qu'en faisant courir les intérêts sur les dommages-intérêts pour perte injustifiée de l'emploi à compter du 15 septembre 2017, date de saisine du conseil de prud'hommes, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

14. L'arrêt condamne l'employeur à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour perte injustifiée d'emploi, avec intérêts au taux légal sur les sommes dues au principal à compter du 15 septembre 2017, date de la saisine.

15. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la salariée demandait que la condamnation de l'employeur à ce titre produise intérêts à compter de la notification de la décision à intervenir, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.


Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation prononcée sur le second moyen n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il assortit d'intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2017, date de la saisine, la condamnation de la société Soitec à payer à Mme [D] la somme de 61 091 euros de dommages-intérêts pour perte injustifié de l'emploi, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que la condamnation de la société Soitec à payer à Mme [D] la somme de 61 091 euros de dommages-intérêts pour perte injustifié de l'emploi produira intérêts au taux légal à compter de la notification à l'employeur de l'arrêt du 18 novembre 2021 ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

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